Je cours aussi vite que je peux. On me poursuit. Je ne dois pas être attrapée. Je ne le dois pas. Dans ses mains, j'ai vu la seringue. Je sais ce qu'elle contient, je sais ce qu'elle me fera, je l'ai entendu de sa propre bouche. Maintenant, elle ne parle plus d'une voix calme comme tout à l'heure. Elle hurle.
J'hoquète et pleure. Les larmes brouillent ma vision, mais je continue de courir.
Jusqu'à ce qu'il apparaisse devant moi. Il m'attrape par le bras et je hurle. Je me débats. Ils ne peuvent pas me faire ça, ils ne peuvent pas ! C'est leur fardeau, pas le mien ! Ils n'ont pas le droit de me mettre ça sur les épaules ! Je ne veux pas !
Elle s'approche, essoufflée. Dans son regard, il n'y a plus d'amour. Il n'y en a jamais eu. Elle ne m'a jamais aimé. Lui non plus d'ailleurs. A leurs yeux, je ne suis que le réceptacle d'une de leur monstruosité.
Alors que l'aiguille me pique le bras, je hurle à m'en arracher les cordes vocales.
Je me réveille en sursaut, la gorge en feu. La sueur me roule sur le front et le menton, et je sens mon uniforme humide. Après plusieurs inspirations, je me redresse. Il fait sombre. La nuit est tombée. Je regarde au dehors, espérant apercevoir du mouvement. Rien. Tout est calme. Incroyablement calme.
Je comprends alors ce que ça veut dire.
Je bondis hors de mon lit et me change. Je sens mauvais. Je secoue rapidement mes cheveux pour les débarrasser un peu de la poussière des derniers combats. Sans prendre la peine de me coiffer, je me rue dans les couloirs. Le silence est total. Je me demande si tout le monde est revenu. Je m'arrête et hésite sur la direction à prendre. A droite pour le réfectoire ou à gauche pour la salle de repos ? Les gargouillements de mon ventre me décident sur la direction à prendre. Le réfectoire donc. Je me demande s'ils servent encore des patates douces.
Le réfectoire est plein de soldats. Mon entrée passe inaperçue, ce dont je ne me plains pas, surtout après l'humiliation que m'a faite subir Levi. Je me sers rapidement une bouillie de légumes et prends un fruit avant de chercher Armin et Mikasa du regard. Je les vois tout au fond, reclus.
-Je peux ? demandé-je en arrivant à leur hauteur.
Mikasa hoche du menton, mais garde les lèvres pincées. Je remarque une plaie en cours de cicatrisation sur sa joue. Armin est pâle et semble épuisé. Avant que je ne lui demande, il me raconte ce qui s'est passé. La mission a été un succès, malgré un faux départ. Apparemment, Eren n'a pas été capable de contrôler le titan du premier coup, mais il s'est vite repris grâce à Armin. Au final, le mur a été rebouché, et les derniers titans l'ayant franchi éliminés.
-Mais... Où est Eren alors ? Il fait son rapport ?
Chaque fin de mission doit être accompagnée d'un rapport détaillé et scrupuleusement rédigé à la main. C'est une tâche longue et ennuyeuse et sachant qu'Eren préfère l'action, il ne serait pas étonnant de le savoir encore dans sa chambre à écrire. Mais dans ce cas, Mikasa et Armin seraient resté avec lui, voilà pourquoi son absence me trouble autant.
-Ils l'ont de nouveau enfermé, dit Mikasa d'une voix dure. Il le considère hautement dangereux malgré ce qu'il a fait pour nous aider.
Elle se touche distraitement la joue avant de baisser la main. Je digère la nouvelle.
-Ils veulent une preuve de sa bonne foi, rajoute Armin.
-Il a rebouché le mur, ça ne leur suffit pas ?
-Non.
Je pousse un juron qui me vaut d'être regardée de travers par nos voisins de table. Armin sourit, imité brièvement par Mikasa. N'ayant pas grand-chose d'autre à nous dire, nous mangeons en silence. Je me demande où sont Jean, Sasha et les autres, mais ne pose pas la question à voix haute.
Nous avons à peine terminé notre repas que la porte du réfectoire s'ouvre sur deux soldats. Je devine grâce à leur attitude hautaine qu'ils sont hauts gradés et flaire tout de suite les ennuis.
Mon instinct est jute. Ils se dirigent vers nous et se plantent devant Armin.
-Je vais vous demandez de nous suivre. Vous et votre camarade.
Ils regardent tour à tour Armin et Mikasa. Ils me jettent un coup d'oeil puis se lèvent. Je les imite.
-Je viens avec vous.
-On nous a demandé de venir chercher seulement ces deux jeunes gens, dit un des soldats en me regardant de haut.
-Eh bien vous direz à vos supérieurs que je les accompagne, que ça leur plaise ou non.
-Lise, intervient Armin. Tu es en sursis avec le Caporal Levi...
La cuisante défaite me revient en mémoire. L'espace d'une seconde, je m'imagine être raisonnable et abandonner. Puis je décide de continuer dans ma voie de rebelle.
-Il comprendra, dis-je avec toute l'assurance du monde.
Tout le monde me fixe comme si j'étais folle de croire ça, ce qui est certainement le cas. Car en réalité, je ne pense pas une seconde que Levi comprendra. C'est pourquoi je compte bien me cacher et l'éviter le plus possible. Je ne tiens pas à être décapitée.
Je suis tellement soucieuse à propos d'Eren que je ne vois pas où les soldats nous emmènent. Je réagis au dernier moment, quand je reconnais la porte en vieux chêne de la Cour de Justice militaire.
-Vous allez les juger ? demandé-je surprise aux soldats en pointant Armin et Mikasa.
-Non, ils feront office de témoins dans l'affaire en cours.
-De témoins ? Qu'est-ce que...
Et là, je comprends. Eren. Il n'est pas seulement prisonnier. Il va être jugé pour un crime -si on peut l'appeler comme tel- qu'il n'a pas commis. Avoir la faculté de se transformer en titan. Je sens toute la colère de l'injustice me monter au nez, mais me retiens de tout commentaire déplacé. Les soldats ont accepté que je vienne, mais jamais ils n'accepteront d'entendre une novice pester contre le système militaire auquel ils tiennent tant.
Nous sommes placés dans les gradins en hauteur. D'ici, nous avons une vue imprenable sur toute la Cour. Au centre, je vois une dalle de béton grise derrière laquelle se trouve un trou assez grand pour accueillir un poteau de pendaison. Je déglutis à cette pensée. Si le jugement rendu est négatif, Eren sera-t-il pendu juste sous nos yeux ?
Peu à peu, la salle se rempli. Je vois des personnes de divers groupes, et me demande pourquoi certaines sont présentes. Il y a ces foutus prêtres clamant la bonté de Dieu partout où ils passent. Il y a des hommes qui sentent la magouille à des kilomètres à la ronde. Si jamais on soutient trop longtemps leur regard, ils nous dépouillent. Il y a aussi des soldats, certainement corrompus. Leur ventre bedonnant parle pour eux. Dans l'armée, il n'y a que deux genres de soldat capable d'avoir un tel estomac : les très, très haut gradés et les corrompus.
Armin me donne un léger coup de coude et pointe discrètement quelqu'un du doigt. Je reconnais les cheveux noirs de Levi et détourne vivement les yeux. Pour une fois, je suis bien contente d'être petite. Armin me cache et me souffle:
-Il sera devant nous. Tu ne pourras pas l'éviter.
-Je sais, murmuré-je. Mais plus tard il me remarquera, mieux ce sera.
Armin sourit avant de dire :
-Tu sais, j'ai vraiment l'impression de voir une version féminine d'Eren. Aussi bornée que lui. Enfin, peut-être pas. Je pense qu'Eren respecte plus le règlement que toi malgré tout.
-Merci du compliment, grogné-je. Mais je suis certaine qu'Eren...
Je m'interromps et baisse rapidement les yeux, jurant intérieurement. Je peux sentir le regard perçant de Levi posé sur moi. Je n'ose pas l'affronter. Je ne peux pas l'affronter. Pas maintenant.
Pourtant, j'y suis obligé. Levi arrive vers nous, accompagné d'Erwin. Ils s'installent tous les deux au rang juste devant le nôtre et nous saluent poliment.
-Nous ferons tout pour que votre ami s'en sorte, nous promet Erwin.
Mikasa et Armin le remercient. Moi je reste silencieuse. Je sens qu'Erwin me fixe. Je m'attends presque à un interrogatoire sur la raison de ma présence ici. Mais il n'en fait rien. Il détourne tranquillement le regard et se concentre sur les dernières personnes arrivant.
Puis finalement, le silence tombe. Je regarde nerveusement l'entrée du tribunal, désormais fermée. On entend plus que le bruit des feuilles, du froissement des vêtements, des bancs qui grincent parfois sous le poids des gens.
Et enfin, les portes s'ouvrent de nouveau. Mais cette fois-ci, ce n'est pas un juge, un soldat ou un religieux qui entre.
C'est Eren.