Cela faisait deux semaines que Maël ne m'avait pas adressé la parole. Samedi dernier, lors de notre dernière soirée chez lui il m'avait tout bonnement ignoré. J'avais espéré que ce soir son comportement avec moi aurait évolué mais c'était mal le connaitre.
Il agissait comme un gamin et sa réaction m'énervait au plus au point. S'il pensait que c'était moi qui allait faire le premier pas, il rêvait. C'était peut être une tête de mule mais j'étais pire que lui. A ce jeu là, il allait perdre.
En ce vendredi soir, nous avions décidé d'innover un peu et de sortir tous ensemble dans une boite de la capitale. Verre à la main, j'écoutais Lily, légèrement éméchée, m'expliquer les règles du baseball. Autant dire que je ne comprenais rien, je n'étais même pas sûre qu'elle même comprenait ce qu'elle disait.
- Tu dis n'importe quoi. S'exclama Sacha. C'est pas du tout ça la règle.
- Si c'est ça.
- Non, je m'y connais mieux que toi.
- Ah bon? Et pourquoi ça minus Samaras?
- Ne m'appelle pas comme ça Akrour. Et pour ton information, je suis américain donc je m'y connais mieux que toi.
- Genre ce n'est pas parce que tu es américain que forcément tu connais les règles du baseball.
- C'est un sport américain.
- Et alors tous les américains ne connaissent pas les règles du baseball. Et en plu,s tu n'es pas vraiment américain.
- Si.
- Non, ta grand-mère est américaine nuance. Toi tu as juste des origines américaines.
- Je suis américain.
- Arrête de raconter de la merde minus, on n'est pas américain. Et tu sais à peine aligner deux mots en anglais.
- Arrête de m'appeler minus, Georgie, je fais vingt kilos de plus que toi.
- Mais il a raison, tu ne sais même pas parlé anglais.
- Tu dis qu'il a raison juste parce que c'est ton mec.
Je cessais de les écouter se chamailler pour me concentrer sur Georges qui venait de s'installer à côté de moi et qui me regardait fixement.
- Quoi? Demandais-je en portant mon verre à ma bouche.
- Il se passe quoi entre mon frère et toi?
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Ne me mens pas Inès, ça se voit comme le nez au milieu de la figure que vous vous faites la gueule. Vous ne vous adressez plus la parole.
- Pour ton information c'est lui qui me fait la gueule pour rien. Et si tu veux savoir pourquoi tu n'as qu'à lui demander.
- Figure toi que je lui ai déjà demandé mais il a refusé de me dire quoi que ce soit.
- Je ne peux rien pour toi alors.
Il fit une moue perplexe et me regarda inquiet.
- Vous ne vous faites jamais la gueule. C'est à peine si vous vous engueulez d'habitude.
- Ça nous arrive de nous engueuler.
- Non pas vraiment. Vous avez plutôt tendance à être tout le temps d'accord et à être du même côté. C'est même chiant des fois parce que tu le défends tout le temps même s'il a tord. Et l'inverse est aussi vrai. Il te défend tout le temps.
- Peut être que ce que tu dis est vrai, mais ce n'est pas pour autant qu'on ne peux pas se prendre la tête.
- Ouais mais si vous pouvez vous réconciliez rapidement ça m'arrangerez, il fait la gueule depuis deux semaines et c'est relou.
- Qu'est ce qui est relou?
Je sursautais en sentant un bras entourer mes épaules. Je tournais la tête pour me retrouver face à Erwan.
- Maël et Inès se font la gueule. Expliqua Georges à son meilleur ami.
- Bin pourquoi?
- Elle ne veut pas me le dire.
- Je vois. J'espère que ça s'arrangera.
Il déposa un baiser sur ma tempe. Je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'oeil cinq mètres plus loin, là où se trouvait Maël. Il avait les yeux fixés sur Erwan et si ses yeux avaient pu le tuer sur place, ils l'auraient fait.
Forte heureusement, Erwan ne le remarqua pas. Je secouais la tête, agacée par sa réaction. Dans le but de le provoquer et de l'énerver encore plus, je posais ma tête contre l'épaule d'Erwan qui déposa un second baiser sur ma tempe.
- Viens on va danser. S'exclama Lily en me tirant le bras.
Je ne me fis pas prier et la suivis. On se fraya un chemin jusqu'à la piste de danse et on se déhancha toutes les deux comme des folles sur une musique rythmée. Je me mis à hurler les paroles de la chanson en secouant mes cheveux dans tous les sens.
- Ça fait du bien de se défouler, hein? Me hurla Lily à l'oreille.
J'acquiesçais souriante.
- Je suis contente d'être là avec toi. Je t'aime trop trop fort.
J'éclatais de rire. On dansa encore pendant plusieurs minutes. Puis je tenta un regard vers notre groupe. Je ne fus qu'à moitié surprise de voir Maël en charmante compagnie. Son charme avait encore fait de l'effet et grâce à lui, il avait une jolie blonde accrochée à son cou.
Cette scène me blessa plus que je l'aurais voulu. Je détestais le sentiment de jalousie qui s'installa dans mon estomac. Agacée par Maël mais aussi par moi même, je tirais Lily vers le bar. Je commandais un verre et le vidais rapidement sur le regard rieur de Lily.
Puis un, puis deux verres... sur une temps beaucoup trop court. Résultat: ma tête me tournait et je commençais à avoir la nausée.
- Je ne me sens pas bien, il faut que je sorte. Murmurais-je à Lily.
- Ça ne va pas? Tu supportes bien l'alcool d'habitude.
- J'ai bu trop vite. Il faut vraiment que je sorte. Répétais-je.
- Attends bouge pas, je vais chercher Georges, il sera gérer, je suis trop bourrée moi. Bouge pas.
Je fis un petit oui de la tête, incapable de hocher la tête trop fortement. Cependant Lily mit trop de temp à revenir, me sentant trop oppressée par le monde qui m'entourait et ayant un grand besoin d'air frais, je pris l'iniative de sortir seule.
Je ne sais pas vraiment comment mais je me retrouvais dehors. Soulagée, je repris une grosse bouffée d'oxygène et m'asseyais sur le trottoir la tête entre les jambes.
- Putain Inès, ça va?
Je reconnus la voix d'Elias.
- Oui ça va mieux.
- Respire. Dit-il en s'asseyant à côté de moi.
Quelqu'un me déposa ma veste sur le dos. Sans savoir qui c'était je le remerciais.
- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé? Me demanda Elias.
- Je crois que j'ai bu trop vite. Où est Lily?
- Avec Georges, je crois qu'elle a aussi un peu trop bu.
- Retourne à l'intérieur, je gère.
Je me crispée en reconnaissant la voix de Maël.
- D'accord. Allez courage bébé Inès. Répliqua Elias.
- M'appelle pas comme ça, sale con.
- Tu as l'air d'aller déjà mieux.
Il embrassa ma tempe avant de me laisser seule en compagnie de Maël. Je sentis ce dernier s'assoir à côté de moi.
- Ça va ?
- Ça y est tu as décidé de me reparler?
- Commence pas à faire ta gamine.
- Tu te fous de ma gueule, c'est toi qui fais le gamin à faire la gueule pour rien.
- Je ne fais pas la gueule pour rien, j'avais juste besoin de digérer le truc et de prendre sur moi pour ne pas aller lui casser la gueule.
- Je ne vois pas pourquoi tu devrais lui casser la gueule, il n'a rien fait de mal.
Maël soupira et se leva.
- Allez viens, on rentre. On ne va pas parler de ça ici et en plus il fait froid, tu vas finir par tomber malade.
Il sortit son portable pour commander un Uber mais je l'en empêchais.
- J'ai envie de marcher. Ça va me faire dessoûler.
- D'accord.
Maël mit ses mains dans ses poches et on se mit à marcher en silence. Après environ cinq minutes de trajet, n'y tenant plus je me rapprochais de lui et collais mon corps contre le sien. Il ne chercha même pas à me repousser et passa son bras autour de mon épaule.
On regagna rapidement son immeuble. Une fois arrivée, chez lui, je pris une douche bien chaude et enfilais mon habituel tee-shirt avant de rejoindre Maël dans sa chambre. Il était installé sur son lit, les mains derrières la tête, les yeux rivés sur le plafond semblant réfléchir profondément.
Je m'installais à ses côtés et posais ma tête sur son torse. Je décidais de le laisser parler en premier. Ce qu'il fit après plusieurs minutes de silence.
- Tu méritais mieux que lui. Tu aurais dû attendre et faire ça avec quelqu'un qui te méritait plus.
- Je t'en pris Maël, ce n'est pas un drame. Erwan est un mec bien et même si je n'étais pas amoureuse, ça s'est bien passé. Je ne suis pas le genre de fille, toute gentille et toute mignonne, qui allait attendre l'homme de sa vie.
Il grogna en me lançant un regard noir.
- Je ne comprends pas pourquoi tu te mets dans un état pareil, il n'y a rien de dramatique. Répliquais-je agacée.
- Ça me soule, d'accord.
- Mais pourquoi?
- Déjà, parce que tu ne m'as rien dit.
- Quoi? Tu voulais que je te fasse une annonce officielle pour te dire que j'avais perdu ma virginité. Et je ne vois pas en quoi ça te regarde.
- Je pensais que l'on était plus proche que ça. Et puis ça me soule que tu aies fait ça avec Erwan.
- Pourquoi?
- Je ne sais pas, ça me soule c'est tout.
Je haussais un sourcil face à cet argument peu valable.
- Et puis tu réagis comme si ce n'était pas important. Et je ne te parle pas que de cette histoire. En général, tu fais comme si les choses n'avaient pas d'importance pour toi, comme si ça te passait au dessus. Alors que l'on sait tous les deux que ce n'est pas le cas.
Je l'observais sans rien dire. J'avais envie que cette conversation s'arrête au plus vite. Je détestais les conversations à coeur ouvert où les gens t'analysaient. Dans ces cas là, soit ils avaient tout faux et la situation devenait absurde, soit, comme Maël, ils avaient raisons et cela faisait ressortir des sentiments que tu essayais d'enfuir chaque jour au plus profond de toi.
C'était le cas pour moi, je faisais comme si rien ne m'atteignaient, je faisais comme si les choses n'avaient aucune importance alors qu'au fond de moi j'étais effrayée.
Voyant que je n'étais pas décidée à répondre, il continua et enfonça le clou.
- Tu fais comme si tu te fichais de ce que les gens pensaient de toi alors que je sais très bien que la moindre critique t'affecte, tu fais comme si tu n'en avais rien à faire de tes études alors que ton avenir professionnel t'effraie, je sais que tu as peur de ne pas réussir. Et là encore, tu fais comme si tes relations sentimentales n'avaient aucun impact sur toi. Pourquoi tu continues à faire semblant?
Je respirais en grand coup avant de secouer la tête.
- Tu fais trop de psychologie. Il n'y a rien à déduire de cette situation. J'avais envie de le faire avec Erwan et je l'ai fait c'est tout. Il n'y a aucune autre raison à ça. Et je ne fais semblant de rien.
- Si.
- Non.
- Si.
- Non.
- Putain. Est-ce qu'on va vraiment jouer à ce jeu là toi et moi? Ça ne sert à rien de me cacher ce que tu ressens, je te connais assez pour savoir ce qu'il se passe dans ta tête. Et je sais très que depuis quelques semaines, tu a peur de ce qu'il va se passer après ton bac. Je sais très bien que ton avenir te fait peur et que tu as peur de ne pas réussir. Et c'est normal d'avoir peur, alors arrête de me cacher ce que tu ressens.
- Tu es mal placé pour parler.
Il fronça les sourcils, étonné par ma remarque.
- Quoi c'est vrai non? De nous deux je crois que c'est toi qui fait le plus semblant.
- Je ne fais semblant de rien. Répliqua-t-il, perdu.
- Menteur. Tu n'as rien à voir avec l'image que tu renvoies, et en particulier l'image que tu renvoies à toutes ses filles avec lesquelles tu couches. Tu fais le mec sûr de lui, Don Juan, qui pense plus à lui qu'à ce que ressentent les autres. Tu fais croire que ça ne te fait rien de briser des coeurs. Tu fais genre je suis trop beau, trop fort, trop intelligent et il y a que moi qui compte. Alors qu'au fond tu es la personne la plus généreuse que je connaisse. Tu te soucies plus du bonheur de ta famille que du tien. Si demain j'avais un problème, tu serais la première personne que j'appellerais parce que je sais que tu laisserais tout tomber pour venir m'aider. Alors arrête de me faire une pseudo morale, alors que toi même tu n'appliques même pas tes conseils.
Mon ton fut plus dur que je ne l'aurais voulu mais ses remarques m'avaient énervée.
Sa réaction ne fut pas celle que j'attendais.
- C'est toujours plus facile de faire semblant que de montrer qui on est vraiment. Dit-il sérieusement.
Je haussais les épaules. Contrairement à lui, je n'étais pas vraiment prête à avouer que ce qu'il avait dit était vrai. Parce que cela m'aurait sûrement obligé à confesser mes peurs. Et il était plus facile de les ignorer que d'y faire face.
- Moi aussi j'ai peur tu sais.
Peur de quoi? Il réussissait tout ce qu'il entreprenait. Je le regardais dubitatif pas vraiment convaincu par ses dires.
- J'ai peur de grandir. J'aime bien ma vie comme elle est, les sorties entre potes, les repas de famille. Je n'ai pas envie que ça change.
- Pourquoi ça changerait?
- Parce qu'un jour il faudra que je devienne un adulte, que j'arrête de faire mes conneries et que je me pose. Et je crois que je ne suis pas encore prêt à couper le cordon avec mes parents. Je suis bien comme je suis.
- Tu n'as que vingt quatre ans Maël, tu as le temps de te poser.
- Je sais mais ce n'est pas pour autant que je ne suis pas en flippe. J'aimerais bien rester un gamin insouciant toute ma vie.
- Tu es un peu Peter Pan dans le fond.
- Je crois bien.
On resta silencieux plusieurs minutes, l'un face à l'autre. Il m'observait et jouait avec quelques mèches de mes cheveux.
- Tu sais. Je ne m'inquiète pas pour toi, tu vas finir par trouver ta voie. Tu es intelligente, Inès, plus que tu ne le crois. Je suis sûr que tu vas avoir un super avenir, alors arrête d'avoir peur.
- Et si je ne trouve pas ma voie.
- Pourquoi tu ne la trouverais pas?
- Je n'ai même pas la moindre idée de ce que je veux faire plus tard, je m'ennuie en cours, il n'y a rien qui me passionne.
- Personne ne te demande de trouver un truc qui te passionne au point de vivre ta vie qu'en fonction de ça. Il faut juste que tu trouves quelque chose qui te plaise, quelque chose qui te rende heureuse. Et ça tu le découvriras à un moment où à un autre, ne sois pas trop pressée c'est tout.
- Quand je te vois toi qui a réussi médecine tu premier coup, Georges qui a trouvé sa voie sans problème, Lily qui sait, depuis toujours, qu'elle veut faire avocate. Et Sacha qui va sûrement devenir un grand rugbyman. J'ai l'impression d'être complètement à la ramasse. Vous savez tous ce que vous voulez faire. Mais moi quand on me pose la question, je n'en sais juste rien. Et ça me fait flipper.
- Je sais mais ça va bien se passer. Tu n'as même pas encore le bac, laisse toi le temps de te découvrir. Et je ne me fais pas de souci pour toi. Tu es quelqu'un de déterminer quand tu veux un truc tu l'obtiens. Tout va bien se passer.
- Tu crois?
- J'en suis sûr, on devrait tous les deux s'en sortir. Et tu sais que je suis toujours là pour toi.
- Je sais.