Je me réveille tôt. Dehors, il fait à peine jour. Je devine aux lourds nuages gris que la journée sera pluvieuse, et donc ennuyeuse. J'essaie de me rendormir, en vain. Finalement, au bout de quelques minutes d'acharnement à retrouver le sommeil, je décide de me lever. Je me sens de mauvaise humeur, chose qui ne m'était pas arrivée depuis longtemps.
Je m'habille, me coiffe à peine et sors discrètement de ma chambre. Il est environ sept heures, mais je n'en suis pas certaine à cause des nuages qui me masquent la position du soleil. Je décide tout de même de descendre au réfectoire où je trouve Hanji. C'est une femme brune un peu tarée sur les bords, mais je l'apprécie.
-Oh ! Lise ! Tu es du matin ! C'est la première fois que je vois une recrue ne pas profiter entièrement de ses heures de sommeil. Je prépare le petit-déjeuner, tu veux quelque ? Ah, mais avant, puisque tu es là, rends-moi un service, veux-tu ? Ne panique pas, c'est trois fois rien. Prends ce plateau qui est là et va l'apporter au Caporal. Je dois surveiller mes œufs si je ne veux pas qu'ils brûlent.
Tout ça en un souffle.
Je regarde Hanji s'affairer tandis que je me repasse tout ce qu'elle m'a dit. Je suis rarement du matin, sauf quand le sommeil me fuit hargneusement. Sinon, pour le petit-déjeuner, je prendrais bien des toasts, mais la bonne odeur des œufs brouillés me fait envie, donc j'hésite. Et pour finir, bien sûr que je veux bien lui rendre service et apporter son petit-déjeuner au...
-Pardonnez-moi, mais à qui dois-je apporter le plateau ? demandé-je.
-A Levi ! S'il n'a pas sa dose de caféine dès le réveil, il est bougon toute la journée. Il est encore brûlant, mais le temps que tu montes en haut, il sera pile à la bonne température.
-Vous ne voulez pas que je surveille vos œufs pendant que vous lui portez vous-même ?
-Non, non, non, refuse catégoriquement Hanji. J'aime que mes œufs soient cuits d'une façon particulière, et personne n'a jamais réussi à les préparer comme je les aime. Oh, ne fais donc pas cette tête ma petite Lise, tout va bien se passer ! Levi n'a pas l'air facile comme ça, mais au fond, il a bon cœur.
Je continue de protester, mais Hanji est intraitable. Je me retrouve donc à monter jusqu'au dernier étage de la base, le petit-déjeuner du Caporal entre les mains. Si Eren et Jean me voyaient, ils me charriaient jusqu'à la fin de mes jours. Je me prépare mentalement à affronter Levi au réveil. Dans quel état vais-je le trouver ? Impeccable, comme d'habitude, ou les cheveux en bataille, chemise froissée et mal boutonnée ? Je secoue la tête. Pourquoi ça m'intéresse ? Est-ce que cela va m'aider à combattre les titans ? Non. Alors inutile d'y penser.
J'arrive devant la chambre du Caporal et déglutit. Méticuleusement, je porte le plateau d'une main pendant que je toque à la porte de l'autre. Aucune réponse. Est-il vraiment ici ? Est-ce véritablement sa chambre ou me suis-je trompée ?
Je décide de baisser la poignée de la porte ; cette dernière s'ouvre, ce qui me rassure et m'effraie à la fois.
Je me retrouve dans une pièce large et impeccable. Rien ne traîne. Au fond à gauche se trouve un grand bureau où toutes les feuilles sont parfaitement alignées. Une plume trône sagement à côté du réservoir d'encre. Un uniforme est posé avec soin sur une chaise, les bottes sagement rangées à son pied. Seul le lit est défait, ce qui m'indique que quelqu'un vient tout juste de se réveiller. Pourtant, personne ne se trouve dans la pièce.
Je décide de profiter de l'occasion. A pas de loup, je m'avance vers la table de nuit déserte de toute babiole et dépose doucement le plateau. Ma mission accomplie, je me retourne et marche rapidement vers la sortie.
D'où surgit une ombre.
Je pousse un glapissement et mon premier réflexe est de lancer mon poing. Une paume bloque mon coup, et j'entends une voix contrariée me parler :
-Que fais une recrue dans ma chambre ? Je peux le savoir ?
Je reconnais Levi et me calme. Seulement pour quelques secondes car, quand je lève les yeux, je l'aperçois dans un simple pantalon de lin, torse nu, les cheveux humides. J'écarquille les yeux priant intérieurement pour ne pas rougir comme une sainte idiote.
-Hanji m'a demandé de vous apporter votre plateau car elle devait surveiller ses œufs et comme je me suis levée tôt ça m'est tombé dessus. Mais je ne suis pas ici pour reluquer ou quoi que ce soit ! Le plateau est sur la table de nuit là-bas, bon appétit et bonne journée, au revoir !
Je n'avais jamais parlé aussi vite, aussi longuement et de façon aussi peu compréhensible. Triple record. Je dégage mon poing de la paume de Levi et pars en courant presque, rouge de honte et de gêne. Putain de merde. Il fallait qu'Hanji m'envoie porter ce foutu plateau dans les heures où Levi prenait sa putain de douche. Des trucs pareils, ça n'arrive qu'à moi.
Je fais mon retour dans la cuisine. Hanji a terminé de préparer ses stupides œufs que personne à part elle ne sait faire. Elle est tranquillement installée à la table, la bouche pleine.
-Oh, déjà de retour ? Tu as fait vite.
-J'allais pas rester lui faire la conversation tout de même.
J'avais répondu un peu trop brusquement, ce qui attisa sa curiosité.
-Oh ? Il t'a fait une réflexion désagréable ?
-Non, mais j'aurais préféré, répliqué-je malgré moi.
-Voyons, que s'est-il pass... OH !
Son cri me surprend et je manque de faire tomber la tasse que je viens juste de prendre.
-Dans ces heures-là il revient tout juste du bain. Et si j'en crois tes joues écarlates, il n'était pas très habillé.
-Mes joues sont écarlates à force d'avoir monté et descendu les marches, rétorqué-je de mauvaise grâce.
-Mais oui, mais oui. Ma petite Lise, ne t'inquiètes pas : Levi fait cet effet à tout le monde, ou presque. Petra y a eu également droit il y a quelques jours, même si je doute qu'elle ai fuit en courant.
-Je n'ai pas couru.
-Certes, certes, sourit Hanji, ne me croyant visiblement pas.
C'était ma journée. Si jamais elle fait la moindre allusion devant les autres, je suis bonne pour des moqueries éternelles de la part de Jean.
Je mange à peine, avale une banane et un café bien serré avant de remonter dans ma chambre. Sur le seuil du réfectoire, je manque d'heurter Levi qui revient avec son plateau, entièrement vêtu cette fois.
-Eh bien, Levi, tu as effrayé la pauvre Lise.
Je me fige et me sens pâlir considérablement. Comment est-il possible de faire taire cette bonne femme ? L'étrangler n'est pas une solution suffisamment douloureuse à mon goût.
-Vraiment ? répond nonchalamment Levi. Et qu'ai-je donc fait ?
-Tu n'as pas été assez attentif. Certes, tu es seul à ton étage, mais pense qu'il peut y avoir des gens qui viennent te voir.
Je m'éclipse hors de la pièce avant d'en entendre d'avantage et de mourir de honte. Mais il semble que le sort veuille me torturer jusqu'au bout aujourd'hui. Levi sort à peine quelques secondes plus tard, ce qui lui laisse largement de temps pour me rattraper. Si j'avais été plus grande, j'aurais pu marcher plus vite pour lui échapper.
-Ecoutez, je ne suis vraiment pas d'humeur pour des réflexions, dis-je d'une voix cassante, parfaitement consciente malgré tout que je m'adresse à un supérieur. Oubliez ce qu'a dit Hanji, elle s'enflamme pour un rien et tire des conclusions hâtives sur tout ce qui se présente à elle.
-Etrange, réplique doucement Levi. Hanji n'est pas du tout le genre de personne à tirer des conclusions hâtives.
-Vous voyez parfaitement ce que je veux dire.
-Ce que je vois, c'est que tu paniques.
Je m'arrête et lui fais face. Je n'essaie pas d'avoir l'air menaçante. C'est inutile avec Levi.
-N'importe quelle recrue aurait eu la même réaction, je me défends.
-Hanji n'a pas réagi ainsi.
-Eh bien c'est l'exception !
-Suis-je donc si impressionnant ?
-Oh je vous en prie ! Ne me faites pas croire que vous en doutez alors que toutes les nouvelles recrues se retrouvent tétanisées de peur ou d'admiration la première qu'elles vous voient !
Je pourrais presque jurer voir l'ombre d'un sourire passer sur le visage de Levi, mais j'ai tellement l'impression d'halluciner que je ne m'y risquerai pas.
-Je suppose donc que tu fais partie des recrues « tétanisées d'admiration ». Si tu avais été meilleure au combat, j'aurais presque pu me sentir flatté.
-Si j'avais été Petra, l'auriez-vous été ?
Je regrette aussitôt mes mots. Mais bordel de merde, qu'est-ce qui m'a pris de dire une chose pareille ?!
-Qu'est-ce que Petra vient faire dans cette histoire ? demande Levi avec un haussement de sourcil, ce qui est une chose impressionnante pour quelqu'un arborant toujours un air blasé.
-Rien du tout, je réponds précipitamment.
-Pour une morveuse, tu mens très mal.
-Alors contentez-vous de ce mauvais mensonge, lancé-je en arrivant devant la porte de ma chambre. Bonne journée.
Sans lui laisser le temps de réagir, je m'engouffre dans ma chambre et referme rapidement la porte. Je pousse un long, très long soupir. Aussi incroyable que cela puisse paraître, entre mon réveil et toutes ces péripéties, il ne s'est passé qu'une demi-heure.
Collée contre la porte, j'entends Levi dire :
-Bonne journée ? Nous nous revoyons dans une heure pour l'entraînement, morveuse.