65 - L'enquête

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Je lance un jus frais dans ma cafetière Bialetti, une italienne bien-sûr, sans réveiller Marlène qui dort à quelques mètres de moi dans le canapé. Malgré mon cœur lourd des événements de la veille, le sommeil m'a emportée. Elle aussi apparemment. Je lance la gazinière. J'entends Marlène se retourner sous les draps mais n'ose pas la regarder. Je me sens vermoulue comme si j'avais été avalée par un boa, mais sa présence m'empêche de ressasser. Voire même de tomber au fond.

-        Coucou Elevin...

-        Hey, ça va Marlène ? Tu as réussi à dormir ?

-        Oh oui, je me suis effondrée !

-        Tu avais besoin de récupérer je crois...

Elle quitte le canapé avec un demi-sourire complice, tout en s'enveloppant dans une robe de chambre rose à volants.

-        C'est à toi ce truc ?

-        Oui, et j'y tiens !

Marlène et ses tenues extravagantes, Marlène et sa perfection, toujours impeccable, sans un cheveu qui dépasse. Vingt ans que je ne l'avais pas vue. Elle m'a manqué. Et moi, obsédée par mon histoire avec Raimondo, je n'ai rien vu passer. Pas une fois je n'ai tenté de la retrouver, de prendre de ses nouvelles.

Je dispose sur la table le café chaud, les madeleines. Je ne mange plus que ça : des madeleines et des crêpes. Marlène s'assoit délicatement, une reine ne ferait pas mieux. Nous échangeons un sourire, chacune les yeux au-dessus de son bol tenu à deux mains. J'imagine que chacune remarque les cernes de l'autre.

-        Tu avais prévu quelque chose aujourd'hui ?

-        Boaf, on est dimanche. Rien.

-        Tu ne dois pas réviser pour le concours d'avocat ?

-        Je ne prépare plus ce concours depuis pas mal de temps déjà. Depuis le retour de Corse.

-        Mais pourquoi ? Tu n'es plus motivée ?

-        Pffff, si, si. Mais je ne trouve plus le même sens si Raimondo n'est pas là.

-        Mais tu ne préparais pas ce concours pour lui Elevin ?

Les paroles de Marlène me font réfléchir un moment. Ses yeux de biche attendent une réponse.

-        C'est toute la question en effet. Depuis que je ne le vois plus, la motivation m'a quittée. La seule chose que je fais depuis, c'est travailler dans la semaine pour gagner ma vie et lire des livres de weekend. Des dizaines de livres. Des romans, des poèmes. J'en ai appris des pages par cœur pour tenter de l'oublier. De remplir le vide qu'il laissait.

Je me tais quelques secondes et déclame :

-        "Elle était déchaussée, elle était décoiffée. Moi qui passais par là, je crus voir une fée".

Marlène écarquille les yeux je sens que ces vers ouvrent son esprit comme ils ont ouvert le mien

-        C'est quoi ça ?

-        Victor H. Le grand. Le seul. Celui qui m'a fait entrer dans la poésie.

-        C'est magnifique...

-        Écoute ça : "Voici le miel qui suinte au cœur profond des roses, les couleurs les parfums et les souffles aimés. Vous ne sourirez plus à la beauté des choses, vos bras prompts à s'ouvrir se sont enfin fermés".

-        C'est Hugo ça aussi ?

-        Non, Marguerite Yourcenar.

-        Oh, c'est beau !

Monsieur le ProfesseurWhere stories live. Discover now