Tuer Evan. C'est mon objectif.
Je suis déterminée à éliminer Evan. C'est mon unique objectif maintenant. Lui et moi sommes les derniers survivants, et je refuse de perdre. Je dois venger Jason, mon coéquipier tombé sans pitié. J'appuie sur le bouton de ma manette pour recharger ma mitraillette, et involontairement, je crie lorsque ma cible entre soudainement dans mon champ de vision. Mon viseur se verrouille sur lui et je presse l'arrière de la manette sans relâche, déclenchant une rafale de tirs. Une pluie de balles est déchaînée sur Evan, mais il se lève du canapé, aussi concentré que moi, son personnage bondissant partout, évitant miraculeusement mes projectiles. À mon tour, je me lève et je le pousse pour le déstabiliser, mais à ce moment-là, mon écran affiche "Dead". Frustrée, je laisse échapper la manette sur le canapé.
— Pourquoi tes balles ont traversé ton corps ? C'est de la triche !
— Désolé ma belle, je suis juste meilleur à ce jeu.
— Non, je suis sûre que j'ai gagné. Il est impossible d'éviter toutes ces balles comme ça ! C'était un bug !
— Mauvaise joueuse, hein ? Lance Brianna en tapant dans la main de son coéquipier.
— Allons fêter ça ! Annonce-t-elle ensuite, célébrant leurs six victoires.
J'ai joué contre les trois autres et vice-versa, mais ils sont vraiment redoutables ensemble. Nous avons passé tout l'après-midi à nous affronter sur ce jeu. La dernière partie, décisive, opposait Jason et moi à Evan qui, je le jure, a sautillé pour éviter mes tirs et Brianna.
— Fêter la tricherie ? Et puis quoi encore ! Répliquais-je en croisant les bras.
— C'est juste une excuse pour sortir. Me glisse Noah à l'oreille.
Peut-être, mais perdre me met hors de moi. J'aurais dû le descendre. Pour moi, nous avons gagné.
— Et on va où ? Demande le vainqueur, un sourire malicieux sur le visage. Tu n'as jamais été au bar, n'est-ce pas ? Lance-t-il en devinant ma réponse négative.
Je secoue la tête. Tout le monde s'en va dans sa chambre sans dire un mot de plus. Bon, je fais de même. Je fouille dans mon armoire et opte pour un pantalon patte d'éléphant et un tee-shirt simple. Une fois habillée, je m'allonge sur mon lit. Brianna prend du temps à se maquiller, alors j'ai quelques minutes pour me détendre. Mais bien vite, des pensées sombres commencent à me tourmenter.
Lorsque j'y réfléchis, c'est toujours ainsi. Nous remplissons notre esprit de fausses espérances, espérant qu'un jour elles se concrétiseront. Nous devenons des marionnettes de la société, agissant non pas pour nous-mêmes, mais en fonction des attentes des autres. Nous sommes dictés par leurs regards et leurs jugements, perdant de vue nos propres aspirations, cherchant en vain à combler un vide intérieur de plus en plus profond.
Nous n'avons plus de croyances solides, mais nous absorbons toutes les absurdités que les gens peuvent déverser au cours d'une journée.
Il est triste de constater que l'humanité en est arrivée là, stagnante voire régressive plutôt qu'évolutive. L'amour, autrefois idéalisé, est maintenant source de déception. Cette petite étincelle qui autrefois animait nos cœurs semble désormais éteinte. Nous sommes devenus des âmes désabusées, incapables de croire à nouveau en l'amour véritable.
J'étais comme ces chiens abandonnés au bord de la route, que les voitures évitent soigneusement pour ne pas les faucher, mais un jour, une personne ne s'arrêtera pas.
Ainsi, je déambulais dans les rues, cherchant quelque chose à croire. Je me laisse porter par le vent car je ne sais même pas où je veux aller. Même si mes croyances sont éteintes, je laisse le destin agir. Peut-être qu'un jour, ce sourire que tout le monde semble avoir accroché au visage me reviendra.
Mais honnêtement, nous ne faisons rien pour changer les choses. Nous restons assis là, immobiles au milieu de nos problèmes, à nous plaindre jour et nuit. Avons-nous au moins essayé ? Avons-nous essayé de transcender nos pensées ? Pour ma part, je peux répondre honnêtement : non. Je pourrais même l'écrire en lettres capitales sur mon front.
Je suis spectatrice de ma propre vie et je sais que cela ne suffira pas à changer les choses.
Mais je ne crois plus en rien, même pas en moi depuis tant d'années.
C'est probablement pourquoi j'ai tenté de recommencer à zéro.
Les amis sont comme des anges qui nous soulèvent quand nos propres ailes ne se souviennent plus comment voler. Je crois que mes colocataires sont ces amis-là.
Ils donnent un nouveau sens à ma vie, et j'espère qu'ils me donneront le courage d'affronter mes démons. Mais je ne comprends pas pourquoi ils veulent tant que je reste. Le chien abandonné à réussi a trouver sa famille ? Suis-je assez bien pour eux pour cela ?
Trois coups retentissent à la porte, me faisant sursauter. Avant même que je puisse répondre, la poignée tourne et une tête apparaît.
— Je peux entrer ?
Il n'attend pas ma réponse et entre dans la pièce. Je m'assois en tailleur pour l'observer s'approcher. Il s'installe en face de moi, si près que sa cuisse frôle la mienne. Son regard étincelle légèrement, mais je ne parviens pas à déchiffrer ce qu'il veut dire. Un sourire en coin se dessine sur son visage lorsqu'il examine mon visage. Sa fossette mignonne apparaît. Il est vraiment beau, je ne peux plus le nier.
Un silence inconfortable s'installe, me rendant nerveuse. Je commence à me gratter le coude. Ses yeux suivent mes gestes et je me rappelle qu'il sait pourquoi je le fais. Je cesse alors mes mouvements, pose mes mains derrière mon dos, essayant de mettre un peu plus de distance entre nous. Sa main se lève lentement pour venir se poser derrière mon oreille. Il repousse la mèche échappée de mon chignon improvisé. Nom de Dieu. On dirait une scène tirée d'un roman.
Mon cœur n'avait jamais battu aussi vite de toute ma misérable vie, même pas lorsque j'entrais sur le ring pour la boxe journalière. Qu'est-ce qui lui arrive ?
— Ton visage est plus dégagé quand tu attaches tes cheveux.
Vraiment ? Il me prend pour une idiote à ce point ?
— Je peux te lire plus facilement comme ça. Ajoute-t-il doucement, presque comme un murmure pour lui-même.
Sa présence me trouble bien plus que je ne veux l'admettre. Pourquoi me dit-il ça ?
— Tu es aussi plus jolie.
Est-il possible qu'un cœur s'arrête de battre pendant une fraction de seconde ? Parce que je crois que ça vient de m'arriver.
Mes doigts se crispent sur le drap. Est-ce qu'il se venge de la situation embarrassante que j'ai créée hier dans la voiture en me mettant encore plus mal à l'aise ?
Ma lèvre inférieure commence à trembler sans raison, alors je l'aspire pour la coincer entre mes dents. Ses yeux descendent sur mes lèvres, mon corps s'enflamme.
J'ai chaud, terriblement chaud.
Putain, calme-toi Kaylee !
Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Est-ce un message de mon corps pour me dire qu'il y a un danger ? Que je suis en danger ? Un rire nerveux menace de s'échapper, mais mes dents continuent de serrer le petit bout de chair qu'il fixe, serrant à m'en faire mal. Je suis paralysée par la peur. Pourquoi même ? Il n'a rien fait. Pas encore.
— Excuse-moi, ma beauté.
Une douche froide d'incompréhension me fait relâcher la tension de mes épaules, que je n'avais même pas senties se crisper. Lorsque je libère ma lèvre maltraitée, un petit "quoi" s'échappe. Ses yeux retombent dans les miens. J'ai envie de m'y noyer. Je n'arrive même pas à entendre ses derniers mots.
— Pour les conneries que je t'ai fait endurer.
— Ce n'était rien.
— Ouais, sûrement, avec ce que tu as vécu, mais je tenais à assumer mes erreurs. Tu n'es pas comme les autres.
Je hoche simplement la tête, mais mes joues chauffent malgré moi. Pourquoi le faire maintenant ? Que veut dire sa dernière phrase ? Il détourne le regard pour fixer ma table de chevet.
— Les autres colocataires étaient vraiment à chier. Finit-il par dire.
Qu'est-ce que j'ai de plus que les autres ? Pourquoi m'ont-ils intégré ? Si facilement, bon, à part lui.
— Pourquoi, au début, tout le monde n'arrêtait pas de me mettre en garde sur vous ?
Il me lance une œillade, ses lèvres s'entrouvrent pour me répondre mais, soudainement, ma porte s'ouvre à la volée. Un sursaut de terreur m'oblige à me lever du lit, sur le qui-vive. Evan apparaît, mais son sourire disparaît aussitôt. Je pose une main sur mon cœur pour le calmer.
— Zut ! Je pensais vous voir batifoler après le fameux baiser volé d'hier !
Ah. Ils sont au courant maintenant. Que personne n'en parle avant ne m'a pas paru suspect et surtout n'a m'a pas traversé l'esprit.
— On y va, les tourtereaux !
Sa tête fuchsia disparaît. Hayden se lève sans un mot, sans un regard pour moi, et disparaît à son tour. C'est Brianna qui entre du côté salle de bains. Elle s'approche jusqu'à se mettre à genoux sur le lit, devant moi.
— Mets au moins du gloss.
Je soupire mais ne dis pas non. Elle ouvre le tube et l'approche de mes lèvres. Les siennes sont mates, ça me rappelle celui d'hier qui s'était étalé partout.
— Est-ce qu'entre Jason et toi ça va ?
— Oui, pourquoi ?
Parce que c'est à cause de moi si vous vous êtes fâchés.
— Hier, vous vous êtes disput—
— Chuuut ! Arrête de bouger, je n'arriverai pas à le mettre.
Je me tais pendant qu'elle pose le pinceau sur ma lèvre inférieure. Elle est tellement proche que je sens son souffle sur mes joues. Ses yeux fixent mes lèvres pour s'appliquer.
— Jason m'a monté la tête dans la voiture. D'abord, il s'énerve pour un simple bisou que je lui ai donné, puis il m'a réprimandée comme mon père sur le fait qu'on soit parties.
Je reste immobile jusqu'à ce qu'elle s'éloigne et referme le tube de gloss.
— Je suis désolée.
À mes mots, elle arrête tout mouvement.
— De quoi ?
— Eh bien, du jeu, et d'avoir accepté de partir sans eux.
Je baisse les yeux sur la carpette.
— C'est moi qui ai eu l'idée et qui t'ai proposé. Sale folle, va.
Elle me tape gentiment l'épaule.
— Fais comme moi.
Elle pince ses lèvres et les bouge, alors je l'imite. Satisfaite, elle se relève avec un sourire.
— Si Jason s'est énervé parce que tu as embrassé quelqu'un d'autre avant lui, qu'est-ce que ça signifie ? Lui demandais-je.
— Ça veut dire que cet idiot ne supporte pas de passer après quelqu'un.
Ah ? Je pensais plutôt que c'était parce qu'il était contrarié de ne pas être le premier choix. Peut-être même jaloux ? Je ne m'y connais pas en amour, encore moins en jalousie, mais j'ai lu beaucoup, beaucoup de livres.
— Ou qu'il est simplement jaloux.
Elle se met à ricaner aussi fort que possible pour me montrer qu'elle n'en pense pas un mot.
— Je crois que si une fille embrassait quelqu'un que j'aime, je serais jalouse. Pas toi ?
— Bien sûr que si ! Je lui aurais même cassé les dents à cette pauvre fille.
— Et tu ne serais pas furieuse s'il voulait t'embrasser après elle ?
Elle me regarde un instant comme si quelque chose m'était tombé sur la tête.
— Ben... Tu fais bien de poser la question... Parce que...
Elle s'approche de moi doucement, alors je plisse les yeux. Qu'est-ce qui lui prend ?
Soudainement, elle se jette sur moi. Un cri inaudible sort de ma bouche, du moins c'est ce que je pensais. Mes cordes vocales ont fonctionné, on dirait.
— Tu as raison, c'est agaçant !
Ses doigts chatouillent mon ventre et je ris en criant. J'apprécie ce nouveau son que j'entends sortir de ma bouche. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas entendu.
Elle continue sa torture jusqu'à ce que je sois à bout de souffle. Brianna s'écrase à côté de moi, un large sourire aux lèvres.
— Ça te fait du bien de rigoler comme ça ?
Oh oui, elle ne peut pas imaginer à quel point c'est revigorant de rire de joie. Ça fait des années que je n'avais pas ressenti ça.
Mes cordes vocales reprennent leur fonctionnement pour que je puisse exprimer ma surprise, ma peur et peut-être même ma tristesse. J'apprécie cette sensation car elle m'aide à comprendre lentement la différence entre eux et lui.