27 Avril 1912.
-Tu veux des choses pour ton anniversaire ma femme?a demandé Leslie le matin même alors qu'il n'y a pas vraiment de boutiques sur le bateau.
-Des choses comme quoi?
-C'est ton anniversaire aujourd'hui?demanda Martin qui passait par là.Tu as quel âge?
-14 ans...j'ai l'âge de mon année,a-t-elle répondu intimidée.
-Et tu veux quoi pour ton anniversaire?demanda Leslie.
-Je ne me suis pas vraiment posée la question.
-Tu sais sans te poser la question ou tu sais pas du tout?
-Je sais pas du tout,je sais que je n'obtiendrais rien,vous avez été tellement bousculée....
-Hé bien tu vas être plutôt gâtée.
Leslie sortit du sac où elle n'aurait jamais du la mettre la couronne de fleurs qu'elle avait fait avec ce qu'elle avait illégalement ramassée dans central park.C'est ce qui la laissa perplexe,d'ailleurs,mais elle n'eût pas le coeur de nous le faire remarquer.Elle avait les grands yeux d'une petite fille qui découvrait une campagne rêvée de contes de fées.Puis elle regarda Martin avec tristesse,sachant que moi à peine après avoir perdue un garçon qui l'aimait me faisait poursuivre.Elle avait honte de son célibat prolongé,certainement.Elle espérait qu'elle serait plus belle avec cette couronne qui lui donnait l'air de la fille unique et ingénue d'un roi des elfes quelconque.Elle était trop obsédée par une perfection qu'on avait jamais remarqué chez elle pour s'autoriser un seul manquement aux règles suprêmes.Mais je faisais celle qui n'avait rien remarqué.Je me suis levée et j'ai invité Martin à la fête circonscrite à notre cabine obscure.La première chose que j'ai vu,c'est une modification criante à ce décor impersonnel qu'on connaissait par coeur.Sur le mur face à la porte,Katty avait accroché un cadre doré avec une photo de nous quatre.
-Katty,tu as fait ça...
-C'est vraiment joli,complimenta Martin en hochant la tête.
Plissant les yeux,je recherchais à travers les nuances appuyées et les rayures les vêtements que je portais pour retrouver le contexte.Oui,au beau milieu de cette situation que je ne qualifierais pas,c'était la seule chose qui me préoccupait.J'ai fait comme si je me rappelais d'avoir oublié quelque chose soudainement,cherchant à tâtons quelque chose sous le lit.
-T'as perdu quelque chose Ania?
-Non,non,mon bracelet était là.
Moment de flottement.J'avais fermé les yeux un court instant,que j'avais vraiment du mal à les garder ouvert.Quand je les ai ouvert,j'ai aperçu Martin à tout juste un mètre de moi.
-T'étais pas aussi près que moi avant...
J'ai voulu l'éviter mais je dus me projeter plus loin dans la profondeur de la pièce.
-Pietroucheka!hurla la voix d'Edmée maintenant plus proche.Martin est-il dans ta cabine.
Malgré les signes de Martin qui tendait d'exprimer un "dit non!"j'ai répondu oui,tout de suite,avec zèle.De nature bordélique,déséquilibrée,j'avais toujours tendance à aller à l'encontre de la volonté des autres.
-Pietroucheka?a encore demandé la prof.
-Ne m'appelez pas par mon nom de famille s'il vous plaît.Vous êtes où?
-Un étage au-dessus.
Katty a décidé qu'on partirait aussitôt la rejoindre et on toutes hoché la tête comme des vieux monsieur avec des drôles de chapeaux.C'était le moment de rejoindre une salle de bains collectives,où on lavait des corps de jeune fille comme si c'était ceux de filles de 4 ans.J'ai souri,en la voyant,sans en rajouter,hésitant à me déshabiller.La salle de bain baignait cependant dans un brouillard blanc d'effluves savonneuses qui cachait la chair et le poil.Les filles se déshabillaient comme si elles avaient perdu toute pudeur,elles voulaient être propres c'est tout,et elles avaient raison.
-Il y a un risque que les garçons puissent nous voir?j'ai demandé à Katty,à côté de moi.
-On a déjà pas beaucoup d'intimité...
Elle aurait voulu ajouter quelque chose mais Alizzia,déjà dans la douche,a commencé à l'éclabousser,et ses sous-vêtements avec.Elle les enleva d'un seul geste expert et se jeta à sa suite.Je les ai rejointes,avec une hésitation amusée et intimidée.C'était le fantasme des soirées pyjama,en un peu plus chaud,et plus mesuré dans le même temps.En fait on s'est beaucoup vues mais à peine touchées.Mais tout ce que j'avais ressenti pour elles commençaient,sans que je ne m'en rende compte,à se transformer en la dette la plus élevée de ma vie,parce qu'elles avaient fait de moi une ado prêtes à tout pour l'amour.Peut-être était-ce à cause d'elles que j'avais pas souffert encore plus.
Alizzia,elle,avait supplié ses parents pendant des mois pour payer deux malheureuses semaines à New York.Leslie s'accrochait à tout ceux qui s'étaient ouvert à elle en terme d'amour.Katty s'était accrochée à Brian jusqu'au bout,lui qui s'était sacrifié pour elle.Et pourtant,puisqu'il faut toujours trouver un coupable humain à son malheur,je pense encore que l'élément déclencheur est Ismay.
J'étais prête à affronter toutes les démarches administratives du monde.Après ce mois chaotique j'étais prête à tout.Je ne savais même pas si les choses se rétabliraient dans ma tête ou si un jour je prendrais un grand plaisir à me venger.
Oui,je ne savais pas parce que j'étais au milieu d'une bataille de mousse dans une salle de bains commune.Une stewardesse a dû intervenir pour nous calmer.Elle n'était pas la première à essayer de nous calmer.La première fut l'espagnole Clara Prodigua.Sous prétexte que comme nous elle ne parlait pas ils avaient tendance à l'ignorer.J'aimerais une telle marque de respect à mon égard.
Personne,que ce soit la steward ou notre prof principale,n'a dit à quel point il était choqué.Juste demandé de retirer toute la mousse à l'eau,de nous sécher et de mettre des vêtements.Voilà un souvenir de voyage scolaire que je voulais garder.
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28 Avril 1912.
La stewardesse,a l'aise avec un verre de rouge sur les genoux de son mari,écoutait le récit du naufrage pendant cette soirée éclairée sur le pont.Je sentais qu'à ma droite Joëlle me regardait d'un air différent mais je n'y prêtais absolument aucune attention.Edmée,elle,devait être déçue de l'attitude indiscrète de la stewardesse,mais moi cela ne m'atteignait déjà plus désormais.Pour eux je suis une sorte de miraculée qu'on a du mal à traiter avec un respect qu'on a.Je n'avais pas envie d'être enveloppée,comme dans un aura de mystère.Je me demandais encore comment on faisait pour ne pas inquiéter nos parents en recherche constante de nos nouvelles.Il y avait tant de questions auxquelles répondre.J'avais envie de fermer les yeux et de prier pour que toute cette situation ne soit qu'un cauchemar.Toutefois,j'ai à nouveau ouvert les yeux et ils étaient là face à moi.Je remarquais que le steward ressemblait à un albert avec des traits plus fins et une blessure sur la joue gauche.J'avais l'impression de transpirer sous avoir le moindre effort physique derrière moi.Inutile de préciser que je détestais la sensation.Alors,les amis,j'ai fait quoi.Je me suis levée,j'ai fait une foulée,et j'ai couru prendre l'air sur le pont.Mais je fus poussée au retour quand un détail me marqua profondément.Se pouvait-il que...Malgré plus de minceur et une cicatrice,la ressemblance était trop frappante dans les traits du visage.
-Dziedobry.Czy jestes Alberta?
Aucun doute,il s'agissait bien de lui même.Envoyé par mes parents à New york en bateau.
-Mes parents ont pris un tel risque rien que pour voir si j'allais bien?
-C'est pas les miens qui ferait ça a ajouté Katty.
-Tu as l'air calme quand tu racontes ce qui s'est passé,a-t-il dit comme si il n'avait pas passé dix jours à s'inquiéter pour moi,ce que j'ai d'abord pensé être le cas.
Je m'approchais de lui en faisant des grands gestes,les bras en l'air,parce que j'étais trop surprise,parce que je comprenais rien,parce que j'avais peur qu'il y ait au moins anguille sous roche.Je n'arrivais pas à choisir les mots pour lui demander plus d'arguments sur les raisons de sa présence ici.
-Mais tu as la capacité de comprendre l'amour que tes parents éprouvent pour toi?
-Oui,s'inquiéter pour quelqu'un je sais parfaitement ce que c'est.
-Oh pardon!Quel con mais quel con j'ai été!
Et cela me mit encore plus en colère.