D'une certaine manière, on savait tous les deux que le calme que vous nous aviez laissé savourer n'était que temporaire. Et maintenant, avec le recul, je trouve ça vicieux de votre part de nous avoir appris inconsciemment à savoir que notre bonheur ne durerait pas.
On savait tous les deux, sans en parler, sans même le mentionner, que nos minutes, nos heures de répit étaient comptées.
Peut-être que vous ne le faisiez pas exprès après tout, et c'est pour ça que je ne vous en veux pas réellement ; mais j'aimerais que maintenant que je l'ai dit, vous en preniez conscience. J'aimerais, bien utopiquement, que vous appreniez de ces erreurs pour ne plus jamais les commettre sur d'autres. Peut-être que je rêve, mais j'espère que si vous choisissez de ne pas croire en notre histoire, vous retiendrez au moins ça. Pas pour moi. Pas pour Harry. Pas pour nos enfants ou nos amis. Pour vous. Vous verrez qu'on vit mieux quand on ne ruine pas la vie des gens. On respire mieux, on se lève le matin sans se demander si l'article qu'on a écrit la veille n'a pas pousser la personne concernée à commettre quelque chose d'irréparable.
J'ai vu que c'était déjà arrivé. J'aimerais que ça n'arrive plus.
Mais j'imagine que ce n'est pas mon rôle de vous faire la morale ; pas ici en tout cas, alors je vais continuer mon histoire. Je vais continuer à vous la raconter, et je vais la finir.
Vous êtes revenus un matin de mai, j'étais à peine réveillé et je buvais encore mon café dans la cuisine. Harry était parti emmener Eliott à l'école, et Madeleine dormait toujours dans sa petite chambre rose. Dès qu'on avait eu finit de déménager, Eleanor et Niall, en temps que parrain et marraine, avaient tenu à décorer eux même sa chambre. C'est pour ça que ça ressemblait plus à une caverne féérique emplie de paillettes et de créatures enchantées qu'à une chambre d'enfant.
Je n'avais pas d'entrainement ce jour-là, on venait de finir un tournoi national en deuxième position, et on avait eu le droit à quelques jours pour récupérer.
J'ai entendu la porte de la maison s'ouvrir avant même de le voir.
_Hey beau brun, j'ai donc appelé pour qu'il sache où j'étais.
Il n'a pas répondu, et c'est ce qui m'a fait relever les yeux de mon café lorsqu'il est arrivé. Il tenait un journal dans la main, ne quittait pas le sol des yeux, et à l'expression de son visage, j'ai su aussitôt que ce n'était pas juste une petite rumeur qui venait d'éclater. C'était plus. C'était grave.
_Qu'est-ce qu'il se passe ?
À l'instant même où j'ai parlé, mon portable a sonné. Trois fois. Deux messages et un appel.
Nouveau SMS de Li :
08:46✉N'achète pas le journal.
Nouveau SMS de Ni :
08:47✉Louis... Si je te dis de ne pas regarder le journal, tu vas quand même le faire, n'est-ce pas ?
L'appel était d'Eleanor. Je l'ai décliné et j'ai relevé mes yeux sur Harry qui me regardait désormais avec désespoir. Je n'avais pas envie de savoir, mais je savais que je ne pourrais pas l'éviter.
Vous aviez refait votre entrée dans nos vies avec le trombone et la grosse caisse.
_Ils ont piraté les photos de ton téléphone portable, Lou.
Pour ne rien vous cacher, j'ai eu envie de vomir. La tasse s'est posé sur la table sans que je ne contrôle mes mouvements, et pendant que je sautais de ma chaise pour le rejoindre dans l'encadrement de la porte, je me suis fait l'inventaire de tout ce que mon téléphone avait en mémoire.
Des photos d'Harry, de nous, des photos du voyage qu'on avait fait en Laponie l'hiver dernier pour que les enfants rencontrent le père noël et ses rennes, des photos de la bande, des paysages quelconques, et des tas de photos d'Eliott et de Maddy. Alors vous voyez, ça n'a pas été difficile de savoir lesquelles avaient été affichées.
Vous n'aviez presque jamais réussi à photographier mes enfants avant, et nous n'avions lâché aucune photo officielle, mais vous savez quoi ? Ce n'est même pas tant le fait que vous ayez montré leur visage à la terre entière qui m'a le plus blessé et rendu furieux. C'était qu'elles soient volées.
Vous aviez volé ces photos. Vous aviez souillé notre vie privée et nos souvenirs en affichant à la vue de tous ce qui ne devait rester qu'entre nous. Les sourires de nos enfants, les baisers d'Harry et les rigolades de nos amis, ça, c'était à nous. C'était peut-être les seules choses qui nous restaient encore à protéger.
Mais vous nous les avez pris aussi.
Alors oui, pour ça, je vous en veux, vous ne pouvez pas savoir. Pour ça, vous ne serez jamais pardonné.
Les paillettes dans les yeux de ma fille lorsqu'elle a vu la neige tomber pour la première fois, sa silhouette en forme d'ange sur la poudreuse d'une colline, les prouesses de mon fils avec un ballon de foot et le regard amoureux d'Harry immortalisé près d'une cheminée, vous n'auriez jamais du en être témoins. Jamais.
Beaucoup m'en ont alors voulu d'être devenu invisible après cet évènement. Mais vous n'imaginiez quand même pas que je ferais comme si de rien était ? Vous ne pensiez pas que j'allais revenir avec un sourire plus gros encore que sur les photos ? Pendant plusieurs mois, on s'est coupé des réseaux sociaux, on ne sortait d'ailleurs plus vraiment de la maison. Je me rendais aux entrainements, oui, je jouais mes matchs, mais je ne donnais plus aucune interview, je sortais avec des lunettes et un bonnet. Je prenais la voiture tout le temps et ne flânais plus en ville en rentrant le soir. Harry, qui n'a jamais repris son travail à la maternelle après la maladie, ne sortait plus que pour emmener et aller chercher Eliott à l'école et Madeleine ne connaissait que le petit jardin de la maison.
C'est là-bas qu'elle a d'ailleurs appris à faire ses premiers pas. Sur les dalles blanches de la terrasse, entre deux bains de soleil et un parasol.
Mais vous êtes d'accord sur le fait que cette vie que nous menions, ce n'en n'était plus une. Ça rendait nos amis fous de rage et d'inquiétude.
Au final, je me dis aujourd'hui que ce n'était peut-être pas le meilleur comportement à adopter, mais que voulez vous... Dès qu'on était forcé à sortir pour une raison ou une autre, vous étiez encore pire qu'avant.
J'imagine même qu'on s'y est fait à cet éloignement. Pendant un temps.
Puis on s'est rendu compte combien c'était ridicule de se cacher comme des voleurs puisque ce n'était pas nous, les voleurs. Ce déclic, il est arrivé quand Eleanor et Bryan sont venu nous rendre visite un dimanche après midi. Ils nous avaient proposé de les rejoindre en ville la veille au soir pour manger un morceau tous ensemble, mais nous avions décliné. On ne nous croisait plus dans aucun lieu public à cette époque.
El est donc venue, et quand elle s'est assise avec une main sur son ventre et que, très doucement, elle a relevé des yeux brillants sur moi, j'ai compris avant même qu'elle ne parle.
_On va avoir un enfant.
Je ne sais plus trop ce qu'on a répondu, mais ce dont je suis certain, c'est que cette réponse, elle était à la hauteur de l'annonce. Madeleine est arrivée en galopant près de moi pour se plaindre qu'Eliott lui avait pris sa poupée, et Harry l'a prise sur ses genoux avant de pointer le ventre d'El.
_Princesse, regarde, à l'intérieur du ventre de tata, il y a un bébé.
Les pleurs se sont immédiatement séchés et elle a voulu regarder de plus près. Elle était déçue, elle ne voyait pas le bébé. Un moment, elle nous a pris pour des menteurs, mais Bryan a vite sorti une petite image de l'échographie en lui pointant un petit point.
_Tu le vois ? il a demandé en la prenant sur ses genoux pour qu'elle arrive à mieux distinguer.
_Hm.
_Eh bien, c'est le bébé que tata a dans son ventre.
La magie a opérée immédiatement, et de tout le reste de l'après-midi, elle n'a pas quitté Eleanor d'une semelle, posant sa main ou son oreille sur son ventre où l'on n'aurait pas encore supposé qu'un petit habitant s'y était caché.
Quand ils sont partis, on s'est compris en un regard, Harry et moi. On a comprit que ça suffisait.
J'ai alors décidé de faire une nouvelle conférence de presse pour démentir plusieurs rumeurs qui annonçaient qu'Harry et moi allions divorcer, et j'ai réitéré ma demande qu'on arrête de nous traquer. Je ne vous cache pas que ça n'a servit à rien, mais au moins, on ne pourra jamais nous accuser de ne pas avoir essayé, de ne pas nous être battus.
C'est pendant cet éloignement des médias et de tout ce que constituait la vie réelle qu'on a adopté Ulysse. Pour être honnête, on se rendait juste à l'orphelinat pour récupérer un document médical pour Maddy quand on l'a entendu. C'était une toute petite plainte, très feutrée. Un petit bébé qui pleurait dans un berceau près du bureau de la directrice. Harry a passé la tête dans la pièce avant que je ne puisse l'en empêcher, et voyant que personne n'était à l'intérieur, il a pris l'initiative d'aller le prendre dans ses bras pour calmer ses pleurs.
C'est en le voyant faire, du pas de la porte, que je me suis dis de nouveau à quel point il était un père merveilleux. Tellement merveilleux qu'en quelques minutes, quelques bercements et fredonnements, les larmes se sont taries. Ensuite, il a relevé vers moi un sourire si éclatant de fierté que c'est seulement là que je me suis rendu compte que ça faisait un moment que je ne l'avais pas vu comme ça.
Je ne dirais pas heureux parce que même pendant cette période, on l'était, mais... Je ne sais pas s'il existe un mot pour ça. Il était... rayonnant ? Oui. Surement celui-là. Rayonnant.
_Bonjour joli petit bébé, il a ensuite murmuré en se dirigeant vers moi.
La directrice est arrivée dans mon dos à l'instant même où j'ai caressé sa joue, et elle a sourit en nous faisant signe de la suivre.
_Oh ! elle s'est immédiatement exclamé quand elle a vu Harry entamer un geste pour reposer le nourrisson. Non, emmenez-le. Si vous le reposez, il va recommencer et je déteste l'entendre pleurer, ça me brise le cœur.
D'une certaine manière, si Harry l'avait reposé, je pense que tout se serait terminé là.
Seulement lorsque la directrice a eu fini de nous expliquer le contenu du document qu'on était venu chercher – rien de grave évidemment, c'est juste que les termes médicaux étaient durs à comprendre – et qu'elle s'est levé, j'ai vu, à la manière dont ses bras se sont resserrés et au coup d'œil dans ma direction, qu'Harry était incapable de remmener le bébé dans la chambre d'à côté.
_On va rester un petit peu, j'ai alors averti la quinquagénaire avec un sourire amusé.
Elle m'a rendu la politesse et nous a conduit jusqu'à la salle de jeu où on avait vu Eliott pour la première fois. Je crois que c'était un choix délibéré de sa part, je l'ai vu au regard malicieux qu'elle abordait lorsqu'elle a quitté la pièce. Il n'y avait plus aucun enfant à l'intérieur, il était six heures du soir et c'était l'heure du bain.
_Lou...
Sa voix était un murmure et quand j'ai tourné les yeux, nos regards se sont accrochés pour se comprendre en une fraction de secondes. J'ai pris Ulysse dans mes bras, je l'ai bercé pendant une demi-heure, et c'est tout ce qui nous a fallu pour aimer cet enfant aussi fort qu'Eliott et Maddy.
Alors non, lorsqu'on est rentré à la maison quelques jours plus tard avec un cosy et un nourrisson de quelques semaines, on n'a pas cherché à fuir le reste du monde. C'était notre petit miracle. Notre petit sauveur.
On est simplement passé récupérer Eliott et Madeleine chez Liam qui nous les avait gentiment gardé, et pour la première fois depuis plusieurs mois, on a été faire un tour au parc.
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Des bisous,
xx Camille.