41 - L'ombre que je cherche

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Rrrrraaaaaah ! Qui a relevé le store près de mon bureau ? C'est pénible ! A chaque fois que je tourne le dos dans cet openspace, des crétins s'amusent à faire entrer la lumière ! C'est très bien les rayons du soleil, moi aussi j'aime ça, sauf que mes écrans d'ordinateur sont tellement éclairés que je ne vois plus rien ! Je dois y coller mon nez comme une vieille de 90 ans qui a perdu ses lunettes !

Je descends le store dans un geste rageur. Encore un coup de Stéphane, mon voisin de travail, et peut-être bien de Maud, l'idiote assise en face de lui. Toute la journée ils s'envoient des messages secrets et ricanent comme des bébés hyènes. Même les enfants de cinq ans savent mieux se tenir. Il est 10 heures, je reviens d'une réunion et donc, par nature, je suis de mauvaise humeur. En passant devant le bureau de la directrice, j'ai vu par les vitres que s'y trouvait Sandra, ma rédactrice en chef. Tiens, c'est bizarre. De quoi peuvent-elles bien discuter ces deux-là ? Les conciliabules ne sont jamais le fruit du hasard, et ce qui se trame dans ce bureau est toujours d'une importance stratégique. C'est ce que j'ai compris depuis que je travaille ici. Soit on sait pourquoi se tient tel ou tel rendez-vous, soit on l'ignore, et alors cela signifie que c'est un imprévu. Qui dit imprévu dit danger. Ça, c'est ce que j'ai appris pendant mes nombreuses années de juriste en cabinet d'avocat d'affaires. Quand il y a danger, je me mets en mode "survie".

Sandra sort du bureau, les yeux rougis. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! Depuis ma place, je la vois qui fait le tour des bureaux. Elle dit quelque chose aux autres rédacteurs. Je ne perçois rien des mots qui s'échangent comme des fluides invisibles. Mais les gens semblent surpris. C'est bien ce que je pensais, un imprévu. On dirait que Sandra fait un pèlerinage, s'arrêtant à toutes les étapes imposées. A moins qu'il ne s'agisse d'un chemin de croix, vu son air dépité, il ne manque que la couronne d'épines. Quoique, elle sourit avec une expression gênée. C'est quoi ce bazar. Je n'y comprends rien. Mine de rien, elle commence à se rapprocher de mon bureau. Je joue la fille absorbée dans une lecture ardue, le stylo vif, le front dans la main. Je perçois la silhouette de ma rédactrice en chef dans ma vision périphérique. Sort le périscope, Elevin. Sandra est très bien habillée, comme d'habitude. Et comme elle pèse cinquante kilos à tout casser, toutes les fringues lui vont à merveille. Le genre de femme qui peut porter n'importe quoi. Avec ses cheveux châtain, comme ombrés de blond, et ses yeux bleu, je suis sûre qu'elle séduit les hommes en un clin d'œil.

_Excuse-moi, Elevin...

_Oui, Sandra, ça va ?

Je me moque bien de savoir comment va Sandra à titre personnel, c'est le cadet de mes soucis. Je veux savoir s'il y a une torpille enclenchée dans la rédaction ou s'il ne s'agit que d'une fausse alerte, vu que depuis que je travaille ici, je suis devenue paranoïaque.

_Voilà, je dois te dire que... je viens de donner ma démission à la directrice.

Putain de tonnerre de Dieu. Nom d'une comète atomique. Je respire un grand coup. Sandra et moi on travaille en binôme depuis plusieurs mois sur un journal juridique, "Ressources humaines". Sa démission est loin d'être anodine pour moi. Qui va prendre la direction du journal à sa place et devenir ainsi mon supérieur ?

_Ah oui ? Tu t'en vas ?

_Oui, j'ai trouvé un autre poste. J'avais fait le tour de mes missions ici. Il était temps que je m'en aille.

_Ok, écoute, je suis ravie pour toi ! Et donc, tu restes jusqu'à quand ?

_Je serai là encore un mois, le temps de tout mettre à plat et de préparer mon départ. Il faudra qu'on se voie d'ailleurs, pour le journal.

Heu, que veut-elle dire ?...

_Pas de souci, tu me fais signe.

_Yes. Allez, je continue le tour de la maison pour informer tout le monde.

Monsieur le ProfesseurWhere stories live. Discover now