Quatre Heures Du Matin.
Dans mes bras, sa respiration semble s'être apaisée. Sans la réveiller, j'essaie de me décaler et entreprends de la couvrir avec son plaid. Discrètement, je sors de sa chambre et me rends dans le salon où je pourrais réfléchir calmement.
J'ai toujours du mal à y croire. Blaise a été enceinte il y a dix ans. Je ne sais pas ce qui m'étonne le plus : savoir qu'elle a eu un jour un gros ventre ou qu'elle ait envoyé sa fille dans un centre d'adoption. Même si je trouve ça triste qu'elle l'ait laissé là-bas, je ne peux que comprendre Blaise. Elle avait peur de ne pas y arriver. Elle a préféré faire passer sa fille avant, même si elle savait que ça allait la faire souffrir jusqu'à la fin de sa vie.
Je n'ai pas osé lui demander si elle connaît les parents adoptifs de sa fille ou si elle a pu lui parler, après toutes ses années. Je ne sais pas non plus si elle a eu des nouvelles du supposé "père" mais il ne vaut mieux pas que je le sache. Je n'aime pas du tout ce type, surtout parce qu'il a osé trahir Blaise et l'abandonner alors qu'elle avait besoin de lui. Maintenant je comprends mieux la réaction de Blaise lorsqu'elle a appris pour Savannah et moi. Et aussi pourquoi elle semblait si énervée contre moi alors que je voulais retrouver ce blondinet. Elle ne voulait pas que je me fasse des idées et que je vive la même chose qu'elle, elle a juste essayé de me protéger.
Et sa relation avec son père. C'est donc de ça dont elle parlait quand elle évoquait le fait qu'il l'avait abandonné à dix-huit ans. Même si je peux comprendre qu'on puisse trouver que dix-huit ans est un âge limite pour avoir un enfant, je ne comprends pas son père. Pourquoi l'avoir même laissé partir de la maison ? Elle recherchait de l'amour et du confort et il a juste réussi à la conforter dans son idée d'abandonner l'enfant.
Le téléphone de Blaise se met à vibrer sur la table baisse et je me permets d'y jeter un œil. Le nom du contact s'affiche et je m'empresse de décrocher.
- Blaise vous foutez quoi là ? Ça fait vingt minutes que je vous attends !
- Bonjour, je tente de maîtriser ma voix qui tremble encore après avoir essayé de consoler ma belle Blaise.
- Euh bonjour ? Vous êtes qui ?
- Je suis Asher l'a-
- Enfin je vous parle ! Faith semble heureuse et je fronce les sourcils. Vous arrivez quand ?
- Est-ce que ça vous dérange qu'on remette ça à plus tard ? Blaise ne se sent pas très bien.
- Oh mince ! Qu'est-ce qu'elle a ?
Discrètement je jette un œil à la chambre où Blaise est toujours installée, dos à moi, allongée sur le lit.
- Elle a dû manger quelque chose qui n'est pas passé hier mais ça va aller, je mens et me mords la lèvre.
Super. Je n'ai même pas encore rencontré la meilleure amie de Blaise que je lui mens déjà. Moi qui voulait quelque chose de solide et sans mensonges, c'est bien parti.
- Je comprends. Dites lui que je lui trouverai une excuse auprès du patron pour son absence demain si elle ne veut pas venir.
- Merci beaucoup Faith.
- C'est normal. Occupez-vous bien d'elle Asher.
- Ça sera fait.
De retour sur le canapé, je repose le mobile sur la table basse et me passe les mains sur le visage. Cette journée m'épuise et quand je sais que demain je devrais retourner au cabinet sans Blaise à mes côtés, ça me brise le cœur. La voir si faible, si triste, si perdue...
- Asher ?
Alors que sa petite voix résonne dans le salon, je tourne la tête et m'aperçois qu'elle s'approche de moi en se frottant les yeux. Elle parait encore fatiguée et effondrée. Je n'ai pas le courage de parler. J'ai peur de lui faire du mal putain. J'ai peur de faire ou de dire quelque chose de déplacé.
- Je croyais que tu serais parti.
Je secoue la tête et la laisse s'asseoir à côté de moi. Sa tête se pose sur mon épaule et elle soupire de tristesse. Son petit corps est entouré par son plaid, elle se frotte les bras pour se réchauffer.
- Est-ce que tu m'en veux ?
Pourquoi je lui en voudrais putain ? Elle a tellement de courage. C'est la femme la plus incroyable que j'ai rencontré jusqu'ici. Elle a supporté tellement de choses, plus que je ne pourrais jamais supporter.
Tous ces mots ne sortent pas de ma bouche.
Je ne fais que secouer la tête.
Blaise redresse la tête et observe mon profil alors que je fixe un point face à moi, la télévision, éteinte. Je ne peux pas me retourner. Je ne peux pas voir son visage triste et ses larmes. Je ne peux pas. Je ne veux plus qu'elle pleure. Je veux qu'elle sourie. Je veux qu'elle soit heureuse.
- Si je te dégoûte je préférerai que tu me le dises directement, elle marmonne et je ne tourne toujours pas la tête. Je regrette déjà assez ce que j'ai fait, je n'ai pas envie de voir du dégoût ou de la pitié sur ton visage Asher. Si tu veux partir je t'en empêcherai pas.
Je n'ai trouvé aucun autre moyen pour lui faire comprendre ce que je ressentais. J'ai besoin qu'elle sache que je suis là, que je ne l'abandonne pas. Et si je ne peux pas parler, je peux lui faire comprendre d'une autre façon.
Mes mains sur ses joues, mes lèvres sur les siennes, je l'embrasse avidement, à tel point que nous basculons sur le canapé. Les gouttes de ses larmes perlent toujours sur son visage, je les sens contre le mien. Ses petites mains viennent se poser contre mon torse et je ne les repousse pas lorsqu'elle les passe sous mon t-shirt. Sans jamais la lâcher, je nous redresse et l'entraîne avec moi en me dirigeant vers la chambre. J'ai envie de lui montrer que moi je suis là, que je le resterai, que je ne compte pas l'abandonner.
Nous buttons contre le lit et j'enlève son pull pendant qu'elle enlève le mien. J'attrape à nouveau sa taille et la dépose sur le matelas, moi sur elle, sans jamais arrêter mes baisers dans son cou. Ses gémissements remplissent la pièce et bien vite nous finissons dans nos plus simples appareils.
*
La tête de Blaise contre mon torse, je me laisse aller à la douceur des caresses de ma partenaire. Ses doigts s'amusent à tracer des cercles sur ma joue et Dieu sait combien j'aime ça. J'ignore depuis combien de temps nous sommes dans cette position mais je ne changerai ça pour rien au monde. La dernière fois que j'ai regardé le réveil de ma rousse, il était vingt-et-une heures passées. Depuis, des heures ont dû passer, durant lesquelles je n'ai cessé de lui prouver que je ne partirai pas de sitôt. Bien sûr, cette fois-ci nous n'avons pas oublié de nous protéger et ça n'a rien enlevé à la magie du moment. C'est toujours comme ça avec Blaise, tout est magique.
- J'aimerais passer mes journées comme ça, elle soupire maintenant d'aise et je souris quand je la vois remonter ses yeux vers les miens.
- Je pourrais te garder pour toujours enfermée ici, je lui propose et elle fait la moue.
- Ça ne me dérangerait pas tellement mais je dois aller travailler demain, elle jette un œil au réveil à sa gauche. Enfin aujourd'hui vu l'heure.
À mon tour, j'observe l'écran et m'aperçois qu'il est déjà une heure du matin. Le temps est passé à une allure incroyable.
- Faith m'a dit qu'elle pourrait s'arranger avec le patron pour toi.
Soudainement, la rousse se redresse et ouvre grands ses yeux.
- Quoi ? T'as parlé à Faith ?
- Elle a appelé sur ton téléphone et je me suis permis de répondre, je lui souris pour essayer de calmer son angoisse.
- Oh... J'ai pas envie de prendre du retard.
- Blaise je suis sûr qu'ils trouveront quelqu'un pour faire ton travail juste aujourd'hui, je hausse un sourcil et elle semble réfléchir.
Il se passe plusieurs minutes avant qu'elle ne se décide à parler.
- Je vais envoyer un message à Faith alors.
De sa main droite, elle attrape un élastique sur sa table de chevet et attache ses longs cheveux de feu en un chignon haut. Tandis qu'elle se relève du lit, je décide d'entourer son corps de mes bras et la ramène contre moi, lui faisant lâcher un cri de surprise.
- Reste un peu là, je marmonne et elle me gronde.
- Asher.
- Blaise, je lui réponds sur le même ton.
- Je dois aller la prévenir.
- J'imagine que je n'arriverai pas à te faire rester dans ce lit, je grogne et me relaisse tomber sur les draps.
- J'en ai pour deux minutes, elle lève les yeux au ciel et entoure son corps nu du plaid.
Désormais seul dans la chambre, je place mes bras derrière ma tête et m'allonge de tout mon long. Une douleur due au matelas peu confortable de Blaise me prend et je grimace. J'ai passé une très bonne nuit, il faut le dire, mais visiblement cette crampe n'est pas prête de partir.
Mes yeux se décident enfin à explorer la pièce et le même constat que pour le salon s'offre à moi : Blaise aime vraiment les choses simples. Quatre murs blancs, pas de cadres si ce n'est une toile colorée sur le mur au-dessus de la tête de lit, un meuble qui peut servir de commode face à moi, un petit dressing ferme d'un rideau gris laisse dépasser une très jolie robe bleue que je n'avais jamais vu auparavant. Entourée d'un plastique qui ne me permet pas de la toucher, elle paraît très classe.
- Blaise ?
De nouveau dans mon pantalon, je me rends dans le salon d'où elle n'est toujours pas revenue. Comme je le pensais, je trouve Blaise, assise sur le canapé, un papier dans la main. Son regard est figé sur ce morceau devant elle, elle ne semble plus faire attention à ce qui l'entoure.
Doucement, je m'approche d'elle et m'assois à ses côtés. Ses yeux ne quittent pas le dossier et je ne parviens pas à ouvrir la bouche. Elle a l'air tellement absorbé par ce qu'elle voit que je n'arrive pas à lui parler.
- Ça faisait presque quatre ans que je n'avais pas ouvert ce dossier, tu sais ? Elle sourit, des larmes dépassants les barrières de ses cils.
- Je suis désolé.
- Ne t'excuse pas. Je préfère que tu le saches. On avait dit qu'on apprendrait à se connaître et ça en fait partie.
Alors que je ne m'y attendais pas, elle se relève et parcourt les quelques mètres qui la sépare du tiroir encore ouvert. Elle y repose le contrat d'adoption et referme la commode en bois, dans le silence.
Le plaid toujours autour d'elle, elle revient près de moi et me fait face.
- Ma couleur préférée est le violet, mon plat préféré le poulet au curry, mon chanteur préféré est Elton John et j'adore Don't Go Breaking My Heart. Si je devais revoir un film encore et encore ça serait Love Actually. Quand j'avais cinq ans, je suis restée bloquée dans une balançoire parce que Ben avait trouvé drôle d'y mettre de la colle. Je me suis cassée une fois la main et une fois le péroné en faisant du basketball.
Son monologue terminé, elle reprend sa respiration et ferme les yeux.
J'entoure sa taille quand elle vient s'assoir sur mes genoux. Ses mains viennent se poser sur mon cou et elle me sourit de toutes ses dents. Sa nouvelle joie communicative, m'oblige à sourire moi aussi.
- J'adorerais voir Love Actually avec toi.
*
- Alors ?
Ça n'était clairement pas le meilleur film que j'ai pu voir. Mais Blaise était tellement à fond devant la télévision, à murmurer chaque réplique, que j'en viens à penser qu'il n'est pas si nul que ça.
- C'était bien, je lui réponds et elle se redresse du canapé pour me regarder.
Habillée maintenant d'un jogging ainsi que d'un simple t-shirt, elle attrape un morceau de la pizza que nous avons commandé, à quatre heures du matin. Oui, une pizzeria était ouverte à cette heure là. On a bien dû nous prendre pour des fous, surtout quand Blaise a ouvert à la livreuse, entourée d'un plaid. Bordel le souvenir de son corps nu sous la couverture me donne encore des frissons.
- T'es pas obligé de me mentir, elle soupire et je pose ma main sur sa cuisse, même si c'est mon film préféré.
- Pourquoi je sens qu'il y a un piège ?
- Pourquoi y aurait un piège ?
- Vous les femmes vous aimez bien nous tendre des pièges, je marmonne tout bas et Blaise pouffe de rire.
- Je veux juste pas que tu me mentes pour me faire plaisir, elle m'avoue et hausse les épaules.
- J'ai adoré te voir donner la réplique aux acteurs, j'évoque mon souvenir et elle rougit soudainement.
À mon tour je prends une part de pizza et croque dedans. Il est maintenant six heures passées, Blaise a prévu de rester toute la journée chez elle. Et même si j'adorerais rester, je dois retrouver Finn au cabinet pour acheter le nouveau matériel grâce au père de ma belle rousse.
À côté de moi, elle glousse alors que les bêtisiers apparaissent à l'écran et je l'observe tout simplement. Je meurs d'envie de lui dire ce que je pense, de lui poser la question qui me brûle les lèvres. Pourtant quelque chose m'en empêche et je sais très bien ce que c'est. J'ai peur de refaire la même erreur qu'avec Savannah, même si je sais pertinemment que Blaise n'est pas comme ça.
- Asher ? Elle me réveille de ma transe et je croise ses yeux émeraudes. Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rien rien.
- Dis moi, elle parait s'inquiéter et je la rassure d'un sourire.
- Je dois passer un coup de fil je reviens, je me lève en vitesse et m'éloigne jusqu'à sa salle de bain.
- À quatre heures du matin ?
Rapidement, je m'enferme dans la pièce et sors mon téléphone de ma poche. Je suis complètement fou, je sais, mais c'est une urgence.
- J'espère que t'as une bonne raison pour m'appeler à cette heure ci Asher, grogne mon meilleur ami et je fais abstraction du moment.
- J'ai besoin d'un conseil.
- Mec je suis sûr que ça pouvait attendre dem-
- Je veux demander à Blaise de sortir avec moi.
Il se passe plusieurs minutes avant que Finn ne daigne me répondre, soudainement bien réveillé.
- Je suis content que tu penses à ça mon vieux. Faut vraiment que tu passes à autre chose et Blaise a l'air vraiment super.
- Elle l'est, je souris dans le miroir. Mais je sais pas comment faire. J'ai pas envie de tout gâcher, d'aller trop vite et-
- Asher c'est limite si vous êtes pas H24 ensemble en ce moment, il m'interrompt, crois moi tu gâcheras rien. Juste...organise un dîner ou un truc comme ça et demande lui. Fais un truc simple. Elle adorera j'en suis sûr.
- Ouais je vais faire ça.
- Allez courage mec.
- Merci. Désolé de t'avoir réveillé.
La conversation terminée, je range mon téléphone et tente de me convaincre de retourner dans la pièce d'à côté. Je stresse beaucoup à l'idée de faire ça, mais Blaise vaut le coup, je le sais.
Discrètement, j'ouvre la porte de la salle de bain et pénètre dans le salon, mes yeux fouillants chaque recoin de la pièce, sans apercevoir la fille qui me plaît. Lorsque je m'approche du canapé, une brise parvient jusqu'à ma peau et je frissonne. La porte vitrée du balcon est ouverte.
- Blaise ?
Dos à moi, elle resserre la veste en laine qu'elle porte autour de ses épaules. Ses cheveux flottent au vent, son visage est figé dans le froid.
- Tu devrais y aller, non ?
- Quoi ? Je ne comprends pas ses propos et m'avance près d'elle. De quoi tu parles ?
- C'était pas la peine de mettre en place un faux coup de fil Asher, elle baisse la tête. Je comprendrais que tu veuilles partir.
- Je ne veux pas partir.
- Tu vas me dire que tu es assez fou pour téléphoner à quelqu'un au beau milieu de la nuit ?
Je sais pas quoi faire. Je peux pas lui dire pourquoi j'ai téléphoné à Finn. Mais en même temps je ne veux pas lui mentir.
- Je te promets que c'était pas un moyen pour partir.
- Arrête Asher, elle secoue la tête et évite mon regard. Je suis pas aussi conne. Tu as eu ce que tu voulais, maintenant tu veux partir, pas vrai ? Tu voulais juste ça ? Je suis qu-
- Je voulais te proposer de sortir un soir avec moi !
Désormais, le silence règne entre nous alors que ses yeux remontent jusqu'au mien. Son regard embué ne me quitte pas pendant qu'elle s'approche plus de moi. Je réalise à peine ce que je viens de faire. J'ai enfin eu le courage de lui demander, même si j'ai toujours peur de la suite. Comme je le pensais, ses sourcils se froncent et elle balbutie.
- C'est pas comme ça que je voulais te le demander putain, je grogne et prends ma tête entre mes mains. Je voulais faire les choses calmement, organiser un dîner romantique, quelque chose qui te ferait plaisir.
Super. Bien joué Asher. Vraiment j'assure. De toutes les manières pour faire une proposition, j'ai choisi la plus pourrie.
Une main froide se pose contre mon t-shirt et je frissonne de plus belle. Face à moi, Blaise sourit et mon cœur bat plus vite quand elle prononce ces quelques mots.
- J'adorerais qu'on ait un premier rendez-vous.
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À écouter : Don't Go Breaking My Heart - Elton John