L'étang aux grenouilles

Dévalant la colline en trombes sur le sentier, il tomba sur le sol quand un caillou rencontra sa chaussure. Cent pas plus loin à flanc de colline le père Gaston remarque et rit du jeune fougueux qui veut aider au travail et est d'humeur à contribuer. La charrue est attelée aux bœufs qui se prélassent en attendant les ordres qui devraient arriver quand le gamin sera prêt. En avant disait Joey quand commençait chaque course, le pré ne va pas se labourer lui-même. Et c'est comme ça qu'à la fin d'une journée après un gros labeur les pauvres paysans rentraient exténués par le sentier de terre bordé par la verdure et ils savaient qu'au bout la chère et tendre Monique avait préparée pour eux sa très fameuse tarte aux prunes qu'elle savait faire sans peine. Mais avant il faut passer chez Joris le tailleur pour réparer le cuir des pompes d'Eustache pour sa communion demain, c'est pas un gros fortiche donc il est homme d'église mais sans son dévouement la vie à la commune serait bien morne et triste.

- Ça fera quarante francs et six bons sous, expertisa Joris, si vous voulez que je vous rafistole cette paire de godillots.

- Retape moi ces semelles avant demain, fit le père Gaston. Et appliques-y ton fameux renforcement. Tu peux le faire pour un vieux bosseur comme moi ?

- Possible mais dans ce cas faudra attendre plus. Je suis sur la fin de ma boîte de clous, et tu sais bien, les clous ça coûte.

Le père Gaston roula des yeux.

- Voilà Quatre vingt francs et les vingt-cinq centimes mon escroc, tu pourra me payer une retraite complète avec ce que tu touches. Heureusement qu'il y a que ta boutique qui tourne bien.

- N'y compte pas vieux schnock ! Allez va, il y a ta femme qui t'attend.

- M'en parle pas ! Tu passera le bonjour à la tienne de la part de mon fiston.

Arthur fit une moue outré. C'est la femme sévère qui le garde, pour rien au monde il ne serait cordial avec elle. Cela fit rire Gaston.

- Il l'aime bien décidément, ajouta-t-il en secouant les cheveux du petit bonhomme. A demain pour l'aube Joris !

Le soleil se couche tard en cette saison, c'est le moment parfait pour la pêche à la grenouille dans l'étang au fond du jardin.

Arthur et Joey pouvaient rester des heures au bord sur la buttée à l'abri que les roseaux dissimulait, là où la vue était imprenable. Ils oubliaient d'être à l'affut, appréciant juste d'observer toute cette vie grouiller dans l'eau fraîche.

Parfois une grenouille bondissait sur un nénuphar au passage d'une libellule qui, surprise, fuyait dans les herbes grasses. Les ondes qui progressent dans l'eau font danser les plantes légères qui flottaient à la surface, et ce trouble faisait réagir les tout petits poissons transparents qui se promenaient autour de la base, explorant pour trouver la nourriture. Malgré l'eau claire, le fond est impénétrable à la vision car caché par la vie.

Le soleil rougeoyant donnait la teinte à cette mare qui émanait dans la fraîcheur du soir l'odeur caractéristique de la nature qui se repose. A cette heure-ci le marais se remplissait de la mélodie des grenouilles. A la tombée de la pénombre, le marais est leur théâtre. Au loin, l'écho des grenouilles des autres étangs se répondent et se jouent les unes les autres.

- J'en tiens une !

Arthur sauta sur une petite bête. Surprise, elle sauta pour esquiver et le gamin plongeant dans la mare éclaboussa Joey. Les remous et le vacarme firent fuir toutes les bêtes et Arthur, galérant à remonter en ruinant le buisson de roseaux s'en mit plein la salopette se retrouva trempé jusqu'au chapeau. Ils se regardèrent, tout sales et trempés,  et rirent de bon cœur de leur bêtise.

- A table ! sonna Monique depuis le perron d'où émanait la lumière. La tarte aux prune est prête !

Ils se ruèrent en chahutant pour faire la course jusqu'à leur mère, poussant des cris et des rires. Dès qu'ils mirent pied sur la terrasse, sans leur laisser de répit, elle les attrapa par le col.

- Non mais dites donc dans quel état vous êtes tous les deux, vous croyez que je vais laisser deux cochons souiller le parquet tout propre ? Changez vous ici et séchez vos miches avant de rentrer pour manger, et faites vite sinon ça va refroidir.

Les deux pouffèrent en se mirant d'un air complice.