Suspendue à mon 3D Manœuvre, je regarde l'équipe de Levi faire des miracles. Les titans tombent un à un devant la force du travail d'équipe. Immobile, je me sens soudain comme une parfaite incapable. J'ai été grisée par ma victoire sur deux ou trois titans, je pensais qu'en tuer démontrerait mes capacités. Mais en voyant Petra, Eld, Auruo et Ghunter travailler comme un seul homme... il est clair que j'ai encore beaucoup, beaucoup de choses à apprendre.
Oui, j'ai enfin retenu tous les noms. C'est la seule chose que j'ai pu faire depuis le début de cette expédition d'ailleurs.
Pourtant, ce n'est pas la force de Petra, ni les coups précis d'Eld qui m'impressionnent le plus. Depuis quelques minutes déjà, mon regard suit Levi Il n'est qu'une ombre passant derrière les titans. Sa force est... inhumaine. D'une certaine manière, il me rappelle Mikasa. Mais je suis certaine que si ces deux là venaient à se battre l'un contre l'autre, Levi remporterait le combat haut la main.
Je suis fascinée par Levi, même si ça me coûte de l'avouer. Son attitude au combat force mon respect. Enfin, respect d'un soldat à l'autre. Car en tant qu'être humain, il n'est pas prêt de l'avoir, mon respect.
Nous progressons, sans croiser d'autres soldats. Mon inquiétude grandit. Je refuse de laisser des images morbides envahir mon esprit.
Un bruit sourd retentit, nous faisant sursauter. Cela ne ressemble pas au bruit de pas d'un titan. C'est beaucoup plus proche d'un bâtiment qui s'effondre, bâtiment massif qui plus est.
Je glapis et m'arrête brusquement sur un toit à moitié détruit. J'ai tout à fait conscience que de rester immobile alors que nous sommes cernés de titans est une demande au suicide. Mais je m'en fiche. Du moins, pour le moment. Mes yeux sont attirés par une vision d'horreur.
-La base... dis-je d'une voix étranglée.
Les titans ont réussi à atteindre la base où se trouvent tous les blessés et le gaz. Je pense aussitôt à Sasha. Et puis à mes autres camarades qui sont peut-être enfermés quelque part là-dedans. Mon inquiétude se mue en angoisse qui m'étouffe. Une main douce se pose sur mon épaule. Petra me regarde, compatissante.
-Ils doivent se débrouiller seuls, dit-elle.
-Ils sont blessés, murmuré-je prête à éclater en sanglots.
-Des soldats sont encore à l'intérieur. Ils les défendront.
Levi apparaît à son côté et suit mon regard.
-Préoccupe-toi de ceux qui sont dehors. Ils ont plus besoin de nous.
Sur ce, nous repartons.
J'arrive à mettre à terre un titan, mais je ne peux pas l'achever. Mes bras tremblent beaucoup trop. Je passe plus de temps à scruter les alentours à la recherche d'une tête blonde, brune, noire, châtain. Aucune trace de mes amis.
Et, tout à coup, je m'autorise un espoir.
Je repère au loin, très loin, un groupe de personnes, réduites à de simples petits points noirs. J'hésite. Vais-je oser me soustraire aux ordres de Levi et planter mon équipe temporaire ici ? Ou vais-je continuer à les suivre lentement jusqu'à ce qu'on arrive devant le groupe ?
Un titan s'approche dangereusement des rescapés. Voilà que le destin prend la décision à ma place. Je décide de prendre les devants, non sans hurler à mes supérieurs :
-Survivants à quatre heures ! Ennemi en approche !
J'entends une voix masculine me crier quelque chose, mais je l'ignore. La moindre seconde peut faire la différence entre la vie ou la mort. Je vois avec horreur la créature tendre une main vers les soldats. Plusieurs hurlent. Je pousse l'accélération de mon 3D Manœuvre à son maximum. Ma vision périphérique est totalement brouillée. Je ne vois plus que le titan, et cette main immense se tendre vers les soldats paniqués. Je dégaine mes lames. Je force mes bras à ne plus trembler lamentablement.
Et je passe au travers du bras de mon ennemi, le découpant. J'entends des exclamations soulagées.
Le titan ignore sa blessure et tend l'autre main vers moi. Je l'esquive d'un bond, et envoie un de mes câbles s'enfoncer dans son torse. Le second se fiche dans l'épaule gauche, ce qui me fait virer juste avant d'être écrasée comme une mouche.
Je ne sais pas vraiment ce qui se passe ensuite. Mon corps bouge, et je sens le vent me gifler les joues. Mes bras remuent à toute vitesse, et je sens ma voix hurler un cri de guerre. Une éternité plus tard, je suis debout, à côté du corps décapité du titan. Ma respiration est tellement saccadée que j'ai l'impression d'être asthmatique. Je lève les yeux vers les soldats rescapés. Et je reconnais une tête.
-Armin !
Il n'a pas l'air blessé, mais il est si pâle que j'ai l'impression qu'il va s'écrouler à tout moment. Je vais jusqu'à lui. Les soldats s'écartent sur mon chemin. Je ne vois pas d'admiration dans leurs yeux, ni du soulagement ou de la reconnaissance.
Je vois de la peur.
x.x.x.x.x
Mikasa nous a rejoints. Elle parle avec Armin, et je devine à son air grave que les nouvelles qu'il lui donne ne sont pas bonnes.
Levi et son équipe ne sont pas venus me chercher. Cela me laisse un peu de temps pour me préparer psychologiquement au sermon que va me passer le Caporal. Je laisse mon angoisse pour ce fait de côté.
Les soldats que j'ai sauvés du titan se tiennent toujours loin de moi. Même Jean, qui est parmi eux, me regarde comme si j'étais un monstre. C'est d'autant plus troublant que je me rappelle à peine la façon dont je me suis débarrassé du titan. Mon corps a bougé tout seul, se coupant totalement de mon esprit.
Tout à coup, Armin pousse un hurlement. On se retourne. Ses yeux sont emplis de larmes et d'effroi. Mikasa le prend par les épaules.
-Armin ! Dis-moi ! Dis-moi où est Eren !
Armin hoquète une bonne minute, incapable de parler. Je me tourne vers Jean :
-Que lui est-il arrivé ?
-Aucune idée, répond-t-il en évitant de me regarder. Connie l'a ramené dans cet état. Il n'a pas décroché un mot.
-Et que faites-vous tous ici ? enchaîné-je.
-Plus de gaz. Et vu tous les titans qu'il y a, nous n'avons pas pu progresser. Nous sommes restés coincés ici. Connie a encore une petite réserve –comme nous tous- mais elle s'épuisera si nous nous engageons ne serait-ce que dans un combat.
Je déglutis. Jean dit vrai. Quand la réserve de gaz arrive à son niveau critique, la seule chose qu'on puisse faire, c'est de voler à toute vitesse vers la base, en ligne droite, sans aucun détour ou mouvement inutile.
-N-Notre unité..., articule Armin. La 34e unité des cadets... Thomas Wagner... Nic Tius... Mylius Zeramuski... Mina Carolina... Eren... Eren Jaeger...
Je sens mes yeux s'écarquiller en entendant le dernier nom. Je titube et vois les épaules de Mikasa se crisper. Impossible... Pas Eren...
-T-Tous les cinq ont accompli leur devoir..., continue difficilement Armin. Et sont morts en héros.
Un murmure parcourt le groupe de soldats. J'avale ma salive. Non... Je revois la puissance de la rage d'Eren... Je revois la force de sa détermination... Je revois sa gentillesse et son courage... Il n'a pas pu mourir ainsi...
Mikasa prend la main d'Armin et lui parle doucement. Le silence qui nous entoure est si pesant que nous entendons chacun de ses mots.
-Armin, reprends-toi. Nous avons encore un objectif à atteindre. Maintenant, relève-toi.
Elle se tourne vers nous. Je suis choquée de voir son regard vidé de toutes émotions. Pourtant, elle se tient bien droite, le menton levé. Elle va parler à Jean et expose un plan à voix haute :
-Si je comprends bien, vous n'avez presque plus de gaz ?
-C'est ça.
-Alors laissez-moi vous ouvrir le chemin.
Un nouveau murmure parcourt notre groupe.
-Tu es folle, réplique Jean. A toi toute seule, battre ces titans ? C'est impossible.
-Je suis forte, rétorque froidement Mikasa. Bien plus forte que toi, que vous tous ici. J'en suis capable.
-Mais la moindre erreur serait fatale... dit une voix masculine.
-Si nous restons ici, ça nous sera également fatal, riposta Mikasa avec une voix dure. Nous devons essayer. Je refuse de mourir sans rien faire. Restez assis là, comme des lâches, si vous le souhaitez. Oui, faites donc ça ! Moi je pars vers la base.
Et elle s'élança, emportée par son 3D Manœuvre. Je vais soutenir Armin, inquiète de son état. Il est moins pâle, mais je le sens encore choqué. J'aimerais lui demander ce qui s'est passé, mais ce n'est pas le moment.
Jean peste et prend la parole :
-Bougez-vous un peu ! Vous voulez vraiment mourir comme des lâches ? Ou comme des vrais soldats ? Pourquoi avons-nous souffert jusqu'ici ? Pour regarder ces monstres nous bouffer, l'air de rien ? Non ! Nous sommes arrivés là pour nous battre, pour tous les éliminer, pour protéger nos camarades ! Pas pour pleurer ! Faisons honneur à ceux qui sont morts en héros, vengeons-les !
Le discours de Jean persuade plus de monde. Plusieurs soldats se lèvent, apeurés, mais décidés. Armin se redresse. La tristesse a fait place à la colère.
Un à un, tout le monde s'élance sur les traces de Mikasa. En chemin, nous croisons plusieurs titans à terre, l'arrière de la nuque parfaitement découpée.
-Elle est incroyable Mikasa, souffle Connie dont je n'avais jusque-là pas remarqué la présence. Comment fait-elle pour être aussi rapide ?
La réponse est pourtant simple, surtout quand on voit les immenses traînées de gaz laissées sur son passage. Je me mords la lèvre avec inquiétude : si ses réserves sont aussi élevées que les nôtres, Mikasa va...
Armin pousse un glapissement. Mikasa tombe en chute libre, heurte un toit et disparaît de notre vue. Je n'hésite pas une seconde : je fonce. Mes bouteilles de gaz sont tout à fait pleines, je peux me permettre cette folie. Armin me suit, mais est vite distancé à cause de ma vitesse.
Retrouver Mikasa n'est pas facile. Les ruelles sont étroites, sombres, et je dois éviter les titans. A l'aide des maigres indices mis à ma disposition (fragments de lames, tâches de sang frais) je parviens à la localiser. J'entame une descente vers ma camarade. Elle est à genoux et fixe le ciel, l'air perdu.
-Mikasa ! crié-je. Tu vas bien ?
Pas de réponse. Je la prends par les épaules et la secoue doucement.
-Mikasa, il faut partir ! Les titans seront ici d'un moment à l'autre, je ne pourrais pas te défendre comme il le faut. Aller, relève-toi.
Je tire sur son bras, mais Mikasa ne bouge pas d'un pouce. Je commence à paniquer. Se serait-elle cogné la tête ? Non, je ne vois aucune blessure. Après quelques secondes de réflexion, je réalise que son état est dû au choc. Le choc de savoir Eren mort.
-Mikasa, ne te laisse pas abattre, supplié-je. Il faut partir... Ou tu mourras toi aussi.
-Le monde est cruel... murmure-t-elle. Et pourtant très beau.
D'accord, elle délire. Je la soulève, un bras sous ses aisselles et commence à marcher. Elle est plus lourde que moi, ce qui ne me facilite pas la tâche. J'essaie de l'installer sur mon dos quand j'entends des bruits sourds. Réguliers. Puis la ruelle devient encore plus sombre. Je lève les yeux et gémis.
Un titan vient vers nous.