Monsieur le Professeur

By charlottewinston

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C'est la confusion des sentiments, la main aveugle et délicieuse qui vous pousse dans les bras de l'interdit... More

1 - De si longues années
2 - Premier visage
3 - La soirée
4 - La déconvenue
5 - Second visage
6 - Quand l'amour suffit
7 - Vous êtes amoureuse
8 - Sur la terre, chaque jour
9 - Soleils superbes
10 - Capturée
11 - Orange amère
12 - Danger grave et imminent
13 - Marie, si tu savais
14 - Vouloir nous brûle
15 - Arsenic et vieilles querelles
16 - Le voile
17 - La main dans le sac
18 - Madame la Doyenne
19 - Vertige
20 - Croire aux anges
21 - Le cœur accroché
22 - Comme Paris au mois d'août
23 - Marlène
24 - Faut-il vivre les choses
25 - Lumière
26 - Le vol
27 - L'air épais
28 - L'éternité
29 - Le prototype
30 - Renata
31 - Génie éteint
32 - La messagère
33 - Rêve céleste
34 - Forfaiture, infamie
35 - Cet été là
36 - Votre beauté si claire
37 - Vingt ans après
Note à mes lecteurs
Note à mes lecteurs (2)
40 - Emprisonner mes rêves
42 - Triste étranger
43 - Après m'avoir fait tant mourir
44 - L'échiquier
45 - Lâche docilité
46 - Folie
47 - Lettres d'amour
48 - N'avez-vous rien vu
49 - Désirs d'autrefois
50 - Ardente déraison
51 - Revivre
52 - Pas ce soir
53 - Vaines colères
54 - Printemps japonais
55 - Notre Mère
56 - Soir de neige
57 - Écouter le silence
58 - La directrice
59 - Fool to want you
60 - Tango corse
61 - Laisser dormir la volonté
62 - La Gold
63 - Irish coffee
64 - Feu qui souffre
65 - L'enquête
66 - Mario
67 - Voyage dans le temps

41 - L'ombre que je cherche

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By charlottewinston

Rrrrraaaaaah ! Qui a relevé le store près de mon bureau ? C'est pénible ! A chaque fois que je tourne le dos dans cet openspace, des crétins s'amusent à faire entrer la lumière ! C'est très bien les rayons du soleil, moi aussi j'aime ça, sauf que mes écrans d'ordinateur sont tellement éclairés que je ne vois plus rien ! Je dois y coller mon nez comme une vieille de 90 ans qui a perdu ses lunettes !

Je descends le store dans un geste rageur. Encore un coup de Stéphane, mon voisin de travail, et peut-être bien de Maud, l'idiote assise en face de lui. Toute la journée ils s'envoient des messages secrets et ricanent comme des bébés hyènes. Même les enfants de cinq ans savent mieux se tenir. Il est 10 heures, je reviens d'une réunion et donc, par nature, je suis de mauvaise humeur. En passant devant le bureau de la directrice, j'ai vu par les vitres que s'y trouvait Sandra, ma rédactrice en chef. Tiens, c'est bizarre. De quoi peuvent-elles bien discuter ces deux-là ? Les conciliabules ne sont jamais le fruit du hasard, et ce qui se trame dans ce bureau est toujours d'une importance stratégique. C'est ce que j'ai compris depuis que je travaille ici. Soit on sait pourquoi se tient tel ou tel rendez-vous, soit on l'ignore, et alors cela signifie que c'est un imprévu. Qui dit imprévu dit danger. Ça, c'est ce que j'ai appris pendant mes nombreuses années de juriste en cabinet d'avocat d'affaires. Quand il y a danger, je me mets en mode "survie".

Sandra sort du bureau, les yeux rougis. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! Depuis ma place, je la vois qui fait le tour des bureaux. Elle dit quelque chose aux autres rédacteurs. Je ne perçois rien des mots qui s'échangent comme des fluides invisibles. Mais les gens semblent surpris. C'est bien ce que je pensais, un imprévu. On dirait que Sandra fait un pèlerinage, s'arrêtant à toutes les étapes imposées. A moins qu'il ne s'agisse d'un chemin de croix, vu son air dépité, il ne manque que la couronne d'épines. Quoique, elle sourit avec une expression gênée. C'est quoi ce bazar. Je n'y comprends rien. Mine de rien, elle commence à se rapprocher de mon bureau. Je joue la fille absorbée dans une lecture ardue, le stylo vif, le front dans la main. Je perçois la silhouette de ma rédactrice en chef dans ma vision périphérique. Sort le périscope, Elevin. Sandra est très bien habillée, comme d'habitude. Et comme elle pèse cinquante kilos à tout casser, toutes les fringues lui vont à merveille. Le genre de femme qui peut porter n'importe quoi. Avec ses cheveux châtain, comme ombrés de blond, et ses yeux bleu, je suis sûre qu'elle séduit les hommes en un clin d'œil.

_Excuse-moi, Elevin...

_Oui, Sandra, ça va ?

Je me moque bien de savoir comment va Sandra à titre personnel, c'est le cadet de mes soucis. Je veux savoir s'il y a une torpille enclenchée dans la rédaction ou s'il ne s'agit que d'une fausse alerte, vu que depuis que je travaille ici, je suis devenue paranoïaque.

_Voilà, je dois te dire que... je viens de donner ma démission à la directrice.

Putain de tonnerre de Dieu. Nom d'une comète atomique. Je respire un grand coup. Sandra et moi on travaille en binôme depuis plusieurs mois sur un journal juridique, "Ressources humaines". Sa démission est loin d'être anodine pour moi. Qui va prendre la direction du journal à sa place et devenir ainsi mon supérieur ?

_Ah oui ? Tu t'en vas ?

_Oui, j'ai trouvé un autre poste. J'avais fait le tour de mes missions ici. Il était temps que je m'en aille.

_Ok, écoute, je suis ravie pour toi ! Et donc, tu restes jusqu'à quand ?

_Je serai là encore un mois, le temps de tout mettre à plat et de préparer mon départ. Il faudra qu'on se voie d'ailleurs, pour le journal.

Heu, que veut-elle dire ?...

_Pas de souci, tu me fais signe.

_Yes. Allez, je continue le tour de la maison pour informer tout le monde.

_Dac'. A tout à l'heure.

Là je ne suis plus en mode survie : je suis une cocotte minute. Que veut-elle me dire sur le journal ? Va-t-il être transféré à une autre équipe ? Est-ce qu'une autre rédactrice va prendre sa place ? L'une de ces filles qui court au bout du couloir pour ne pas me voir ? Dans ma tête c'est la marmite du diable.

Send sms to : Angelo - Coucou mon cœur, tu as 5 minutes pendant ta pause déjeuner ? Il faut que je te dise un truc absolument dingue et inquiétant aussi...

Send sms to : Elevin - Non, à midi j'ai rendez-vous avec une attachée de presse. Qu'est-ce qui se passe ?

Send sms to : Angelo - Ma rédactrice en chef vient d'annoncer sa démission ! Et elle veut me voir au sujet du journal

Send sms to : Elevin - Hé, voilà une bonne nouvelle ! C'est bon pour toi ça !

Send sms to : Angelo - Ah bon, tu crois ? J'ai surtout peur que la direction du journal passe à quelqu'un d'autre, avec qui je ne m'entendrai pas du tout ! genre une des filles du service politique...

Send sms to : Elevin - Mais non, c'est TOI qui va prendre la direction de Ressources Humaines. Toi seule en connaît la formule. Tu es le successeur naturel de ta rédactrice en chef. Comment elle s'appelle déjà ?

Send sms to : Angelo - Sandra. Sérieux, tu crois que je vais monter en grade ?

Send sms to : Elevin - Mais c'est évident poupée. Attends toi à une convocation de ta dirlo. C'est toi qui va prendre le relais. En plus tu écris mieux que ta red' chef, et la dirlo l'a vu, elle n'est pas stupide. Keep cool et tiens moi au jus !

Send sms to : Angelo - Oui, je te tiens au courant. Merci chaton.

Ben merde alors. Et si Angelo avait raison... je me suis investie à fond dans ce journal, réécrivant mes articles dix fois s'il le fallait. Parce que c'est un journal de droit du travail, ma matière préférée, celle que m'a enseigné Monsieur le professeur. En prendre la direction, ce serait enfin de la reconnaissance, et le moyen de clouer le bec à ceux qui me considèrent encore moins bien qu'un chien pourri. Je pars déjeuner seule dans le parc, achetant un sandwich baguette à la boulangerie du coin. Diriger le journal. J'en ai envie. J'en ai peur. Saurai-je prendre les bonnes décisions ? Et les imprimeurs que je ne connais pas ? Arriverai-je à les gérer ? Si je dirige le journal, je recevrai enfin une promotion, la première depuis que je travaille ici. Avec une augmentation. Cela changerait tout. Je me griffe le palais avec un morceau de pain. Un goût de sang dans la bouche, je retourne au bureau. La plupart des rédacteurs sont encore à la cantine, ou prennent un café dans les salles de réunion. Sur ma messagerie outlook, une convocation de la directrice. Dans son bureau à quatorze heures. Putain ! putain ! purée... p ! p! p! Apoplexie en vue ! Angelo avait raison !

Double séance de méditation dans les transports sur le chemin du retour, afin de calmer mon esprit agité. Angelo m'attend dans la voiture à la sortie de la gare. Il est passé acheter une bouteille de champagne pour fêter ça. Le cœur en joie, je lui saute au cou.

_ Haha, tu vois, je te l'avais dit !

_ Je dois reconnaître qu'une fois de plus, tu avais raison ! Mais ça me fait quand même bizarre de me dire que je vais prendre toutes les manivelles de ce journal...

_ Tu flippes, c'est normal. Mais cela fait deux ans que tu vois ta red'chef prendre les décisions. Tu as appris plein de choses sans t'en rendre compte. Crois-moi, depuis le temps que je bosse dans la presse, je sais comment ça marche.

_ Oui, sans doute. Mais ça ne me retire pas mon stress pour autant !

_ Reste cool, je suis sûre que tu vas parfaitement réussir ce job. Et puis ce soir on fête ça, les soucis on verra plus tard !

Cinq coupes de champagne plus tard, Angelo et moi nous sommes effondrés dans les bras l'un de l'autre devant la télé. Depuis le fond de mon ivresse, je me vois dans une forêt. Il n'y a plus de poste, de promotion, plus rien qui compte que ma tête qui tourne. Mais les arbres vibrent, émettent un grondement sourd. Puis ils sonnent. Des arbres qui sonnent ? Non, il y a autre chose. La sonnerie me tire de mon sommeil. C'est le portable d'Angelo. Lui aussi ça l'a réveillé. Il se lève en titubant et regarde l'écran. C'est Damien, son plus jeune fils. Je ne comprends rien à leur conversation : je cuve encore mon champagne. Angelo me secoue.

_Baby, il faut que j'aille chercher Damien chez sa mère, ils se sont disputés.

_ Ah ok, vas-y chaton. Je ferai le lit en t'attendant.

Il est 23 heures. Je vais me brosser les dents alors que les vapeurs d'alcool se dissipent peu-à-peu. Je fais le lit, et installée contre deux oreillers dodus, je reprends ma lecture de Madame Bovary. Minuit, pas de signe d'Angelo. Le gosse a dû se faire disputer par sa mère à cause d'une mauvaise note. Et Angelo va tout lui céder, comme toujours. Il culpabilise du divorce. Bon, ce ne sont pas mes affaires après tout. Enfin, un peu quand même, mais je n'ai pas envie de penser à ça. Je commence à m'ennuyer. Heureusement qu'on est vendredi soir, demain c'est grasse matinée, pas de réveil à 5h30. Cette seule idée me réconforte. Revient alors en moi le film de la journée. La démission, l'entretien avec la directrice. Elle me confie les rênes du journal. Cette revue de droit du travail qui jusqu'à présent a constitué mon seul lien depuis vingt ans avec Raimondo Casapolti. Je soupire. Mon carnet vert est toujours caché sous le matelas. Depuis une semaine je l'ai relu vingt fois. Qu'est devenu Monsieur le Professeur ? Je me relève et ouvre mon ordinateur portable sur mon bureau. Dire que quand j'ai commencé mes études, google existait à peine. Le moteur de recherche me fait tout de suite remonter un vidéo youtube. Mon sang ne fait qu'un tour. J'hésite à cliquer sur le lien, espérant prolonger ainsi l'espoir de voir Raimondo. Mon index reste suspendu au-dessus de la souris. Google m'indique déjà que la vidéo date de deux ans à peine. Inspirant à fond, je clique. C'est une conférence sur une grande réforme du code du travail. Raimondo est cadré de près. Debout à un pupitre dans une grande salle de congrès, il s'adresse à plusieurs centaines de personnes, probablement des chefs d'entreprise et des avocats. Il me semble toujours aussi grand, les épaules aussi larges, mais vingt années ont passé sur son visage. Toujours coiffée en arrière, sa chevelure a pris des reflets d'argent. Derrière les lunettes, qui ressemblent en tous points à celles qu'il portait à l'époque, percent les mêmes yeux bleus. D'une voix forte et claire, il déroule son propos, le persillant d'humour et manipulant ainsi l'assistance comme il le faisait avec les étudiants. Il est drôle, puissant. Impérial. Mes yeux le dévorent. Pour moi, il n'a pas changé.

_Coucou ! J'ai emmené Damien dormir chez sa grand mère.

Gasp ! C'était juste ! D'un geste, j'ai refermé l'ordinateur portable juste au moment où Angelo était de retour. Mon compagnon était dehors, à s'occuper de son gosse, et moi je jette mon cœur sur les vidéos d'un homme que je n'ai pas vu depuis vingt ans. Bravo, Elevin, pour ta loyauté. J'éteins l'ordi pendant qu'Angelo se brosse les dents. Je me sens à la fois folle de joie et très mal. Angelo se couche à côté de moi, éteins la lumière et me prends dans ses bras.

_Tu n'arrives pas à dormir ?

_Non, je pense au boulot. A cette journée...

_Laisse tomber tout ça. A chaque jour suffit sa peine, ajoute-t-il en baillant.

_Oui, tu as raison. ça ne t'ennuie pas si j'ouvre un peu la fenêtre ?

_Non, mais pourquoi veux-tu ouvrir ? Il ne fait pas si chaud !

_J'ai juste besoin d'air frais.

_Ok, vas-y. Je la fermerai cette nuit si il fait trop froid.

L'air qui passe par la fenêtre ouverte me glisse sur le visage. Angelo s'est collé contre mon dos, un bras autour de moi. Mais quand je ferme les yeux pour trouver le sommeil, c'est l'image de Raimondo qui s'affiche derrière le velours noir de mes paupières. Sa manière de se tenir tout près de mon visage quand il me parlait. Ces années passées, où nul ne peut revenir. Elles sont évanouies, pour toujours. Cette histoire de prototype. "Le prototype exact de fille qu'on voudrait avoir".

Son bureau, ses lèvres.

Son menton carré.

Son front haut, ses mains fraîches.

Et c'est son ombre que je cherche.

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