« Du nouveau dans l'affaire du Boston Daily ! Hier soir, Rose Miller, rédactrice en chef du journal régional, a été retrouvée morte suite à une chute mortelle sur son lieu de travail. Après avoir interrogé les témoins, la police a annoncé ce matin qu'il s'agissait d'un homicide et que le coupable avait déjà été appréhendé. Ce serait un des employés présent ce soir-là qui... »
— Sherlock ! On parle de toi à la télé ! se réjouit soudain Maya depuis le canapé.
Entendant mon surnom, je lève le nez de mon travail pour regarder l'écran.
Un présentateur près de la cinquantaine assis à un bureau métallisé s'adresse à la caméra, le visage crispé en une expression des plus sérieuses. Il semblerait qu'il ait perdu sa femme récemment à en juger par son apparence anormalement négligée et sa bague de mariage qu'il n'arrête pas de caresser machinalement.
— Et si tu l'écoutais plutôt que de t'introduire dans sa vie privée ? s'exaspère Maya suite à mon commentaire.
Le présentateur nous adresse un dernier regard manquant cruellement d'enthousiasme avant que le reportage ne se lance.
Alors que des images des locaux du Boston Daily s'affichent à l'écran, la voix d'une femme revient sur les faits de façon succincte et légèrement romancée. Puis viennent les témoignages de certains collègues qui, malgré les visages floutés, restent reconnaissables sans trop de difficulté.
« C'est l'inspecteur Etienne Rogers, en charge de l'enquête, qui va finalement réussir à éclairer la situation. Son intuition le pousse en effet à fouiller les suspects et il découvre alors une preuve étonnante. »
— Son intuition ? Tu parles ! grommelle Maya.
Je souris, légèrement amusée.
— Ce n'est pas important. Mieux vaut pour nous que personne ne connaisse notre implication dans les affaires de l'agent Rogers.
— Tu veux dire l'inspecteur Rogers, me rectifie Maya avec un air de dégoût.
Sur le téléviseur, une photo de Jack Thomas apparaît tandis qu'un enregistrement de sa voix est diffusé :
« Quand Iliana est partie du bureau, je suis entré pour parler avec Rose. Je voulais la raisonner. Elle était trop gentille, vous savez. Iliana n'allait jamais la rembourser et puis son mariage avec Gregory... C'était pour son bien, vous comprenez ? Je l'aimais. Mais elle a mal pris mes conseils et on a commencé à se disputer. Tout s'est passé si vite... Elle est tombée, s'est cognée la tête contre le bureau. Je n'ai rien pu faire. Elle est morte sur le coup. Alors j'ai paniqué. Je ne voulais pas qu'on croit que je l'avais... enfin... »
— Drôle de façon de montrer qu'il l'aimait..., commente à nouveau Maya.
Le reportage reste vague quant à la méthode de l'assassin. Peut-être est-ce mieux ainsi.
« C'était un accident, je ne sais pas pourquoi j'ai tenté de le cacher. Rose ne méritait pas ça. J'ai juste paniqué. Je ne voulais pas finir en prison, vous comprenez ? Je l'aimais vraiment. Je voulais juste... Comment aurais-je pu savoir qu'une de ses lentilles s'était glissée dans l'ourlet de ma veste ? »
Le focus revient alors sur l'inspecteur Rogers. Entouré de journalistes, micros tendus vers lui, l'homme donne un discours un peu trop bien répété pour paraître naturel :
« Effectivement, personne n'aurait pu le prévoir et pourtant, sans cette preuve décisive, il aurait été difficile d'inculper le coupable de façon aussi formelle. Cette affaire nous prouve que parfois le hasard fait bien les choses, comme on dit ! »
Et dire que, grâce à moi, cet idiot est devenu inspecteur.
Enfin, ce n'est peut-être pas un cadeau pour Boston mais c'est définitivement une aubaine pour moi. Car, si je viens l'aider à résoudre ses enquêtes, c'est que le policier m'offre en échange un accès aux informations et ressources de la police. Le tout en gardant un anonymat complet.
Disons que c'est un échange de bons procédés.
C'est d'ailleurs grâce à cet accord que je peux, en cet instant même, éplucher en toute sérénité les archives d'arrestation de la police de Boston.
Dans les rapports récents, un nom familier ne tarde d'ailleurs pas à m'interpeller :
Compte-rendu d'interrogatoire
Enquête n° : AD-24522
Lieu : Boston, M.A.
Date : 16/05/2015
Rapport écrit par : Inspecteur ROGERS, Etienne
Personne entendue : THOMAS, Jack Timothy
Age : 32 ans
Lien avec la victime : collègue de travail et ami
Déclaration :
J'ai commencé par tout nettoyer puis j'ai emmené Rose sur le balcon et je l'ai accrochée à la rambarde avec un fil en nylon trouvé dans la réserve. En doublant le fil et en utilisant la fougère comme contrepoids, j'ai tiré la boucle restante du fil jusqu'à la porte que j'ai fermée. Puis j'ai passé un stylo assez robuste dans la boucle pour bloquer le tout.
Heureusement, il faisait assez sombre et le balcon était assez haut pour que les passants ne remarque pas le corps. Du coup, j'ai pu retourner avec les autres jusqu'à ce que Gregory s'inquiète. Il a suffi qu'il ouvre la porte pour que le stylo soit débloqué, faisant ainsi tomber le corps. Le pot de la fougère a dû se briser au passage.
J'ai profité de la panique générale pour effacer les preuves. J'ai pu enrouler rapidement le fil mais impossible de mettre la main sur le stylo. Et puis je me suis rendu compte pendant mon premier témoignage face à la polie que je m'étais couper le doigt dans ma précipitation.
Après ça, j'ai gardé le fil et ma main blessée dans la poche en attendant qu'on soit enfin relâchés. Mais juste quand je pensais être sorti d'affaire, l'inspecteur Rogers a demandé à nous fouiller et tout s'est effondré. J'ai d'abord nié mais quand il a trouvé la lentille, j'ai compris que c'était trop tard.
Je ne prends pas la peine de lire la fin de la déposition, en connaissant déjà tous les détails.
« TU L'AS TUÉE ! TA PUTAIN DE JALOUSIE L'A TUÉE ! VA CROUPIR EN ENFER ESPÈCE DE... »
Mes yeux se tournent vers la télévision en reconnaissant la voix enragée de Gregory Wilson. À l'image, l'homme, que des agents tentent de maîtriser, continue de vociférer des injures tandis que l'assassin de sa bien-aimée est embarqué dans une voiture de police. On peut également apercevoir Iliana en train de pleurer un peu plus loin.
— Tu ne veux pas regarder autre chose ?
— Tu rigoles ? s'indigne Maya. C'est le meilleur moment !
•♣•
Le soleil ne tarde pas à se coucher complètement. Bientôt, seule la lumière générée par l'écran de la télévision brise l'obscurité. Cela n'a pas l'air de déranger Maya. Elle n'a pas bougé d'un pouce depuis tout à l'heure. Son regard ne cesse de faire des allers-retours entre l'écran du téléviseur et celui de son portable. Je me vois donc obligée d'allumer la veilleuse trônant sur le coin droit du bureau.
C'est un vieux et imposant meuble en bois qui appartenait à mon père. Ce dernier avait placé stratégiquement son bureau à l'angle de la pièce principale. De cette façon, il pouvait garder un œil sur toutes les pièces de la maison et en connaitre toutes les allées et venues. Le tout en restant hors-champ des fenêtres.
L'ordinateur qui est posé sur le bureau appartenait également à mon père. Comme celui-ci était détective privé, il travaillait très souvent à domicile et c'est dans ce poste que tous ses dossiers et ses recherches sont stockés. Beaucoup d'informations sur ses clients, ses contacts à la police, des rapports d'enquêtes, des factures, rien de bien intéressant. Enfin, c'est ce que je pensais avant de tomber sur un étrange dossier rempli de documents cryptés.
Avec beaucoup de temps et de patience, j'ai réussi à en décrypter quelques-uns : des articles sur la mort de ma mère, des histoires de réseau mafieux et un dessin de soleil. Et puis j'ai continué à en trouver un peu partout, tous avec des codes différents et extrêmement difficile à déchiffrer.
De ce que j'ai compris, je crois que mon père enquêtait sur la mort de ma mère. Celle-ci avait été retrouvée sous les décombres d'un bâtiment en démolition et, après une investigation peu concluante, l'affaire avait finalement été classée comme mort accidentelle. Evidemment, cela n'avait pas suffi pour convaincre mon père et ses recherches semblent l'avoir conduit vers un réseau criminel étendu dans le nord du pays. Leur sigle de reconnaissance est un soleil rouge.
À mon avis, je suis encore loin d'avoir tout découvert mais une chose est sûre ; cela a forcément un rapport avec les circonstances étranges dans lesquelles mon père a perdu la vie. Et s'il avait trouvé quelque chose ?
— Sherlock, t'as vu ça ?
La voix de Maya résonne dans la pièce sombre et je lève le regard en sa direction.
— L'As de Pique a réussi ! ajoute-t-elle en me tendant son portable.
J'y aperçois, sur une vidéo très mal cadrée, un homme en costume de magicien disparaître sous un nuage de fumée. Au-dessus, on peut lire le titre de la publication : « Défi relevé ! Le magicien masqué s'empare de Gold Lily ».
— Je me demande comment il a fait, se questionne Maya. La perle était pourtant bien gardée, toutes les sorties sécurisées. On dirait vraiment de la magie !
Je lève un sourcil, intriguée.
— De la magie, bien sûr...
Ses joues parsemées de taches de rousseur se mettent à gonfler quand elle aperçoit mon rictus moqueur.
— Et comment expliques-tu qu'après avoir pris la perle il ait disparu sans laisser de trace ?
Je soupire devant la naïveté de ma petite sœur, lui expliquant que ce voleur a probablement jeté un fumigène pendant qu'il se mêlait à la foule.
— Mais comment a-t-il fait pour s'enfuir ensuite ? Toutes les personnes présentes ne sont sorties qu'après avoir été fouillées.
— Et alors ? Je suppose que si son surnom est le magicien masqué, on ne connait pas son visage. Sans son masque, il peut très bien se faire passer pour un citoyen des plus normaux. Et ce n'est pas très difficile de se débarrasser d'un masque... Quant à la perle, tu serais surprise de savoir le nombre d'endroits qu'il existe pour cacher un si petit objet sur son corps. La magie, ce n'est que pour les imbéciles.
— Ce que tu es ennuyante, souffle Maya en détournant le regard vers la télévision.
Je lui fais alors remarquer qu'elle n'a pas terminé ses devoirs. Elle m'adresse un regard noir de reproche mais je reste de marbre. Elle finit par éteindre le poste mais ne se lève pas pour autant. Ses yeux continuent à contempler l'écran vide un moment.
— Et si tu l'attrapais ?
Je la dévisage avec étonnement. Est-elle sérieuse ? Je le crains. Aucun sourire ni signe de plaisanterie. Seulement un air solennel et encore ces grands yeux curieux.
— Tu sais très bien que je ne m'intéresse pas aux voleurs.
— Mais ce n'est pas un voleur comme les autres, c'est LE magicien masqué ! insiste-t-elle en se levant. Des filles au lycée ont eu l'occasion de le voir et il parait qu'il a des yeux magnifiques. J'aimerais tellement voir son visage ! Et puis tu rendrais service à ta ville. Je ne vois pas qui d'autre pourrait réussir à déjouer ses tours.
— Tu ne crois pas que j'ai mieux à faire que débusquer un magicien de pacotille ?
J'ignore son expression atterrée et me replonge à nouveau dans mon travail. C'est alors qu'une tablette atterrit devant mes yeux. Elle est ouverte sur une page internet contenant un article sur le fameux voleur.
Face à moi, Maya me lance avec un sourire malicieux :
— Il a laissé un message après son vol pour demander une rançon. Je ne sais pas ce que tu en penses mais ça ressemble étrangement à une énigme...
Puis elle s'enferme dans sa chambre et j'hésite un instant. Observant la porte close comme pour m'assurer que Maya ne puisse pas voir au travers, je ne peux finalement m'empêcher de jeter un coup d'œil à l'article.
Mes yeux s'attardent un instant sur la photo qui illustre le texte. On y voit la silhouette d'un homme habillé de noir. Malheureusement, l'image est de bien trop mauvaise qualité pour que je puisse y discerner quelque chose d'utile. Je me mets donc à lire en diagonale l'article jusqu'à tomber sur le paragraphe concernant le mot que le voleur a déposé après avoir ravi Gold Lily.
« Lors de la célébration battante de la pleine lune, se déposera au sommet le révolu et Gold Lily étincellera de mille éclats dans les mains du maître.
— A♠ »
// Fin du chapitre //
Et nous voilà de retour pour ce deuxième chapitre qui nous permet d'en savoir un peu plus sur les sœurs Johanson. L'affaire du Boston Daily est résolue mais pas le temps de se reposer sur ses lauriers car l'As de Pique vous invite à déchiffrer son énigme. Celui qui trouve le vrai sens du message gagne un bonbon ! :P
Tous les avis et conseils sont les bienvenus ! :)
~Lila~