Chapitre 33 : Les actes ont des conséquences...

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Les craintes d'Omphale s'apaisèrent avec l'arrivée de Zacharie. Il était accompagné de Nerva mais aucune trace d'Umbriel, comme toujours. La jeune fille adorait le chevalier dragon originaire du désert. Il lui enseignait tout un tas de chansons et de contes de sa terre de naissance, ainsi que les secrets des plantes. Elle travaillait parfois avec Nerva et lui dans l'herboristerie pour enrichir son savoir au contact de cet homme infiniment patient et généreux. Elle souffla à Willow :
- C'est un ami de nos parents, il est très gentil. Tu peux lui faire confiance.
Il se détendit imperceptiblement. Après des salutations avec Lysange et Aymeric, Zacharie s'accroupit à leur hauteur. Il ébouriffa les cheveux d'Omphale et elle lui adressa un sourire lumineux. Il s'intéressa ensuite à Willow, qu'il l'examina sans que la chaleur déserte ses prunelles.
- Bonjour Willow. Il y a longtemps que je désirais te rencontrer. Est-ce que tu veux bien que nous parlions seul à seul ?
- Pas sans Omphale, réclama l'enfant.
Zacharie accepta gentiment et le trio s'isola dans la chambre d'Omphale. La petite fille s'assit dans un angle, à côté de sa bibliothèque. Willow s'apprêtait à la suivre mais Zacharie lui conseilla de s'asseoir sur le lit. Après un encouragement de sa sœur, il obéit.
- Je vais t'ausculter et pour ça je vais devoir te toucher. Ça te dérange ?
Willow plongea les doigts dans la couverture et contracta les mâchoires. Il opina finalement du chef. Le contact passait bien entre le chevalier à la peau sombre et lui. Zacharie lui demanda de tirer la langue, de tousser, d'effectuer des exercices physiques simples. Il limita les contacts au maximum et ne fit jamais de mouvements brusques.
Sa délicatesse alliée à sa décontraction détendirent progressivement Willow. Omphale admira ce miracle sans y croire. Zacharie commença ensuite à poser des questions sur un ton badin :
- Tu as déjà une bonne musculature pour ton âge. Tu t'entraînes ?
Willow confirma sans développer.
- Tu mangeais à ta faim là où tu étais ?
- Souvent.
- Tu peux m'en dire plus ?
Son frère hésita avant de murmurer :
- Je dois être le plus fort. Si je suis fort, j'ai le droit de manger.
- Qui décide si tu es fort ou non ?
- Amagmalion.
- Je comprends...Tu veux bien retirer ta tunique pour que je puisse examiner ton corps ?
Willow se dévêtit sans pudeur. La gorge d'Omphale se serra à la vue des cicatrices. Il en avait partout, jusque sur les épaules. Zacharie ne laissa transparaître aucune stupeur, pas la moindre trace d'effarement.
Omphale remarqua malgré tout la légère raideur dans son cou. Si sa mémoire était bonne, Zacharie avait aussi subi de la maltraitance dans sa jeunesse et les lignes blanches sur la peau de Willow devait évoquer chez lui des souvenirs pénibles.
- Qui t'a fait ça ? Amagmalion ?
Willow acquiesça sans manifester d'émotion particulière.
- Pourquoi est-ce qu'il t'a infligé ces lacérations ? insista Zacharie.
- C'est ma faute. Je n'obéissais pas assez bien, je n'étais pas rapide. Ma faiblesse est responsable de mes blessures, récita t-il.
Zacharie n'ajouta rien et lui dit de remettre sa chemise de nuit. Willow suivit ses conseils sans protester, docile. Il demanda en prenant la parole de sa propre initiative :
- Est-ce que je suis malade ?
- Pas le moins du monde : tu es un petit garçon en excellente santé. J'aimerais encore discuter avec toi, en privé. Ça te gêne si Omphale quitte la chambre ?
Elle s'attendait à ce que Willow se referme comme une huître et qu'il refuse la demande de Zacharie. Contre toute attente, il acquiesça. Le chevalier dragon originaire du Souan avait su l'apaiser. Omphale s'éclipsa et rejoignit ses parents. Elle n'oubliait pas qu'elle devait toujours des explications à son père et la discussion promettait d'être animée.
Il attendait assis face à la table débarrassée, les coudes posés sur cette dernière et les mains jointes pressées contre le front. Aucune trace de sa mère. Son père remarqua qu'elle fouillait la pièce à la recherche d'une trace de Lysange et lança sans poser ses yeux glacés sur elle :
- Elle parle avec Nerva dehors. Où en est Zacharie ?
- Il s'entretient avec Willow. Il sait le mettre à l'aise.
- Parfait. Maintenant à nous deux : quand est-ce que tu as retrouvé ton frère ?
Elle s'installa face à lui et répondit en toute honnêteté :
- Depuis la parade, à Ondre. Je l'ai vu là-bas pour la première fois. Ensuite il est venu me rejoindre dans le palais royal. Je l'ai convaincu de rentrer avec nous.
- Et tu n'as pas songé une seule fois à nous prévenir ?
Son ton calme camouflait mal la colère qui enflait derrière.
- Si. Souvent.
- Alors pourquoi est-ce que tu ne l'as pas fait ? Tu imagines si ton frère avait disparu encore une fois ?! Combien de temps se serait écoulé avant qu'il refasse surface ? Est-ce que tu te rends compte de la stupidité de ta décision ?!
- J'ai longuement pesé le pour et le contre. J'ai calculé les risques, je n'ai pas agi sur un coup de tête. C'était mieux de laisser Willow se débrouiller par lui-même au lieu de...
Le poing de son père s'abattit sur la table et elle sursauta. Il s'énervait rarement. D'ailleurs elle ne l'avait jamais vu plongé dans une fureur noire. Elle jugea qu'il entrait dans une petite colère et se tassa sur le banc le temps que l'orage passe. Il tonna :
- Tu n'es qu'une enfant Omphale ! Une enfant de dix ans ! Tu ignores tout de ce qui est bon ou mauvais ! Tu as eu de la chance cette fois-ci mais ça ne se déroulera pas toujours comme ça ! Il s'agissait de ton frère, ton jumeau ! Sais-tu combien de temps nous l'avons cherché ? A quel point nous avons souffert ? Tu aurais pu nous priver de la chance de le revoir !
L'énervement la gagna à son tour. Elle se redressa et cria :
- Mais il est là ! Il est là et c'est tout ce qui compte ! J'ai fait les bons choix, même si tu les désapprouves. Alors arrête de me hurler dessus !
- Non ! Il faut que tu comprennes la gravité de tes actes ! La chance était de ton côté cette fois-là. Tu es intelligente, souvent trop. Ça finira par te jouer des tours, surtout si tu t'imagines plus maligne que les autres ! Tu as encore un long chemin à effectuer avant de pouvoir te confronter à des adultes.
- Je m'en fiche ! Je devais faire un choix et je l'ai fait ! s'énerva-t-elle. Il s'agissait du meilleur et je ne le regrette pas ! Mon frère est là ! Qu'est-ce qu'il te faut de plus ?! Vous avez essayé de le retrouver durant des années, sans résultats ! J'ai réussi là où vous avez échoué !
Son père serra les poings. La tension dans la salle augmenta d'un cran. Une odeur d'orage, lourde et électrique, planait dans l'air. Elle dépassait les bornes mais ça n'avait pas d'importance car elle fulminait autant que son père. Il dit en contenant sa rage :
- Une punition s'impose jeune fille : tu seras privée de sortie pour un mois.
Elle serra les dents pour ne pas protester. Un mois ! En plein été ! Plus d'accès à la forêt, à la bibliothèque, à l'herboristerie, la salle de cartographie ! Un sentiment d'injustice s'empara d'elle. Son père se détourna, le visage sévère.
Il ne reviendrait pas sur sa décision : ce n'était pas son genre. Elle digérait encore sa punition en retenant ses larmes de frustration quand Willow et Zacharie descendirent. Son jumeau se précipita vers elle avec une mine soucieuse.
- Tu as l'air contrariée, remarqua le chevalier originaire du désert.
- Je suis punie. Je n'ai pas le droit de poser un pied hors de la maison pendant un mois.
- Il a été sévère. Si tu as besoin de livres, je dirais à Nerva de t'en apporter. Où est ton père ?
- Dehors, avec ma mère et Nerva. Je crois qu'il essaie de se calmer...
Il les rejoignit en prenant soin de fermer la porte derrière lui. Sa précaution titilla la curiosité de la petite fille. Elle se dirigea vers la sortie et plaqua son oreille contre le bois de la porte et Willow l'imita avec un intérêt candide. Elle n'entendait pas grand-chose : les trois adultes discutaient assez loin. Elle se résigna et s'écarta en bougonnant contre sa punition.
Elle regagna sa chambre et trouva une vieille épée en bois qu'elle abattit rageusement contre les murs pour évacuer sa colère. Willow, assis sur son lit, la regarda se défouler sans un mot. Omphale n'osa pas l'interroger à propos de sa conversation avec Zacharie : elle redoutait les réponses qu'il pourrait lui donner.
Sa première semaine de punition se passa assez bien. Nerva lui apportait souvent des livres et discutaient avec elle ou son frère. Willow paraissait moins sauvage en compagnie du fils de Zacharie. Ils partageaient d'ailleurs une passion pour les plantes malgré une grande différence : Nerva connaissait celles qui soignaient et Willow celles qui tuaient. Omphale devinait peu à peu à quoi les assassins formaient son jumeau et ça ne lui plaisait pas du tout.
Un autre point agaça Omphale : les amis de leurs parents défilaient à la maison pour saluer et voir le fils retrouvé mais ce défilé d'inconnus perturbait son frère plus qu'autre chose. Il finit par se réfugier dans la chambre d'Omphale, intimidé par ces étrangers. Et enfin, coup de grâce pour la jeune fille, Nerva lui annonça que les Hérances arrivaient bientôt au château des gardes. Les fameux guerriers les plus au sud du Souan, ceux qui vivaient à la limite avec les terres ressuscitées !
Ils venaient effectuer le test sur l'œuf du dieu endormi. Il n'avait toujours pas éclos et les gens venaient de plus en plus loin pour déposer une goutte de sang sur sa coquille dorée. Bientôt les Valseryes poseraient un pied sur leurs terres, ce n'était qu'une question de temps ! Elle essaya de négocier avec son père, ne serait-ce que pour admirer l'arrivée de ces combattants du désert. Il refusa catégoriquement, ferme à propos de la réclusion de sa fille.
- Ne t'inquiète pas. J'observerais leur arrivée et je viendrais tout te raconter, lui promit Nerva.
Cela ne la consola qu'à moitié. Elle allait manquer un moment historique qui se déroulerait à deux pas de chez elle ! Elle espéra que Nerva en profiterait pleinement.

Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'AmarisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant