6 - Quand l'amour suffit

3.3K 191 19
                                    

Le froid commence à envahir la faculté. Les étudiants déambulent enmitoufflés dans des écharpes, le nez rougi, des mouchoirs en papier plein les poches. Entre deux cours, nous quittons notre amphithéâtre jaune pour aller nous réchauffer autour du café imbuvable que servent des distributeurs hors d'âge. Nicolas m'accompagne à la librairie lilliputienne qui nous propose les ouvrages juridiques essentiels à nos études. Je veux voir les manuels de droit du travail, comme si me plonger dans la matière pouvait me rapprocher de Monsieur le Professeur. Nous remontons la rue longée par des pavillons dont le gel orne les gouttières. La rigueur de l'hiver pare les arbres de reliefs glacés. En contrebas, les réverbères luisent d'une douce lumière qui s'étend jusqu'à l'entrée du bâtiment principal.

- Notre rayon de droit du travail est épuisé pour l'instant : j'attends une livraison d'un jour à l'autre !, lance le libraire à mon visage dépité.

- C'est pas grave, me dit Nico. C'est l'affaire de quelques heures..., ajoute-t-il avec un clin d'oeil plein de tendresse.

Je frissonne en le regardant. Les courants d'air se sont emparés des couloirs. Nicolas enlève son manteau bleu, un caban de marin, puis son pull et noue ce dernier autour de mes épaules.

- Tiens, ça ira mieux comme ça, dit-il d'une voix peu assurée.

- Merci, je veux bien.

Je sens la laine sur la peau de mon cou tandis que nous reprenons le chemin de l'amphithéâtre. Retournés sur nos sièges de bois, je glisse mes mains dans les manches du pull pour les réchauffer. Assis à côté de moi, Nico pose une main sur mon épaule.

- Il te va très bien ce pull. Il faudrait que je songe à te le donner...

- Je peux le garder jusqu'à ce que tu prennes ta décision ?, lui dis-je avec un brin d'espièglerie.

- Commençons comme ça ! éclate-t-il dans un rire franc et clair.

Comment décrire cette sensation sans dire que mon coeur semble s'être élargi ? Il a gonflé dans ma poitrine, il prend plus de place. C'est sans doute pour cela que je respire plus vite. L'ensemble de mon corps semble avoir changé lui aussi : je ne le perçois plus de la même manière. Mes mains paraissent bouger au ralenti, tandis que mes jambes cotonneuses me ramènent chez moi. Sur le quai du RER, Nicolas m'a embrassée. Un baiser long et tendre comme je n'en avais jamais reçu. Alors le sol s'est dérobé sous mes pieds, je suis entrée dans une forêt d'automne dont les parfums ennivraient mes sens. Autour de moi des feuilles brunes tourbillonnaient.

Le soir, rentrée à la maison, ma mère n'a pas perçu mon changement. Une mère devrait pourtant sentir ces choses, non ? Mais ce qui préoccupe ma mère est la réussite de mes études, pas mes états d'âme. Je me demande si elle en a d'ailleurs jamais eu, s'il lui est arrivé d'aimer ne serait-ce que mon père. Qu'importe. Le pull de Nicolas contre moi, je monte dans ma chambre sans dîner. Avez-vous remarqué comme parfois l'être humain n'a pas besoin de toutes les nourritures ? Quand l'amour suffit.




Monsieur le ProfesseurDove le storie prendono vita. Scoprilo ora