Kalies - Tome Premier

By ophelia_yeti

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Depuis plusieurs années, toutes les populations de Melkia s'inquiètent : partout sur leur planète des individ... More

Avant Propos
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Sommaire :
Annexes

Chapitre 7

185 27 78
By ophelia_yeti

**Trigger Warning**

« La personne se révélant néostème ne peut résider à moins de seize kilomètres de l'adresse de résidence de saon tuteurice. La Cité de résidence de la personne se révélant néostème ne peut donc être différente de la Cité de résidence de saon tuteurice. »

art.212-3, C3PM

(Code Pour la Protection des Populations Melkiennes)


Erin restait dans la terre, prostrée. Ses semelles s'enfonçaient dans la boue ; son dos en était couvert, ses cheveux en étaient salis. Son pantalon troué laissait apparaitre son genou qui saignait ; une de ses joues était écorchée. Des croûtes s'étaient formées sur les petites plaies près de son nez. Elle avait l'impression d'être là depuis une éternité ; pourtant vingt minutes à peine avaient filé.

Un éclair plus violent que les autres la ramena à elle. Un fracas accompagné d'un éclat étourdissant déchira la nuit. Erin décida de se relever. Elle réajusta son sac puis escalada de nouveau la balustrade. Son écharpe toujours enroulée autour du cou, elle reprit son itinéraire prévu, seule. Malgré ses efforts, Elle n'arrivait pas à ne plus penser à Meïron. Une partie d'elle-même espérait encore qu'il s'en soit sorti, qu'ils aient été séparés à cause de la glace, que les agents l'aient perdu eux aussi.

La jeune femme passa sa nuit à marcher. Elle ne s'autorisa aucune pause ; ni pour boire, ni pour manger, ni pour dormir. Elle n'avait plus qu'un objectif : atteindre le quartier résidentiel. Ils en avaient fait leur but, il restait le sien. Peut-être que Meïron allait l'y retrouver ? Ses entrailles lui répétaient qu'elle se fourvoyait ; c'était plus fort qu'elle. Ce maigre espoir lui donnait l'énergie nécessaire pour avancer. Sa capuche trempée vissée sur la tête, elle parcourait les rues d'Abriale l'estomac noué. Son trajet fut bien plus long que prévu. Une voix en elle lui criait de rester loin des rues sous contrôle vidéo, de ruser : tourner encore et encore, faire des détours, rester dans les voies les plus étroites, les moins visibles ; celles qui relient les blocs entre eux et que personne ne remarque. Certaines étaient dessinées par des maisons construites sans règles, d'autres par les vestiges des voies de l'époque ogivale ; reconnaissables par à leurs pavés usés et anfractueux.

La fatigue rendait ses mouvements douloureux, un goût âpre et une nausée constante lui coupaient toute faim. Sa gorge était serrée, ses entrailles se tordaient. Quand elle fermait les yeux, les images violentes de la fabrique lui revenaient en tête. Elle entendait encore le craquement des os, le déchirement de la chair ; l'odeur du sang et du caoutchouc lui martelait toujours le nez, ils refusaient de la quitter. Chaque souvenir lui faisait remonter un frisson glacé le long de l'échine. Ses poils se hérissaient sous le dégoût, des maux de cœur plus violents la tourmentaient. Plusieurs fois, elle avait retenu un vomissement, pour ne pas perdre de temps. Erin puisait au plus profond d'elle-même pour ne pas céder sous les vagues de détresse qui menaçaient de la faire craquer à chaque instant.

Ce fut dans un état second que la néostème foula les graviers du lotissement. La nuit avait filé, si bien qu'à son arrivée, les lampadaires s'éteignirent pour faire place à la lumière de l'aube. La pluie s'était calmée sans qu'elle s'en aperçoive. Erin était incapable de savoir depuis combien de temps l'orage avait disparu. Il ne restait de lui plus que des nuages gris qui laissaient apparaitre un ciel d'avant-jour que reflétaient des flaques lisses. Perdue, la jeune femme se retrouva face à une voie sans issue, bordée de trottoirs proprets et de parkings désespérément vides. Seule une maison avait sa petite voiture dans la cour. Aucun volet n'était encore ouvert, mais de la vapeur s'échappait d'une sortie de sèche-linge. Le lieu était aéré, une bulle d'air au milieu des rues étouffantes et des bâtiments incohérents d'Abriale.

Autour de cette survivante se dressaient des bâtisses perdues. Certains avaient leurs portes enfoncées ; elles pendaient, lamentables, tordues dans l'ouverture. Certaines vitres étaient brisées, des impacts plus sombres mouchetaient les murs et l'herbe avait été labourée par les roues silencieuses des camions. Ce triste tableau n'était autre que sa première escale. Après repos et réflexion, Erin repartirait, comme prévu, vers la zone industrielle, avec Meïron ou seule. Chaque maison possédait son jardin et, pour certaines, sa clôture. Quelques parterres étaient marqués par les pneus des véhicules discrets du CSA. D'autres étaient creusés par les pas de néostèmes en fuite. Rien n'indiquait qui s'en était sorti et qui avait été emmené. Les portes étaient couvertes des banderoles vert et noir iconiques des scellés. Elles étaient les témoins des familles chassées. Erin essayait de ne pas réfléchir aux tristes destins de ces gens pour se concentrer sur sa survie.

Elle choisit une maison plus enfoncée dans son jardin, cachée par des arbres fruitiers. Un pomansier se distingua, les fruits n'étaient pas encore mûrs, mais ses fleurs perçaient l'ombre tombante. Leurs pétales orange, dentelés et bordés de rose laissaient échapper une odeur sucrée qui rappela à la néostème le goût unique de leurs fruits. Il lui était devenu impossible de le décrire, mais le simple souvenir du plaisir gustatif qu'elle avait pu ressentir en mordant dans la chair juteuse la fit saliver. Face à ces pensées appétissantes, son estomac se réveilla. S'en suivit une réaction en chaine : sa fatigue accumulée remonta de ses jambes à sa tête, et lui provoqua une migraine atroce ainsi que de violentes nausées. Sa vue se flouta et ses mouvements devinrent maladroits. Sonnée, Erin s'empressa de gagner son nouvel abri. Elle fit le tour du bâtiment jusqu'à trouver la porte arrière, ouverte, mais intacte. Peut-être que les propriétaires avaient pu s'enfuir finalement.

Avant de pénétrer dans la maison, la jeune femme observa une dernière fois les alentours. Derrière les clôtures, elle pouvait voir les demeures hautes et luisantes des beaux quartiers. Plus son regard s'enfonçait dans l'horizon, plus la richesse des habitations s'élevait et brillait. Le levant se reflétait sur leurs arrêtes. Les yeux d'Erin descendirent et rencontraient les taches noires des classes modestes jusqu'à entrevoir le haut des toits irréguliers de ses habituels bas quartiers. Ils lui paraissaient bien loin, ses amis protecteurs. Elle ne pouvait compter sur les asphaltes propres des faubourgs voisins, mais surtout sur les restes étriqués des voies ogivales, grignotés par les maisons. Ces petits passages seraient sa chance. Une partie d'elle remercia la première révolution industrielle et son désir de communication, traduit par des bâtiments rarement accolés : la ville avait vendu sa sagesse surannée pour un labyrinthe incohérent formé par un méli-mélo de castes concomitantes. Les révolutions suivantes avaient fait s'élever et briller la richesse, sans pour autant réussir à gommer ni briser ce salmigondis, donnant ces abords de mosaïque si spécifiques à Abriale.

La porte arrière ouvrait sur une buanderie. Une étagère était en travers et plusieurs paniers de linge se trouvaient renversés. Erin usa ses maigres forces pour redresser le meuble. Une machine à laver ainsi qu'un sèche-linge prenaient la poussière pendant que des vêtements gisaient sur un étendoir. La moisissure ambiante dégageait une odeur collante de lessive et d'humidité alors qu'un nuage poisseux stagnait. La cuisine était dans un état pire encore. Dès que la néostème y posa un pied, une odeur de pourriture l'attaqua. La main plaquée sur le nez, elle progressa dans la pièce : la table était toujours en ordre, les chaises étaient renversées, des assiettes jonchaient le sol, accompagnées de restes. Ces derniers étaient couverts d'une pellicule blanche. Un plat

attendait encore sur le plan de travail. Il se mouvait sous les asticots qui le rongeaient. L'eau du pichet avait verdi, les poissons flottaient, le ventre en l'air, dans une eau sale. Erin comprit qu'elle avait sûrement choisi la première maison purgée, celle qui avait attiré l'œil du CSA. Au bout de quelques minutes, ses narines s'habituèrent à l'odeur ; la jeune femme put respirer à sa guise. Elle s'aventura dans le salon et les autres pièces, qui étaient dans un état tout aussi piteux que la cuisine et la buanderie.

Une fois ses repères pris, Erin observa une nouvelle fois l'horizon : le jour continuait son ascension avec assurance. Une pensée pour Meïron s'invita et pinça le cœur de la jeune femme. Pour ne pas imaginer le pire, elle décida de préparer son repas avant de dormir. Alors, dans un état second, elle récupéra un bol dans un placard, qu'elle essuya avec son haut, et y versa un sachet de pain. Une fois le bol plein, elle s'installa dans une chambre pour l'y poser sur le sol. L'eau froide allait prendre un moment à former son repas, elle pouvait en profiter pour dormir. Le matelas collait, la poussière lui irritait la gorge. Malgré tout, retrouver un lit effaçait tous ces désagréments. Elle s'endormit immédiatement, épuisée par sa course, ces émotions, la perte de son ami. Même avec toute cette fatigue, Erin restait accrochée à son rythme : ses yeux s'ouvrirent une heure plus tard, éblouis par la lumière du jour. Son pain l'attendait, rabougri au fond de son bol. Avant de se nourrir, la jeune femme fit un tour de la maison. À ras le sol, quand une fenêtre risquait de la trahir, elle vérifiait si rien de suspect ne s'était introduit dans son repère pendant son sommeil.

L'espoir de trouver son ami ne la quittait pas, mais resta vain. Chaque battement de paupière le faisait apparaitre, chaque bruissement lui semblait être sa voix ou ses pas. Quand ce n'était pas lui, c'étaient les cris des agents qui résonnaient dans sa tête. Un rayon de soleil se refléta dans l'un des disques accrochés dans les arbres, pour effrayer les oiseaux, et l'ébloui. L'éclat lui provoqua une migraine foudroyante qui la plaqua au sol. Un sifflement retentit dans son crâne. Erin essayait tant bien que mal de l'étouffer en pressant ses paumes contre sa tempe. Elle ouvrit finalement les yeux pour trouver à ses pieds l'amas sanglant des restes de l'agent. Elle réussit à retenir un cri en couvrant sa bouche avec ses mains à presque en suffoquer. L'odeur rouillée lui attaqua le nez. La jeune femme se laissa tomber sur le sol entre deux meubles et se pressa contre le mur. Sa respiration était réprimée par ses paumes et des sanglots incontrôlables qui montaient. Ses yeux ne pouvaient quitter le cadavre de l'agent qui gisait là. Un battement de cil et le casque abimé disparu ; il céda sa place à un visage vide, sans traits. La tête se redressa vers elle et ses orbites bouchées la fixèrent. La mâchoire montait et descendait, tirant la peau qui couvrait ce qui aurait dû se trouver sa bouche. Rien d'autre ne sortait de sa gorge que des grognements indéfinis. Erin se recroquevilla sur elle-même et ferma les yeux le plus fort qu'elle put. La scène tournait en boucle dans sa tête, encore et encore, de plus en plus vite, jusqu'à devenir totalement incohérente : tout se mélangeait, à perdre sens et lui donner la nausée. La néostème se força à garder un contrôle sur sa respiration en se concentrant sur de profondes inspirations. Entreprise difficile avec ses hoquets mêlés à l'emballement de son cœur.

Finalement, les images de son meurtre disparurent pour ne laisser que le noir de ses paupières. Quand elle les ouvrit, le corps était parti, le sol était lisse, vide, terne de poussière. Fébrile, elle essuya son nez et ses yeux avant de se lever pour aller lentement vers la chambre où l'attendait son sac. Elle en sortit son écharpe, se l'enroula tout autour, puis s'allongea sur le matelas. Son nezcaché dans la laine, ses yeux trempaient les fibres sans qu'elle cherche à les arrêter. Erin avait l'impression de revenir à ses débuts de cavales : le désespoir et la peur d'être seule lui vidaient le cœur. Deux jours avaient suffi pour faire naître en elle une toute nouvelle rage, une énergie puissante qu'elle ne soupçonnait pas, et voilà que tout avait disparu. Peut-êtreétait-ce une simple illusion ? Peut-être n'avait-elle jamais abrité cette poigne.

Elle passa les heures qui suivirent ainsi prostrée, à vider sa détresse pour ne laisser qu'un calme morne en elle. L'ombre de la lampe de chevet s'allongeait sous le chemin du soleil, jusqu'à s'étendre sur le mur, démesurée. La jeune femme sortit son visage de son cocon pour la fixer. Elle crut y apercevoir un des fusils du CSA ; elle contra ce tour de son cerveau par le discours plein de hargne de son ami. Elle se releva alors, puis se pencha sur sa carte qu'elle étendit sur le matelas. Assise en tailleur, elle tentait de se concentrer sur les lignes de la ville pour éclaircir ses prochaines cavales. D'un coup de main, elle débarrassa ses yeux du voile flou posé par ses larmes. Ses prunelles retracèrent tout le chemin qu'elle avait parcouru jusqu'ici, en se forçant à ne pas replonger dans les images qui la tourmentaient. Il lui fallait évaluer la situation, calculer les potentiels déplacements du CSA et analyser par leur biais la sécurité que pouvait lui apporter chaque endroit. Malgré tous ses efforts, la jeune femme ne parvenait pas à clarifier ses idées : elle avait l'horrible impression d'être embourbée dans sa propre détresse, dans un sentiment d'incapacité désespérant. La fatigue, l'angoisse, la tristesse, ou l'union de ces tourments paralysaient totalement ses facultés sans qu'elle puisse lutter. Erin avait joui du luxe de ne pas se voir aussi limitée depuis un long moment, malgré ses mois de fuites et de survie. Elle se maudit pour s'être permis de replonger ainsi dans ses vieux démons.

Dans son ancienne vie, elle se serait sûrement simplement allongée avec son chien et se serait reposée dans le calme, une tasse de thé près d'elle, ou ses parents au téléphone pour la réconforter ; mais elle ne pouvait plus se permettre ce luxe. En se doutant des conséquences, elle puisa dans le peu d'énergie qu'elle avait pour s'adonner à des activités qui solliciteraient moins son cerveau. Mécaniquement, elle s'enfonça dans la salle de bain. L'eau verte d'un bain abandonnée colorait la faïence alors que des savons collaient sur le bord du lavabo ; des taches de moisissures s'étaient formées dans les joints du carrelage, l'absence d'aération laissait planer une odeur décousue, résultat du mélange d'humidité, galets de toilettes et de poussière collante. Après mûre inspection, le lavabo n'était pas si sale, seule une pellicule poisseuse le recouvrait. Erin ouvrit le robinet pour décoller la saleté. Elle récupéra ensuite ses vêtements dans son sac, du moins le peu qu'elle avait, pour les faire tremper et les laver du mieux possible. Puis elle se servit des dossiers de chaises pour qu'ils sèchent.

Ce fut à ce moment qu'elle croisa les aiguilles d'une horloge. L'après-midi était déjà bien avancée. La jeune femme avait complètement perdu la notion du temps, si bien qu'elle s'en effraya. Elle retourna dans la chambre, s'assit contre le lit, puis prit sa tête entre ses mains avant de se balancer lentement. Elle mordilla de nouveau l'ongle de son pouce tout en essayant de ne pas plonger dans une autre crise. La journée était passée, elle n'avait aucun itinéraire, aucune perspective, et elle était incapable de prendre une décision. Alors elle écouta sa raison, céda à son épuisement, puis s'allongea de nouveau. Là encore, elle observa les ombres descendre lentement avec le soleil, jusqu'à ce que la pénombre reprenne ses droits. Le sommeil se laissait désirer, et comme toujours, s'arrêtait pour qu'Erin puisse faire un tour de repérage, avant de se recoucher. Mais ce petit manège ne dura qu'un temps.

Dans le milieu de la nuit, alors qu'elle attendait de se rendormir, une profonde sensation de froid la paralysa, elle l'envahit, coupa son souffle, sa voix. Ce fut dans cette détresse que la néostème aperçut un petit être sur la table de nuit. Sa tête était démesurée pour son corps, elle devait en faire le double, il se tenait accroupi sur ses jambes trop longues pour son tronc : ses genoux arrivaient sous son menton ; des bras minuscules et maigrelets sortaient de son torse, terminés par de petits doigts crochus. Son corps était composé de milliards de moucherons silencieux, qui grouillaient.

Lentement, il tourna sa tête vers le visage d'Erin, et dévoila deux yeux blancs perçants. « Blanc » était un euphémisme tant ils semblaient aspirer toute noirceur : comme des trous noirs, ils dévoraient les particules de son propre corps qui se perdaient à l'infini dans la clarté de ces disques flous. Et dès qu'il planta son regard vide dans celui de la jeune femme, un cri strident s'éleva au plus profond de son crâne. Des sueurs froides la prirent. Elle se débattit pour bouger son corps, en vain. Elle restait immobile, à la merci du spectre et de son cri. Bientôt, des douleurs perçantes transpercèrent sa chair, en même temps que la créature grattait ses jambes difformes. Erin voulait crier, secouer la tête dans tous les sens pour se forcer à reprendre ses esprits, mais aucun muscle, aucun son ne répondit à l'appel. Abandonnée à son tortionnaire immobile, un fourmillement commença à remonter de ses jambes jusqu'à son crâne. La perception de son corps la quitta ; il ne lui restait plus que la douleur, la peur, et l'horrible sensation de tomber encore et encore, alors que ses yeux lui hurlaient le contraire. Le spectre se pencha soudain en avant. Il tendit une de ses jambes jusqu'au lit pour grimper sur Erin. Son buste faisait balancier pour qu'il ne bascule pas à cause de son énorme tête. Celle-ci restait droite, ses yeux ne la quittaient pas, alors que tout le reste de son corps semblait articulé, proche de l'indépendance. Il ne pesait rien, ne faisait aucun bruit. Il rapprocha sa tête de son visage. La jeune femme lutta pour réussir à ne bouger ne serait-ce que son petit doigt.

Dans ce froid glacial, la pulpe de son pouce commença à la brûler. De plus en plus intense, la chaleur se diffusa sur ses autres doigts ; son autre main se retrouva à son tour en proie à ces flammes invisibles. Elles lui mordirent la peau, s'enfoncèrent dans sa chair jusqu'à ses os, remontaient sur ses poignets. Erin voulait crier sa douleur, hurler de toute ses forces, mais restait toujours cruellement silencieuse. Plus le spectre se rapprochait de son visage, plus la douleur était intense. Dans un effort surhumain, elle réussit à relever son genou. Un petit sursaut, discret et faible, qui la libéra instantanément de son calvaire. Tremblant, le souffle court, elle roula sur le côté pour reprendre ses esprits. Le spectre avait disparu, le froid, les douleurs tranchantes aussi. Elle ne gardait plus que cette sensation de brûlure qui restait comme un fantôme. Elle fixa ses cicatrices ; des soubresauts secouaient ses doigts.

La jeune femme serra ses poings l'un dans l'autre de toutes ses forces. Puis elle força sa respiration à se calmer. Elle comptait quatre secondes pour inspirer, huit pour expirer. Après quelques minutes d'exercices, elle récupéra son sac et en sortit une paire de vieux gants en laine. Cacher ainsi ses marques, empêcher la peau à peau entre ses doigts lui permit d'atténuer la douleur. Elle resta de longues minutes à fixer les motifs du tricot ces petits rennes blancs la réconfortaient ; les dessins géométriques sur un fond vert lui amenaient un peu de douceur. Certaines mailles étaient distendues ; à certains endroits, le blanc avait jauni par la vieillesse. Ses gants arrivaient toujours à tirer un sourire à Erin : cette fois-ci, ils lui rappelèrent la fois où elle les avait gardés jusqu'au printemps, lors de sa première année de vie avec ses parents. Ils lui avaient dit de les mettre pour ne pas tomber malade ; elle avait simplement appliqué la recommandation à la lettre, le temps ne faisait juste pas partie des paramètres pris en compte pour elle. Et depuis, elle avait beau grandir, toujours elle retrouvait ces motifs et ces couleurs, bien que le vêtement soit neuf. Ce rituel de retrouvailles, ainsi qu'une image familière l'aidait à engager chaque hiver plus sereinement : une chose était sûre, figée dans le temps. Ce genre de rituels, son quotidien en avait été parsemé par ses parents. Ils étaient comme des phares qui l'aidaient à appréhender le monde sans angoisses. Désormais, de ces appuis ne restait plus que ces gants ; et de son quotidien, plus qu'un flou inquiétant, sans la moindre prise pour se hisser et sans pouvoir apercevoir le moindre avenir.

De nouveau victime ses démons, Erin se rappela les discours de Meïron, puis utilisa le petit regain d'énergie pour refaire un tour dans la maison. Ses vêtements n'étaient pas secs, mais elle les récupéra quand même pour les fourrer dans son sac. Sa tête lui tournait toujours, tout son corps n'avait l'air de réagir qu'aux gestes les plus primitifs. Dès qu'elle essayait de se replonger dans sa carte ou d'élaborer la suite de son plan, tout se mélangeait, et plus rien ne faisait sens. Dans son automatisme, la jeune femme se permit un repas qui allait lui aussi demander bien du temps pour gonfler, alors, comme à son arrivée, elle décida de tenter de se reposer une nouvelle fois.

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