— Ça ne m'enchante pas non plus, tu sais.

Je soupire longuement avant de me tourner vers Tomichou.

— Ecoute, ça fait une heure que je te vois galérer sans tes lunettes, à trébucher toutes les cinq minutes. Je sais que toi et moi on ne s'apprécie pas beaucoup, mais il faut qu'on s'entraide si on veut sortir de cette jungle en un morceau. Et puis, je te dois bien ça.

Sans attendre de réponse de sa part, je saisis à nouveau sa main et reprend la marche. Un silence pesant s'installe avant que Tomichou ne lâche finalement un timide « Merci ».

Une fois la gêne des premières minutes passée, notre avancée dans la forêt dense se fait de plus en plus apaisante et fluide. Les piaillements des oiseaux et les bourdonnements des insectes deviennent familiers à mes oreilles et Tomichou apprend facilement à reconnaître mes signaux face aux obstacles du terrain.

Alors que nous nous accordons une petite pause, le délégué capte mon attention en se raclant la gorge.

— Constance ? m'interroge-t-il avec hésitation. Je me demandais... pourquoi est-ce que tu me détestes ?

Quelle question ! D'où est-ce qu'il l'a sort, celle-là ?

— Tu es l'élève modèle et je suis la rebelle de la classe. Je suppose qu'on est juste fait pour ne pas s'entendre.

— Pourquoi pas ? Je veux dire... je n'ai jamais dit que je ne t'appréciais pas.

— Évidemment ! Dire du mal de quelqu'un serait mauvais pour ton image. Mais ce genre de chose n'a pas besoin d'être dite. Je vois bien la façon dont tu évites toujours de me regarder ou de t'adresser directement à moi. Et toutes les fois où tu te sens obligé de me ridiculiser pendant le cours.

D'abord surpris par ma réponse, je le vois acquiescer finalement avec un petit rire. Ça le fait rire ? Sérieusement ?

—Tu as peut-être réussi à tromper tout le monde en jouant les saints mais pas moi.

Il faut dire que du jour au lendemain, sans avoir rien fait pour le mériter, Tomichou est devenu le meilleur ami de tout le monde. Le délégué sur qui on peut toujours compter, l'élève modèle que tous les profs rêvent d'avoir, le gentil garçon qui vous tend la main quand vous êtes au fond du trou. Et je déteste ça. Toute cette attention qu'on lui concède.

— Que ce soit les élèves ou les profs, c'est toujours compliment sur compliment à ton sujet et ça me dégoûte. Ça me dégoute parce que moi je vois tes regards condescendants et ton air supérieur. Je sais que tu n'es qu'un manipulateur qui profite de sa situation pour s'octroyer les faveurs de tout le monde. Mais je ne peux rien dire sous peine de passer pour un monstre sans cœur. Et pourquoi ? Parce que tes parents sont morts ? C'est beaucoup trop facile de jouer la carte de l'orphelin !

Je regrette immédiatement mes derniers mots. Suis-je allée trop loin ?

— Enfin, je veux dire...

— C'est rien, me coupe le garçon.

Pourtant la tristesse derrière son sourire est palpable. Parce que, oui, tout cela a commencé quand Tomichou et ses parents ont été victimes d'un accident de la route. Était-ce l'année dernière ou celle d'avant ?

Lui seul a survécu et la rumeur du rescapé a fait le tour du lycée. Alors tout le monde a ressenti le besoin de déclamer publiquement son soutien au pauvre Tomichou, y compris les professeurs. Est-ce par jalousie que j'ai commencé à le surnommer ainsi ?

— Je suis désolé que tu aies pu penser ça. Loin de moi l'idée de te faire de l'ombre, te rabaisser ou manipuler qui que ce soit. Crois-moi, j'aurais préféré que rien de tout cela n'arrive. Mes parents étaient... des gens bien, honnêtes, travailleurs. Je regrette seulement de ne pas avoir passé assez de temps avec eux.

LE CUBE | Livre interactifWhere stories live. Discover now