Le pire ennemi de l'amitié, ce n'est pas l'amour. C'est l'ambition.
Un froid insidieux rampe sur mes membres, m'hérissant les poils de la nuque. Une sensation désagréable fait battre mon cœur plus fort, au point qu'il se met à tambouriner dans mes oreilles.
« Où est-ce que tu es ? »
La voix de Knox sonne dans mes oreilles, implacable. Mais je suis trop concentrée à observer l'ombre se mouvoir dans l'obscurité des étagères en face de moi. Un bruit se fait entendre du plus profond de la salle où je me trouve. Un bruit cliquetant avec un soupçon de glissement, comme aurait pu le produire un serpent mille-pattes.
« Bibliothèque. Il y a quelque chose, peut-être l'une des Bêtes »
« Sors, dépêche-toi ».
Il n'a pas besoin de me le dire pour que je parte. Je me relève subitement lorsqu'une voix aiguë et sifflante, qui me fit tout d'abord penser serpent, avec un bourdonnement métallique me pétrifiant.
— Quel joli présent...
Cette voix suffit à me faire trembler de peur. Ce son cliquetant, glissant, se rapproche, comme si un corps progresse en se traînant le ventre à terre. Et je ne pu faire un pas, avant qu'une bête cauchemardesque ne se présente à moi.
La créature ressemble à une énorme araignée noire et velue. Mais une araignée d'un demi mètre. Mais la tête est dotée d'un cou, et il y a quelque chose de vaguement humain au niveau de la bouche ourlée de lèvres remplie de crocs. Les gigantesques pattes noires réparties de part et d'autre de ce corps bouffi sont purement arachnéennes, alors que deux mains humaines ressortent sur le devant. Cette monstruosité semble avoir des yeux partout, chacun d'eux rouges. Elle se redressa comme pour m'observer plus intensément, exposant brièvement des seins pâlichons. Femelle. Je ne pouvais me résoudre à la décrire comme étant féminine.
Cette étrange bouche bien proportionnée, piégée au centre de toute cette pilosité noirâtre et de cette profusion d'yeux, se remet alors à parler
— Il n'avait pas menti, tu es exquise. Il me tarde de goûter ta chair tendre, susurre-t-elle.
Je n'aurais jamais cru voir une telle monstruosité cauchemardesque. C'est le cauchemar des cauchemars. Si elle était un peu moins d'une chose, et un peu plus d'une autre, cela l'aurait rendue moins terrifiante, mais elle est telle qu'elle est, et rien ne pourrait y remédier.
Je suis seule, désarmée et je sais qu'autre moindre geste elle m'attaquera. Pour l'instant, elle me regarde juste avec curiosité et une envie bestial qui se reflète dans sa multitude d'yeux. Elle fait un pas vers moi, je me mets en position offensive.
L'araignée le comprend, et il ne lui en faut pas plus pour qu'elle s'élance vers moi. J'attrape le livre à la hâte, et lui jette en pleine tête, touchant ses nombreux yeux qui se referment d'un coup.
— Espèce de garce !
Elle lance une patte dans ma direction et déchire mon t-shirt et ma chair juste sous mon sein gauche. Ses pattes sont aussi coupantes que des épées. Le sang de met à couler, elle se lèche les lèvres le visage illuminé par une faim froide. Elle avait visé mon cœur, elle souhaite clairement ma mort.
J'ai beau avoir reçu des entraînements avec Knox, se battre réellement avec un ennemi qui veut votre peau est beaucoup plus dur. Je me sers de mes poings pour frapper son corps velu et de mes pieds pour atteindre ses yeux. Mais ses mouvement sont si rapides, qu'elle finit par planter sa patte près de mon aine. Je hurle de douleur alors qu'elle saute sur moi. Je me baisse brutalement, et son corps vole au-dessus de moi. Je me relève avant elle, et écrase son dos de toute mes forces, qui s'écrase sous mon poids. Mon pied s'enfonce dans sa chair, l'emprisonne alors qu'elle tente de m'atteindre avec ses pattes, me coupant près de l'aine. Je hurle et retire finalement mon corps, qui se retrouve couvert d'un sang noir et de morceaux de chair molle.
— Je vais te faire hurler pour ça !
Je cours vers les escaliers en boitant, mais elle est plus rapide que moi. Pour éviter de me retrouver entre ses pattes, je dégringole les marches et me relève une fois au rez-de-chaussée avant de me précipiter vers la porte. J'entends le bruit de ses pattes sur le sol, sa respiration sifflante derrière moi et je sais que si je ralentis, je suis une femme morte.
Et alors que j'atteins la porte, je me rends compte que les portes sont fermés à clefs lorsque je tente de les ouvrir. Je tire les poignets avec hargne, mais ça ne sert à rien : je suis piégée.
Je me retourne, l'araignée me fait face, jubilant. Elle savait que les portes seraient fermées, tout ça été prémédité. Je pose la main sur ma blessure, le sang coule abondamment.
« Je ne peux pas sortir »
Mais Knox ne me répond pas alors que la bête se met à rire de sa voix aiguë et métallique. J'essaye de ne pas montrer que je suis effrayée, que je me retiens de trembler d'effroi.
— Maintenant, hurle pour moi.
Knox débarque subitement par la fenêtre, l'explosant sur son passage. Il atterri à côté de moi, les ailes maculés de bout de verre et éraflées, mais il ne semble même pas s'en rendre compte. Il m'inspecte brièvement, alors que le soulagement se peint sur mon visage. Le sien est un masque de fureur tandis qu'il se place devant moi, pour me protéger de l'araignée.
— Knox mon cher, ça fait si longtemps... sussure l'araignée d'une voix charmeuse.
— Que fais-tu ici, Siu ?
Ils se connaissent c'est indéniable. Mais au vu du ton de Knox, ce n'est absolument pas pour de bonnes raisons.
— J'ai reçu des ordres, mon tout beau. Laisse moi obéir, reste en dehors de cette histoire. C'est entre elle et moi, lui répond l'araignée en posant ses yeux sur moi.
— Qui t'envoie ?
Elle penche sa tête sur le côté, faisant une moue si humaine qu'elle en est déconcertante.
— Pourquoi est-ce que je te répondrais ?
— Si tu veux garder la vie sauve.
En parlant de vie, je ne vais pas tarder à perdre la mienne si je continue comme ça à pisser le sang. Mon corps commence à me lâcher et ma vision devient trouble.
Siu reste silencieuse un moment, me dévisageant et dévisageant Knox.
— Tu me promets de me laisser la vie sauve ?
Si elle tente de marchander, c'est qu'elle sait que Knox est redoutable. Je peux voir la peur ramper un peu plus dans ses nombreuses pupilles.
— Tu as ma parole.
Elle hoche la tête, et je les observe discuter comme si je n'étais pas entrain de me vider de mon sang.
— C'est un Ange. Il doit sûrement être haut placé puisqu'il a su comment me retrouver avant de m'envoyer un subalterne m'offrir de la chair en échange de la vie de ta créature.
Je la fusille du regard. Je ne suis pas une « créature ». Et venant d'une chose mi-humaine mi-araignée c'est franchement culotté.
— Elle est la cible de cette attaque par ma faute ?
— Je ne sais pas. Je ne demande pas le « pourquoi » lorsqu'on me propose de la chair. Je prends, et c'est tout.
Je tremble de terreur lorsque je me rend compte que le chair en question, n'est autre que moi. Je prends une longue inspiration, avant de me tourner vers l'araignée.
— Connais-tu le nom du subalterne ?
Elle ne daigne même pas me regarder, comme si je n'étais rien d'autre qu'une poussière sur son passage.
— Réponds-lui, grogne Knox.
Elle pose les yeux sur lui en soufflant. C'est terriblement déstabilisant de l'observer faire des gestes si humains.
— Oui, dit-elle.
Mon cœur bat à tout rompre.
— Quel est son nom ?
Elle reste silencieuse un long moment, et je sais que ce n'est pas parce qu'elle hésite à me le donner, mais plutôt parce qu'elle se délecte de voir l'impatience se peindre sur mon visage. Elle plante ses yeux dans les miens, et sa bouche aux dents aiguisées se muent en un sourire des plus diaboliques. À ce moment-là, j'ai su que sa réponse n'allait pas me plaire.
— Osh. Il m'a dit s'appeler « Osh ».
Mes jambes se dérobent sous moi, je tombe sur les genoux en état de choc. Knox se pétrifie à côté de moi, et je comprends que je n'ai pas rêvé. Que l'araignée a bien déclaré qu'Osh, que mon Osh, mon meilleur ami, mon allié est en lien avec cette attaque et cette tentative d'assassinat.
La chose en moi se réveille subitement, menaçant de briser sa cage sous l'effet de la colère. Et je sais que je ne serais pas assez forte pour l'empêcher d'émerger si elle tente de sortir, si elle souhaite émerger.
Je sens mon cœur se briser, ses bouts tomber sur le sol et je peux sentir les pieds d'Osh les piétiner. Parmis toutes les personnes que je connais, c'est bien la dernière personne à laquelle j'aurais pensé. Je sais qu'il m'en veut d'avoir préféré Knox à lui, mais au point de vouloir ma mort ?
Mais est-ce vraiment Knox le déclencheur de sa haine envers moi ? Et si Osh était aussi en lien avec ma première attaque, celle dans les bois ?
Peut-être qu'au final, il ne m'a jamais aimée....
Peut-être qu'il avait fait exprès de se rapprocher de moi, de se lier à moi pour m'amadouer et mieux me briser. Et si finalement, il était en mission depuis toutes ces années, avec comme objet finale ma mort ?
Il m'a trahie.
« Libère-moi » ! Crie la chose en moi, « Fais la souffrir, fais les tous souffrir» me murmure-t-elle de sa voix caverneuse.
La chose s'étire doucement, avant de montrer les crocs à l'araignée. Son pouvoir glisse en moi, exaltant, chaud et impatient.
Des larmes menacent de couler sur mes joues mais je me refuse de pleurer. Éprouver de la colère est beaucoup plus facile, beaucoup moins humiliant. Et je sais ce qu'il me faut faire pour la laisser éclater. Je me relève, en appréciant que la douleur de mes blessures se réveille pour me faire ressentir autre chose que de la tristesse. Je préfère éprouver cette douleur, que celle qui menace de réduire mon cœur en miette.
Knox tend la main vers moi pour m'aider, mais je le repousse. Mes yeux se posent sur l'araignée, dont les nombreux yeux me regardent avec délectation. Elle se nourrit de la peine, de mon chagrin, de ma ruine.
Je lui lance un regard furieux et ressens les premiers émois de mon pouvoir. Je ne combat ni la colère, ni la magie. Je fais ce que j'aurai dû faire depuis longtemps : laisser la partie la plus obscur de moi voir le jour. Je libère la chose en moi d'une de ses chaînes, mais la tiens toujours prisonnière pour qu'elle ne prennent pas totalement le contrôle. Je laisse cette puissance m'emplir les yeux, sachant qu'il s'y anime un miroitement de ténèbres et de lumières absentes de la pièce.
— Tu as promi de ne pas me tuer ! S'exclame l'araignée en se tournant vers Knox, cette fois-ci, terrifiée.
— Mais elle, elle n'a rien juré.
— Maintenant, hurle pour moi,dis-je en utilisant les mots qu'elle avait employée.
Mais les mots qui sortent de ma bouche ne sont pas les miens, et Siu le sait aussi bien que moi.
Le chose s'exprime calmement, à voix basse. Je retiens mes pouvoirs magiques encore quelques secondes, comme s'il s'agissait de retenir ma respiration, de manière contrôlée. Sinon, je risque de me mettre à hurler.
Puis, je la libère.
Je dirige toute cette masse de colère et de magie en de lourde vagues sombres vers Siu qui met ses pattes devant son visage pour tenter de se protéger. Mais elle ne le peut pas. Rien ne peux empêcher ma magie de s'abattre sur elle, de la frapper. Des flammes aussi hautes que moi l'enveloppent et se mettent à la brûler dans un crépitement qui me ravit autant que ses hurlements.
Elle se consume sur le sol de pierre. Mon corps exalte de la voir brûler ainsi, par la seule force de ma volonté, de ma magie. Si je n'étais pas en état de choc, j'aurais trouvé cette scène monstrueuse mais j'étais dans un état second, comme dépourvue de toute émotion autre que la fureur.
Mon poul bat contre mes oreilles jusqu'à ce que je ne puisse plus rien entendre, plus rien voir de cette scène d'horreur indescriptible. Je m'écroule sur le sol, et la dernière chose que je vois avant de m'évanouir, sont les cendres de ce qui était autrefois, Siu.
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