- Chez moi c'est de l'autre côté.
- Je sais. Me répondit Hakim sans quitter la route des yeux.
- Bin pourquoi on va part là alors?
- J'ai faim.
- Et donc?
- Et donc on va manger.
- Et je suis obligée de venir avec toi? Râlais-je.
- Sympa, dis-le si ça te fait chier de rester avec moi. Souffla-t-il.
Je me tassais dans mon siège et ne me résolus à le suivre, après tout je n'avais pas trop le choix, le seul moyen de m'échapper aurait été de sortir de la voiture lorsqu'il se serait arrêté à un feu. Et puis pour être honnête, je n'avais pas vraiment envie de me retrouver seule chez moi car je savais qu'une fois là bas j'aurai broyé du noir.
- Je me suis dit que comme ça on pourrait parler. Continua-t-il.
- Parler de quoi? Dis-je en le dévisageant.
- De ce qu'il s'est passé ce soir, tu as peut être envie d'en parler non?
- Putain Hakim, je t'ai dit qu'il n'y avait rien à dire, je ne suis pas une petite chose fragile, je n'ai pas besoin que tu me réconfortes. Je veux juste que l'on arrête d'en parler.
- D'accord comme tu veux. Dit-il en haussant les épaules. Mais si tu as besoin d'extérioriser je suis là.
- Ouais... Merci, je suppose. Grognais-je.
Le silence retomba dans la voiture, j'en profitais pour le dévisager du coin de l'oeil. Il semblait pensif, j'essayais d'analyser l'expression de son visage afin de comprendre ce qu'il se passait dans sa tête. Cependant je ne devais pas être aussi discrète que je ne le pensais.
- Qu'est ce que tu as à me regarder comme ça? Dit-il sans me regarder.
- Je me demandais juste ce qui avait changé.
- Comment ça?
- Et bien depuis que l'on se connait tu me détestes et encore plus depuis que je t'ai dit... enfin depuis notre dispute de la semaine dernière. Je t'ai présenté des excuses et tu m'as complètement ignoré. Et ce soir, tu viens prendre ma défense et d'un coup tu t'inquiètes de savoir si je vais bien. Donc je me demandais ce qui avait changé.
- Je ne t'ai jamais détesté.
Je ricanais.
- Tu ne m'appréciais pas non plus.
Il soupira et s'engagea dans le drive d'un McDonald.
- Tu veux quoi? Me demanda-t-il.
Il prit notre commande et j'insistais pour payer. Il ne lutta pas longtemps avec moi et prit la carte que je lui tendais. Une fois en possession de notre repas, on reprit la route.
J'attendais à ce qu'il reprenne notre discussion mais il ne le fit pas, croyait-il que j'allais laisser tomber ? J'étais curieuse, j'avais besoin de réponses à mes questions.
- Alors, tu vas me dire ce qui a changé?
Son soupire me signifia qu'il avait espéré que j'abandonne mes questions.
- Donne moi une frite avant.
J'obéis. Il prit son temps pour la manger. Patiemment, j'attendis qu'il prenne la parole.
- Déjà, je ne t'ai jamais détesté.
- Admettons. Dis-je en prenant une frite à mon tour.
- Ensuite, je me suis juste dit que l'on pourrait apprendre à se connaitre un peu mieux.
- Tu dis ça comme ça ? Dis-je en arquant un sourcil.
- Bin oui.
- Genre, tu t'es dit ce matin, tiens Léa et moi on pourrait devenir ami.
- Bin ouais.
- Et autrement la vraie raison. Rigolais-je en voyant bien qu'il ne disait pas toute la vérité.
Il se stoppa devant un immeuble et pénétra dans un parking privé. Je supposais qu'on allait chez lui. Je me retins de lui demander pourquoi on venait ici, inquiète qu'il prenne ma question pour un changement de conversation.
- Qui te dit que je ne dis pas la vérité.
- Ça me parait évident, toi et moi on ne se parle que pour s'envoyer des pics et ça fait des jours que tu m'ignores. En plus de ça, je t'ai présenté des excuses et tu t'es barré sans me répondre. Donc n'essaye pas de me faire croire que tout d'un coup tu veux que l'on devienne ami.
- Tu es chiante. Dit-il en arrêtant le moteur de la voiture.
- Je sais ça, tu me l'as déjà dit.
Il se retira sa ceinture et se tourna vers moi.
- Emilie m'a pris la tête parce qu'elle ne supporte plus l'ambiance entre nous. Du coup je me suis dit que je pourrais faire un petit effort. Et puis elle t'adore, tout comme mon frère et 2zer, c'est donc que tu ne dois pas être si chiante que ça.
- Plus plausible comme explication. Dis-je en engouffrant une nouvelle frite dans ma bouche.
- Non mais j'hallucine, tu es en train de bouffer toutes les frites là. Donne moi ça. Dit-il en attrapant le sachet rempli de nourriture.
Il sortit de la voiture en jetant un coup d'oeil dans le sachet, il sembla rassurer d'y voir encore toute ses frites.Je ris face à son attitude et le suivis. On passa par une petite porte et on grimpa les escaliers jusqu'à chez lui.
Je ne pus m'empêcher de détailler d'un oeil curieux son appartement. Il lui ressemblait plus que je ne le pensais. Une tonne de jeux vidéos remplissaient les étagères de son salon. On ne voyait quasiment plus les murs à cause des photos, des disques d'ors, des posters et des drapeaux qui les recouvraient.
Je retirais ma veste et observais quelques unes des photos accrochées aux murs. Je me stoppais devant l'une d'elle qui devait dater de quelques années. Emilie était assise sur les genoux de Ken, Théo et Idriss faisaient les idiots et Hakim, casquette vissé sur la tête, les observait le sourire aux lèvres.
- Le bon vieux temps, l'époque où tout paraissait beaucoup plus simple. Soupira-t-il derrière moi.
- Ta phrase fait vraiment vieille personne.
- Je m'en suis rendu compte en la disant. Rigola-t-il. Tu déteins trop sur moi.
Je rigolais doucement.
- Emilie et Ken semblent si...heureux.
- Ouais. Grogna-t-il. C'est la seule période où je les ai vu si épanouis, quand ils étaient ensemble. J'espère que ça va rapidement s'arranger entre eux.
Il semblait affecter par cette histoire, plus que je ne le pensais.
- La situation a l'air de te rendre triste.
- Ken c'est mon reuf et Emilie, c'est comme ma soeur, je déteste les voir malheureux et c'est dur de devoir jongler entre les deux. Mais je ne peux pas m'emmêler, Ken est trop instable quand il s'agit d'Em', il peut vite disjoncter, donc j'ai trop peur de tout faire foirer en jouant les entremetteurs. J'ai envie d'arranger les choses mais je ne sais pas comment m'y prendre, ça me bouffe.
- Laisse faire le temps. Ken va finir par accepter de parler à Emilie.
- Il est vraiment remonté contre elle. Tu sais, quand elle est partie, il a vraiment disjoncté, c'était horrible de le voir comme ça. Il a fallu du temps pour remonter la pente. La détester lui a permis de surmonter tout ça.
- S'il comprenait pourquoi elle était partie peut être qu'il lui pardonnerait.
- Oh il lui pardonnera, Ken a trop besoin d'Emilie dans sa vie pour ne pas lui pardonner. J'ai juste peur qu'il se sente responsable de ce qu'il lui est arrivé et que ça le bouffe.
- Il n'est pas responsable.
- Oh si, il l'est, comme chacun de nous. Si l'on s'était concentré un peu plus sur elle plus que sur nos petites personnes, peut être que l'on aurait vu qu'elle allait mal.
Maladroitement, je passais ma main sur son dos pour le consoler.
- Emilie ne vous en veut pas, tu sais. Et je te l'ai déjà dit mais je regrette ce que je t'ai dit, vous n'y êtes pour rien. Ce n'est pas ta faute et Emilie ne vous tient pas responsable de ce qu'elle a fait. Elle allait mal et elle l'a caché, même ses parents et ses frères n'avaient rien vu. Et puis c'est arrivé, tu ne peux pas revenir en arrière, il faut juste avancer et apprendre de ses erreurs.
Je vis ses yeux briller. Il secoua légèrement la tête et s'affala dans le canapé avant de sortir notre repas du sachet. Je m'asseyais à côté de lui pendant qu'il déposait ce que j'avais commandé devant moi.
- Bon appétit. Dit-il en s'empressant de croquer dans son hamburger.
Je fis de même et on commença à manger en silence.
- Tu as fait tes excuses donc je suppose que c'est à mon tour d'en faire.
J'avalais ma bouché et me tournais vers lui.
- Je suis désolée d'avoir dit que tu étais une coincée, hautaine et... je ne sais même plus ce que j'ai dit en faite. Bref, c'était pas cool, je t'ai jugé sans te connaitre. C'est juste que tu m'ignorais et mon égo en a pris un coup.
J'haussais un sourcil face à sa confession.
- Tu sais avec notre petite notoriété naissante, j'ai peut être pris un peu trop d'assurance et de confiance, et j'ai pris l'habitude d'avoir les filles à mes pieds. Et te voir m'ignorer alors que tu parlais sans problème à mon frère et à Théo, ça m'a soulé.
- Je ne t'ignorais pas vraiment. Dis-je.
- Tu plaisantes? Dit-il en buvant son soda. Tu faisais comme si je n'existais pas.
- Bon c'est vrai que je t'ignorais mais pas dans le sens où tu le penses. C'est juste que je suis super timide et tu étais intimidant. Rougissais-je.
Pourquoi je lui disais ça moi? A quel moment je confessais ce genre de choses personnelles aux gens et en particulier au principal concerné.
- Je t'intimidais moi? Dit-il en haussant un sourcil.
- Ouais. Dis-je en évitant son regard. Mais plus maintenant. M'empressais-je de rajouter. Tu sais je ne suis pas vraiment douée pour les interactions sociales. Je ne suis pas très à l'aise avec les gens en général, j'ai plus tendance à observer qu'à parler.
- Je comprends. Dit-il. Je suis un peu pareil.
Je le regardais, ahurie.
- Tu plaisantes, tu es hyper à l'aise en société.
- Parce que tu m'as toujours vu avec mes potes que je connais depuis méga longtemps. Mais autrement, je ne suis pas hyper à l'aise avec les gens que je ne connais pas. Je ne sais jamais quoi leur dire, alors la plupart du temps je ne dis rien. C'est plutôt Nek ou 2zer qui font la conversation, alors je me contente d'observer et je passe pour l'asocial du groupe.
- Ouais mais toi au moins tu te décomposes pas sur place quand quelqu'un que tu ne connais pas te parle.
- C'est vrai que tu rougissais de ouf les première fois où je te parlais.
- Merci de me rappeler ces moments embarrassants. Soupirais-je.
- Pourquoi tu manques de confiance en toi comme ça?
- J'ai tellement peur de me ridiculiser et de dire quelque chose d'idiot devant les gens que je ne connais pas.
- Pourquoi tu te ridiculiserais? Dit-il en haussant un sourcil.
J'haussais les épaules et pris mon temps avant de répondre.
- Je suppose que je suis devenue comme ça à cause de ma mère. Elle m'a tellement de fois démonter devant les gens, toujours à me faire des remontrances en public ou à se plaindre de mon comportement devant tout le monde que j'ai perdu confiance en moi. J'ai une peur bleue de vivre encore ce genre d'humiliation.
- Ta mère faisait vraiment ça? Dit-il choqué.
- Elle le fait encore tu sais.
- Mais elle te fait quel genre de remarque.
- Oh elle me fait de remarque sur tout, sur ma façon de me tenir, ma façon de m'habiller, mon manque de relation social.
- Ta mère est...
Il sembla réfléchir au mot qu'il allait utiliser.
- Une connasse. Terminais-je. Ouais tu peux le dire tu sais, elle et moi, on ne s'entend pas très bien. Enfin je ne peux pas vraiment dire ça, à vrai dire, elle est moi on n'a pas vraiment de relation, elle passe son temps à me critiquer et moi je ne dis rien.
- Pourquoi tu ne dis rien?
- C'est ma mère. Dis-je comme si c'était une évidence.
- Tu es fille unique?
- Ouais.
- Et ton père?
- Oh, je n'ai pas de relation particulière avec mon père, tu sais il a un travail vraiment prenant et il passe son temps libre à jouer au golf ou à chasser.
- Je vois.
- C'est en partie pour ça que je suis partie de Bordeaux, j'avais besoin de m'éloigner de l'emprise de ma mère et de me forger ma propre personnalité.
- Tu avais déjà une personnalité, tu ne la montrais pas c'est tout.
- C'est vrai, j'étais très effacée. Mais ça me plait de plus en plus de montrer aux gens qui je suis vraiment, de leur dire ce que je pense vraiment. Je me suis tue trop longtemps.
Notre conversation dériva sur un sujet un peu plus dérisoire. Je réalisais enfin que je m'étais ouverte à lui sans réfléchir, je lui avais confié des choses sur ma vie que j'avais confié à peu de gens. Et je l'avais fait très facilement. Avant, cela m'aurait effrayé mais pas aujourd'hui, j'avais confiance en Hakim. Je savais qu'il ne me ferait pas de mal, en tout cas pas consciemment.
- Tu veux jouer? Me demanda-t-il en me montrant sa console.
- Jouer? Dis-je en arquant un sourcil.
- Tu n'aimes pas ça?
- Oh je ne sais pas, je n'ai jamais joué à vrai dire. Chez mes parents ce genre de choses sont proscrites.
- Vraiment? Et tu n'as jamais joué avec des amis?
- Je n'ai pas vraiment eu l'occasion. Mais je ne suis pas sûre que ça soit mon truc.
- C'est quoi ton truc alors?
- Oh et bien. Dis-je étonnée qu'il s'intéresse à mes loisirs. J'aime bien lire.
- J'avais remarqué. Ricana-t-il. Je dirais même que tu aimes bien lire emmitouflée dans une couverture en buvant un thé. Et à part ça ?
- J'aime bien les séries et les bons films.
- Quel genre de film?
- Oh j'aime bien tous les genre, je ne suis pas trop chiante, du moment que ce n'est pas trop cucul.
- Et tu écoutes quoi comme musique?
- Je n'aime pas de genre particulier, j'écoute de tout, j'écoute ce qu'il passe à la radio la plupart du temps.
- Tu aimes bien le rap?
Je grimaçais.
- Honnêtement, pas trop.
- C'est parce que tu n'as jamais écouté de bon rap. Je vais te refaire ta culture musicale. Tiens on va commencer maintenant, on va jouer à la console tout en écoutant un bon vieux rap.
Je ne pus m'empêcher de rire quand je le vis mettre de la musique.
- Tu veux jouer à un truc en particulier?
- Je te l'ai dit je n'y connais rien. Oh si je connais juste Mario Kart grâce à Emilie. Elle est plutôt douée à ce jeu d'ailleurs.
- Ah, ça c'est parce que c'est moi qui lui ai tout appris.
- Vraiment? Elle m'a pourtant dit que c'était Ken et Idriss qui lui avaient appris.
- Pfff tu parles, ils sont nuls, il n'y a pas meilleur que moi.
- Comment il se la pète le petit Meukra.
- Arrête de m'appeler comme aç. Dit-il en me tapant avec un coussin.
Je rigolais et m'empressais de prendre la manette qu'il me tendait.
On passa le reste de la soirée à jouer. Je passais un agréablement moment avec lui et en oubliais cette histoire avec Alexis. Hakim me déposa chez moi vers deux heures du matin. Après un dernier signe de la main, je m'engouffrais dans mon immeuble le sourire aux lèvres.
Je rentrais silencieusement dans mon appartement, je ne désirais pas vraiment que mes colocataires s'aperçoivent de mon retour tardif et me posent une tonne de questions.