Toujours ce cauchemar

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Comme toujours, ce même rêve. Chaque nuit, c'est la même chose. Des gens qui font la fête, une atmosphère de moisissure, Jean-Eude scotché à une chaise tandis que des étrangers sortent de son dos, et une pièce avec des visages familiers, au centre son frère, et celui-ci l'attaque, le menace au couteau, le poursuit jusqu'à la mort. Mais que s'est-il passé ? qu'est-ce que cela veut dire ? Comment y remédier ?

Comme à chaque fois, le lit est poisseux, et sur son matelas trempé, il se réveille pour passer sa tête sous l'eau. En journée, son travail de domestique le garde occupé. Mais pendant les moments de pause, impossible de le garder enfoui. Son frère, décédé depuis quatre ans déjà, le hante, revient à la surface.

« Jean-Eude. Tu dois acheter du pain, la maîtresse de maison réceptionne ce soir.

- Très bien, Jean-Luc.

- Et ne t'avise pas de traîner, tu devras balayer la pièce de vie avant quatorze heures.

- Je ferais selon vos prérogatives.

- Allez ouste. »

C'est toujours un moment que Jean-Eude apprécie. Sortir de la maison, atteler la calèche, se rendre en ville et discuter avec Gertrude, la gentille boulangère du bourg. Aujourd'hui, la place est animée, des enfants jouent au cerceau avec un bâton et chien, des promeneurs papotent, la poissonnière est toujours aussi braillarde. « Bonjour Jean-Eude ! comment allez-vous aujourd'hui ? ça fait belle lurette qu'on a pas vu votre frimousse de grand gaillard.

- Bonjour Gertrude, oh vous savez la maîtresse de maison se fait vieille, il me faut garder un œil sur elle, elle a besoin de moi dans cette grande et vieille maison.

Gertrude sourit.

- Vous avez le cœur sur la main mon brave. Comment vont vos insomnies ?

Elle demandait cela avec un ton qui manifestait de l'intérêt. Des cernes se creusaient sous les yeux de Jean-Eude.

- C'est toujours quelque chose... Je croyais avoir fait le deuil de la mort de mon frère. Mais il semble que ça me pèse toujours.

- Pourtant, vous n'aviez pas une très bonne relation tous les deux.

- On dirait que c'est plus complexe que ça... Même si nous n'arrivions plus à nous entendre, j'ai toujours été très attaché à lui. Peut-être trop.

- Je comprends... Oh ! regardez l'heure, il ne faudrait pas que vous arriviez en retard !

Elle lui mit quatre baguettes de tradition, une boule de pain complet, et rajouta une belle brioche en supplément.

- C'est pour votre trajet, comme ça vous penserez à moi en rentrant.

Elle le regarda avec malice. Jean-Eude rougit et entama le retour vers sa matrone.

Sur le chemin, sous les frondaisons, le soleil que les nuages ne cachaient pas laissait des ombres claires sur le chemin de terre. Les chevaux avançaient en se dandinant, et dans ce rythme lent mais soutenu Jean-Eude mangeait de la brioche. Gertrude lui faisait du bien. Il se laissa aller à penser à son frère. Il le revoyait lorsque tous les deux ils avançaient sur les chemins la nuit pour aller faire la fête dans l'étable de leur voisin, à s'enivrer tous ensembles. Il se revoyait, l'encourageant à le suivre, et lui l'encourageant à boire, tous deux s'entraînant mutuellement, chaque soir avec du monde. La nostalgie était présente, mais cette nostalgie était creusée par des ombres. En allant là-bas comme ça chaque soir, ils fuyaient leur propre chez eux. Ça a duré des années. Puis ce jour fatal remonta comme un geyser de souffrance, le souvenir inaltéré de son accident le prit au corps. Il eut un tressaillement de sursaut, mais sa tête contenait bien la douleur. Alors, il se ravisa, laissa couler une unique larme, et rentra chez lui.

L'étang aux grenouillesWhere stories live. Discover now