Émilie s'infiltra dans le cachot, comme s'il n'y avait jamais eu de barreaux de fer et d'argent épais comme des poteaux, et s'approcha d'une silhouette.
Taylor était assis contre le mur, la tête dans ses genoux, soupirant doucement et tristement.
Attristée elle-même, elle voulut caresser ses cheveux châtain, mais elle se rappela qu'elle n'avait pas de bras.
C'est alors que Taylor releva la tête, et la jeune fille réprima un haut-le-cœur.
Son petit-ami avait un filet de sang qui coulait de son crâne et un sourcil abîmé, ainsi qu'un vilain bleu sur la mâchoire.
Il était méconnaissable.
Mais tellement méconnaissable, que la jeune fille se demanda si c'était vraiment lui...
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Elle recula soudainement de la balustrade, sa main posée sur sa bouche, tellement elle était terrifiée, dégoûtée, et prise de pitié ainsi que de culpabilité.
Elle ne pouvait pas se dire que c'était lui...
Mais c'était bien Taylor. Elle ne pouvait le nier malgré son apparence. Elle sentait dans son âme qu'il appartenait à sa tribu. C'était lui.
Lui avec un visage balafré.
Visage balafré par Aaron.
Les larmes ravagaient le visage d'ange d'Émilie. Il lui avait fait du mal ; Aaron avait fait du mal à Taylor.
-Émilie ?
Elle ferma les yeux pour maîtriser sa rage encore jamais inégalée.
Elle voulait le venger.
Elle voulait venger le membre de sa tribu qui avait subi toutes ces atro...
Elle ouvrit subitement ses yeux, oubliant sa colère d'une seconde l'autre.
"Membre de sa tribu"...
Horrifiée, elle recula de nouveau.
"Membre de sa tribu"...
C'était sa raison, son esprit, son cerveau qui avaient parlé.
"Membre de sa tribu"...
Elle sentit de nouveau ses larmes couler.
Elle n'avait pas dit "son petit-ami".
Elle ne le voyait plus comme son petit-ami.
Elle le voyait comme un "membre de sa tribu".
Non, non, non... C'était impossible ! Elle aimait Taylor, de tout son cœur, de toute son âme ! Elle était folle amoureuse de lui !
Elle posa sa main sur son cœur.
Il le lui prouverait ! Dès qu'elle poserait sa main sur son cœur, il battrait...
Il ne battait pas. Il ne tambourinait pas dans sa poitrine comme autrefois.
Alors si elle pensait fort à lui, il se mettrait à battre si fort qu'elle l'entendrait dans ses tempes. Comme autrefois.
Et oui, son cœur se mit à battre.
Sauf que ce n'était pas le visage de Taylor qui apparaissait dans son esprit, mais celui d'un homme plus brun, aux yeux noirs. Aaron.
Elle voyait Aaron à la place de Taylor et son cœur battait.
Non, non, non !...
Elle s'effondra sur le sol du balcon, froid.
Froid comme la douleur qu'elle ressentait.
Froid comme la tristesse qu'elle ressentait.
Froid comme les larmes qui coulaient.
Froid comme la pluie qui se mettait à tomber avec violence.
-Émilie !
Elle sentit quelqu'un la prendre dans ses bras.
Bras réconfortants.
Bras accueillants.
Bras protecteurs.
Bras consolateurs.
Elle se laissa réconfortée, accueillie, protégée, consolée par ces bras.
Elle ferma les yeux en laissant couler une dernière larme qui fut interrompue dans sa descente par un doigt rugueux mais doux.
Elle frémit à ce toucher.
Son cœur battait.
Maintenant, elle écoutait son cœur.
Maintenant, elle écoutait son âme.
Maintenant, elle écoutait son corps.
Mais elle devait arrêter. Elle ne voulait pas savoir ce qu'ils lui disaient avec force, avec supplication.
"Laissez-moi... Laissez-moi vivre ma vie..." pensa-t-elle à leur adresse.
Elle reconnut la voix d'Aaron qui chuchotaient de tendres mots à son oreille.
-Qu'est-ce que tu m'as fait ? murmura-t-elle, inaudiblement sous le déluge qui les arrosait, sur ce balcon qui pendait au-dessus d'un vide de dix mètres.
-Hein ? fit la voix, étonnée.
Aaron crut avoir mal entendu, malgré son ouïe surdéveloppée.
Elle ne répéta pas.
Elle souffrait.
De cette distance, de...
Elle s'éloigna brusquement en se relevant et fonça dans la salle de bain, trempée par l'averse.
Oui, c'était la distance !
Dès qu'elle retrouverait Taylor, son cœur se remettrait à battre, son âme à s'animer, et son corps à réagir.
Oui, seule la distance atténuait ses sentiments qui se revivifieraient dès qu'ils ne seraient plus séparés.
Ils pourraient continuer leur histoire d'amour, ils pourraient avoir une vie heureuse, triomphante.
Des images d'Aaron se métamorphosèrent dans son esprit, et la tête de l'Alpha remplaça celle de Taylor.
Elle ne voyait plus qu'Aaron la regarder.
Elle ne sentait plus qu'Aaron la toucher.
Elle n'entendait plus qu'Aaron la consoler.
Mais qu'est-ce qu'il lui arrivait ?! Elle ne pouvait pas être devenue folle ! Elle ne pouvait pas avoir pénétré dans un état de démence !
C'était son cœur, son âme, son corps, son esprit, son cerveau qui étaient fous. Mais elle, elle n'était pas folle. Sauf que qui était-elle si elle n'était ni son cœur, ni son âme, ni son corps, ni son esprit, ni son cerveau ? Elle était sa raison... Mais sa raison l'emporterait-elle contre son cœur, son âme, son corps, son esprit, son cerveau ?
Émilie se prit la tête dans ses mains. Elle devait avoir des hallucinations. Elle devait être fatiguée, aussi tard. Son regard se porta sur l'horloge au-dessus de la porte. 23h30.
Suant à grosses gouttes, elle reprit une douche pour remettre ses pensées en ordre.
Ses muscles engourdis se relâchèrent, sa respiration irrégulière se calma, et elle ressortit de sa douche, sûre d'elle.
Oui, c'était la distance qui était à l'origine de tout ce mal-être. Mais elle devait se méfier d'Aaron. Il était tout de même son âme-sœur.
Elle se regarda dans le miroir de nouveau reposée, même si son visage était rougi par les larmes. Elle essuya sa peau irritée avec de l'eau fraîche, puis se concentra sur sa respiration redevenue erratique.
Tout ce stress était de trop pour elle. Il ne lui réussissait pas du tout.
Elle sourit faiblement.
23h50.
Elle sortit de la salle de bain.
Sa chambre était plongée dans le noir.
Elle s'allongea doucement sur le bord du lit, et ferma les yeux.
La distance... Seule la distance était responsable.
***
Aaron la regardait dormir depuis plus de trois heures. Il avait essayé de sonder son esprit, son cœur, même son âme. Mais il n'y avait pas réussi.
Elle l'avait bloqué, même dans sa crise de larmes.
Il voulait comprendre. Il voulait la comprendre.
Puis soudain, elle se leva, et Aaron vit une larme briller sur sa joue, avec la lumière de la Lune. Il dévora du regard son visage éclairé d'une lumière divine. Cette larme qui lui donnait du charme...
Qu'est-ce qu'il la voulait comme il n'avait jamais voulu d'autres femmes...
Comme il l'aimait...
Il fit semblant de dormir pour voir ce qu'elle allait faire, et il la suivit du regard, alors qu'elle sortait de la chambre.
Avec la flemme de se lever, il ferma les yeux et se servit de son âme pour savoir où elle se trouvait. Il la sentait au rez-de-chaussée, à l'air frais, sur la terrasse.
Encore.
De son côté, Émilie ne pleurait plus. Elle souriait. Elle avait décidé de jouer avec Aaron.
Son plan était simple : engourdir la vigilance d'Aaron jusqu'à ce qu'il ne se méfie plus du fait qu'elle sorte. Mais pour cela, il fallait patienter plusieurs nuits, et est-ce qu'elle tiendrait plusieurs nuits, alors qu'elle savait Taylor en mauvais état ?
Elle se doutait déjà fort de la réponse.
Et c'est pour ça qu'elle retourna dans la chambre où elle put constater qu'Aaron n'avait pas bougé.
S'il était toujours plongé dans un tel sommeil profond, ça allait lui faciliter la tâche...
Voilà pour ce chapitre ! A la semaine prochaine !