Il fait encore nuit... mais ce n'est plus pour longtemps, je crois. J'ai ouvert la fenêtre de ma chambre et poussé les volets. J'écoute le chant des oiseaux et bientôt je verrai le soleil se lever, le ciel s'éclaircir...
Je suis impatiente.
J'ai réglé la sonnerie de mon réveil à cinq heure du matin, comme ça je peux appliquer le dicton : « La journée appartient à ceux qui se lèvent tôt ».
Je saisis mon journal puis m'appuie sur le rebord de ma fenêtre. Tout est calme et paisible, c'est une belle journée qui s'annonce.
Il y a quatre jours, j'ai rencontré un ange. Au cœur d'une forêt, non loin de là. Il m'a appris que j'étais immortelle et que mon don attirait la convoitise d'un certain nombre de créatures surnaturelles. Lui voulait m'aider, me sauver. En fait c'était surtout que les anges me voulaient de leur côté... les anges... waouh... employer ce mot aussi naturellement a un drôle d'effet sur moi. C'est comme s'ils m'étaient familiers, alors qu'en fait... j'ignore si je dois leur faire confiance, mais ils sont censés être les gentils, non ? Et puis, face à des démons, je pense que le choix est vite fait...
Théo est venu me voir il y a deux jours. Il m'a demandé de continuer à mener une vie normale... il ne s'est pas un peu foutu d'ma gueule par hasard ? Non... bien sûr que non... quelle idée voyons...
Il m'a raconté vite fait comment vivaient les anges, à quoi ressemblait le Paradis, et puis il a évoqué La Division : la fin du règne du vieux Prince du Ciel, les Ailes Noires qui se sont rebellées, les Ailes Blanches qui ont lâchement fuient le Paradis, puis Lucifer, qui a gagné la guerre et guidé les Ailes Noires jusqu'au trône de marbre.
Lucifer, guerrier au cœur de pierre
Lucifer, roi des Enfers...
Il a ensuite tué le seul qui lui a résisté puis a renommé les Ailes Noires.
Démons, c'est ainsi qu'il les a appelées.
Après ça ne sont restées au Paradis que peu d'Ailes Blanches, mais leur âmes étaient si pures, dit-on, qu'elles parvinrent à sauver le ciel, après quoi elles se sont nommées : Anges.
Voilà l'histoire de La Division. La naissance des anges et des démons. La chute vers les Enfers et la sauvegarde du Paradis.
Théo n'a pas voulu m'en dévoiler davantage. Il a prétendu que j'en savais bien assez trop pour le moment. Ensuite il m'a dit au revoir, sur le coup j'ai eu peur, je lui ai demandé où il allait, et d'un regard rassurant il m'a répondu qu'il se rendait au Paradis et qu'il serait très vite de retour. Pour le taquiner je lui ai rétorqué qu'il devait me protéger, puis il m'a lancé : « Ne t'inquiète pas, tu ne seras pas toute seule... une vieille amie va te rendre visite », puis il a déployé des ailes d'une blancheur éblouissante et s'est envolé. Haut, très haut, en quelques secondes il est devenu un point noir dans le ciel... puis je l'ai perdu de vu.
J'entends encore ses mots pleins de tendresse...
Et le turquoise de ses yeux qui me berce...
Hier, en arrivant au lycée, j'ai eu la bonne surprise de retrouver Lahela. Il faut dire que je m'en doutais...
Ses rires qui m'entrainent dans leurs élans et ses regards chaleureux qui me réchauffent le cœur... ça m'a fait énormément de bien.
Après nos retrouvailles je l'ai bombardé de questions.
« Pourquoi est-ce que je suis la seule à te reconnaitre ? »
« Parce que les anges ne laissent qu'un léger souvenir semblable à un rêve lors de leur passage sur Terre », m'a-t-elle répondu.
« Mais uniquement lorsqu'on le souhaite », s'est-elle empressée de préciser.
« Et les démons, eux, hantent les humains en leur laissant la peur au ventre après un cauchemar sans fin » a amèrement murmuré Lahela de la même façon qu'elle aurait récité un vieux poème qu'on lui aurait fait répéter un millier de fois durant son enfance, pour être sûr qu'elle ne l'oublie pas.
J'ai observé son regard songeur. Si opposé à sa personnalité... mais en fin de compte, je ne la connais pas.
Plus tard dans la journée, Greg est venu me voir. Ça m'a rappelé que Loana était partie... avec tout ce qui est arrivé ces derniers-jours je l'avais presque oubliée... Je m'en suis voulu terriblement de sourire alors qu'elle était morte et que je m'étais promis de la venger. D'un autre côté, tout a pris des proportions si grosses que je ne maitrise plus rien.
Bien évidemment Greg m'a parlé d'elle et ça m'a rappelé l'enterrement et les larmes de nombreuses personnes que je n'avais jamais vues pleurer auparavant... j'ai essayé du mieux que j'ai pu de changer de sujet mais je n'y serais jamais arrivé sans l'aide de Lahela. Elle a le don pour être là où il faut, alors ils ont fait une nouvelle fois connaissance - ce qui m'a parût très étrange - puis des sourires ce sont dessinés sur leurs visages. Je les ai laissé en me disant qu'ils iraient bien ensemble... puis je me suis rappelée que mon amie était une ange et que par conséquent une telle union était chose impossible. En m'éloignant je les ai entendu rire ...
Finalement, un amour aussi invraisemblable que lui était peut-être envisageable.
Dans les couloirs, de vieux souvenirs, pourtant pas tant que ça, me sont revenus. Je courrais, cherchant la sortie du labyrinthe infernal... et la chose me suivait... le vampire, plutôt.
Un frisson m'a parcouru le corps. « Est-ce qu'il est là ? Est-ce qu'il m'observe ? » Non, Théo ne m'aurait pas laissé sans protection si le danger était encore là. Quoi que... je me suis dit que Lahela était censée me surveiller... mais qu'elle avait la tête ailleurs à ce moment-là.
J'ai fait un tour sur moi-même, scrutant le moindre recoin. J'étais seule et un silence de mort régnait dans les parages. Cette situation m'en a rappelé bien d'autres... La seule différence c'est que maintenant je connais l'ennemi... ce qui ne fait qu'amplifier mes peurs.
J'ai crié : « Lahela ! » Mais il n'y avait personne aux alentours. Je me suis précipitée vers la sortie... plus que deux tournant, une ligne droite et j'allais retrouver les autres... le sentiment horrible de déjà-vu s'est emparé de mon cerveau, je ne pouvais plus réfléchir. J'ai trébuché et tenté de me rattraper mais je ne suis parvenue qu'à me cogner le poignet contre le mur puis à tomber lourdement sur le sol. Je me suis crispée, et retenant mon souffle je me suis relevée dans un effort surhumain.
J'ai repris ma course, or il m'était impossible de courir ou même de marcher. Ma cheville devait être cassée ou au minimum tordue, néanmoins cela n'a pas suffi à m'arrêter. J'ai sautillé le plus vite possible... il ne fallait pas que j'abandonne, il ne fallait pas... il était derrière moi, j'en étais sûre et certaine... c'était la fin. J'avais perdu... j'aurais aimé crier mais j'en étais incapable. Ma voix restait bloquée au fond de ma gorge. Je ne pouvais même pas me débattre... je ne pouvais plus bouger... je tremblais comme ce n'est pas permis... la peur m'anéantissait... j'ai fermé les yeux... priant sur je-ne-sais-quel-dieu auquel je ne crois pas, ... c'était la seule chose qu'il me restait à faire de toute façon... prier. Prier pour qu'il ne m'arrive rien.
Des bruits de vaisselle retentissent au rez-de-chaussée, ce doit être ma mère.
Je fourre rapidement mon journal dans le tiroir de mon bureau puis me détourne de ma fenêtre et m'habille, tout en repoussant les souvenirs de la veille. En descendant au salon je ressens une vive douleur à la cheville mais elle s'atténue au bout de quelques secondes et j'en viens à l'oublier. C'est sûrement mieux ainsi : oublier que désormais les vampires n'hésitent pas à venir me rendre visite dans l'enceinte même de mon lycée.
J'ai l'impression d'être en danger de mort un peu tout le temps, et malgré le fait qu'on m'ait assuré que je ne risquais rien dans ma maison tant que je n'invitais pas un vampire à entrer, je ne m'en sens pas plus rassurée. Même lorsque je suis avec Lahela, j'ai toujours l'appréhension qu'elle tourne la tête une fraction de seconde et que ça suffise à un vampire de surgir de derrière un arbre et de s'emparer de moi. Et que veulent-ils faire de moi, justement ? Mon sang recèle peut-être un pouvoir d'immortalité, et sachant que les vampires se nourrissent de sang... Des scènes de films toutes plus horribles les unes que les autres viennent assaillir mon esprit. Tant que les images restent à l'intérieur de la télé, tout va bien, mais lorsqu'elles en sortent et que ces histoires deviennent réalité...
Je chasse comme je peux mes affreuses pensées et monte dans le petit car que j'ai tant l'habitude d'emprunter.
Quand Lahela m'y rejoint je ne discerne pas sur son visage ses signes habituels de bonne humeur. Elle est préoccupée, tout comme moi... elle me demande une dernière fois ce qui s'est passé avant qu'elle me trouve adossée contre un mur, dans les couloirs du lycée.
- Tout-à-coup je me suis sentis hors de danger, et puis de toute façon je n'aurais pas pu continuer... alors voilà, je me suis arrêtée, assise... et j'ai attendu que quelqu'un vienne.
Et je m'en voulais tellement... Si seulement je m'étais retournée... j'aurais pu voir qui était le vampire... et... peut-être que pour une fois la fin aurait été différente. Il aurait pu me tuer... mais il ne le voulait pas... il attendait, me narguait, me terrifiait, gâchait ma vie... bref... mes réflexions ne mènent pas à grand-chose. Pendant quatre jours de bonheur où tout est allé pour le mieux j'ai oublié les vampires, Loana, et le reste... mais hier j'ai vécu un brusque retour à la réalité, ou au cauchemar... à savoir comment définir ma vie...
Je pensais que les anges me protègeraient, ou du moins me rassureraient... or Lahela se contente de me poser des questions et me conseille de poursuivre ma vie normalement... comme Théo... à croire qu'ils se fichent bien de ce que je peux ressentir...
Et puis, qu'ils soient là ou non ça ne change rien. Eux, comme moi, sommes impuissants face à la situation... Finalement les anges ne m'impressionnent plus tant que ça.