Les hurlements s'élevaient dans la rue, Louve s'efforçait de ne pas y prêter attention. Elle restait auprès d'Aliska. Ne pas s'en mêler. Un cri retentit. Louve sursauta. Elle entendit de nouvelles clameurs et reconnut la voix de Rêvelune.
— Bordel ! Qu'est-ce qu'elle a encore foutu ? s'énerva-t-elle.
Aliska s'agita.
— Il faut que tu descendes pour aller vérifier que notre chère amie n'est pas en danger ! souffla-t-elle.
Louve hésita. Elle ne voulait pas s'en mêler.
— S'il te plaît, mon amour. Dis-moi qu'elle va bien.
Louve songea que si elle reprenait son parler vampire, elle pouvait se permettre de la laisser seule quelques instants. Elle se coula jusqu'à la chambre. Dehors, c'était le chaos. Rêvelune et Arassam étaient coincés avec les humains, harcelés par les vampires. Plusieurs corps gisaient déjà au sol.
— J'entends des cris, que se passe-t-il en bas ? demanda Aliska.
— Tout va bien ! répondit Louve.
— Par pitié, ne mens pas. Oh ! Je sais qu'ils sont en danger. Je n'arrive plus à bien m'exprimer.
Elle gémit, un mélange de douleur et de frustration.
— Je dois y aller, je dois y aller ! commença-t-elle.
Louve revint en urgence auprès d'elle. La vampire essayait déjà de se lever. La changebête la recoucha de force.
— Non. Tu restes là. Tu n'es pas encore remise.
Aliska l'agrippa.
— Mes serments. Ce pour quoi je me suis battue. Ce pour quoi j'ai été capturée et blessée.
À nouveau, elle geignit et se prit la tête entre les mains.
— Je dois y aller, répéta-t-elle.
Elle se lâcha le front et fixa Louve.
— Si je ne m'y rends pas, tu dois me remplacer ! Le pacte des moissons tu dois faire respecter !
Louve ne répondit pas. Ne pas s'en mêler. Rester hors de toute ça.
— Je t'en supplie ne me laisse pas me parjurer ! murmura Aliska.
Elle commença à sangloter. Elle n'avait même plus la force de se relever. Louve détourna le regard. Garder sa mission en tête. Ne pas s'investir dans une cause qui n'était pas la sienne. Aliska se roula en boule en pleurant.
— Merde, commenta Louve.
À la hâte, elle retira ses vêtements.
*
La panique menaçait de submerger Déolem.
Ils n'étaient pas prêts, ces enflures attaquaient bien trop tôt ! D'un coup de poignard, il repoussa l'une de ces créatures. Elle l'esquiva d'un bond agile et moqueur.
— Regroupez-vous ! beugla Déolem.
Les autres l'entendirent et s'efforcèrent d'obéir, mais les vampires les harcelaient pour les forcer à rester dispersés. Ardelius, armé d'un marteau, frappait en cercle. Son souffle était rauque et il ne tiendrait pas.
Un garçon chuta en essayant d'éviter une lame. Un vampire fondit sur lui. La modeleuse s'interposa et le renvoya en arrière. Le vampire aux cheveux auburn avec elle intervint à son tour.
Une modeleuse et un vampire ! Déolem n'avait pas le temps de réfléchir à ça, car ils avaient réussi à repousser leurs assaillants. Déolem saisit l'occasion.
— Repli ! cria-t-il.
Il fallait dégager de cette rue étroite et revenir vers les avenues plus larges, où ils pourraient mieux circuler et appeler du renfort.
Heureusement, le groupe se reconstitua et le vampire et la modeleuse parvinrent à les protéger. Ils coururent hors de la rue.
Ça s'agita sur les toits. La dame blanche tendit un bras, des tuiles volèrent et un de ces fumiers glapit. Celui aux cheveux rouges partit à la suite des autres, mais avec sa jambe blessée, il n'était pas assez rapide.
Ils arrivèrent à un croisement.
— À l'aide ! clama Déolem. Vampires !
Des lumières s'allumèrent mais personne ne sortit. Les poumons en feu, Déolem accéléra. La Roue brisée n'était pas loin, s'ils pouvaient s'y abriter...
Quelque chose le percuta à la tête. Il se prit les pieds dans un pavé, chuta et se releva en titubant. Une tuile gisait à ses pieds.
Les vampires frappèrent de nouveau, en masse cette fois. La défense des humains explosa. La modeleuse écopa d'un méchant coup de pied qui l'envoya voler hors de la mêlée.
Déolem évita une première attaque d'un vampire, puis une deuxième, mais trébucha à nouveau et tomba. L'autre bondit sur lui, d'un saut à la fois gracieux et létal. Déolem sut qu'il allait mourir.
Ardelius s'interposa et tenta de frapper le salopard de son marteau. La créature esquiva et sa lame fusa. Ardelius voulut hurler. Son cri se perdit dans un bouillon sanglant.
— Non ! rugit Déolem.
*
Rêvelune se releva, le souffle coupé. Le coup de pied l'avait frappée à l'estomac, elle avait mal et envie de vomir. Elle chancela sur quelques pas et dut se rattraper à un mur.
Les vampires allaient les massacrer !
De l'autre côté de la rue, quelque chose bougea à une fenêtre. Des rideaux se tirèrent rapidement, mais Rêvelune aperçut trois masques blancs.
— Sœurs ! Mes sœurs ! À l'aide ! s'époumona-t-elle.
Peine perdue. Et son cri attira sur elle l'attention de deux vampires, qui fondirent sur elle. Rêvelune en repoussa un de sa volonté, mais échoua pour le deuxième. Arassam s'interposa et la défendit d'un arc de cercle de sa lame. L'autre porta la main à sa joue largement entaillée et recula avec un sifflement de douleur et de colère.
— Regroupez-vous ! commanda le jeune homme aux cheveux clairs.
Un vampire le cibla. Rêvelune sut qu'elle ne serait pas assez rapide pour le protéger.
Un grondement retentit alors, et un énorme chien gris sortit des ombres. Il percuta le vampire en vol et le saisit à la gorge. Celui-ci se débattit, mais l'animal resserra sa prise et secoua sa proie comme une poupée de chiffon. Le vampire cessa de ses débattre. Le chien tourna la tête vers Rêvelune, rivant ses yeux fauves sur elle.
— Louve ! murmura-t-elle.
Elle repartit dans la bataille, esquivant les coups et mordant jambes et mollets. Arassam bondit à sa suite, dansant dans son sillage. Rêvelune rassembla ses forces et les protégea d'un bouclier.
Les vampires se regroupèrent et reculèrent. De la troupe qui les avait agressés, seuls trois étaient en vie. Ils affichaient des grimaces féroces et ne semblaient pas fatigués. Rêvelune, elle, tremblait de tous ses membres. Si le combat devait se poursuivre, elle ne tiendrait pas longtemps.
Louve marcha vers les vampires en grondant. Autour d'elle, l'air crépita soudainement et une étrange sensation transit Rêvelune. Puis Louve jappa de douleur, mais les attaquants déguerpirent et partirent en direction des toits. La changebête hésita et fila dans une rue, sans doute pour se cacher.
Le silence revint. Les humains se regardèrent, stupéfaits d'avoir survécu. Enfin, presque tous.
Le jeune garçon aux cheveux blonds qui avait mené le groupe s'arrêta près d'un corps. Il tomba à genoux et hurla sa souffrance. Ce cri transit Rêvelune jusqu'aux os.
*
La pierre de la ruelle était glaciale sous le dos de Louve. Elle frissonna, et aspira l'air à larges goulées. Par les écailles du Grand Dragon, que fichait-elle ici ? Une migraine lui vrillait les tempes. Elle se prit la tête entre les mains. Ne pas paniquer. Reconstituer l'enchaînement des faits.
Elle avait adopté sa forme de louve et était sortie pour aider les humains, et sauver cette empotée de modeleuse. Jusque là, ça se tenait. Elle avait combattu, tué, même. Le goût métallique du sang emplissait toujours sa bouche. Elle s'essuya d'un revers de main. Cela ne diminua en rien la nausée qui l'étreignait.
Bon, et ensuite ?
Il y avait eu ces vampires qui avaient fui. Elle avait tenté... Quelque chose. De la magie changebête, peut-être. Elle se rappelait avoir voulu intensément la mort des vampires.
À partir de là, ses souvenirs demeuraient confus.
Dans tous les cas, une introspection plus poussée devrait attendre : elle ne pouvait rester ici, nue, dans une ruelle. Sur des jambes chancelantes, elle se redressa et, rasant les murs, remonta à une intersection. Personne. Elle avança de nouveau et reconnut où elle se trouvait. Louve revint jusqu'à leur planque et elle fila à l'intérieur et grimpa les escaliers quatre à quatre.
— Aliska ! appela-t-elle.
— Je suis restée au lit comme tu l'as demandé.
Louve la découvrit au même endroit. Elle était toujours blême mais son regard avait repris de l'acuité. Louve se jeta à côté d'elle et l'embrassa avec un mélange de soulagement et de passion.
— Ils sont sains et saufs, Aliska, lui murmura-t-elle.
Les yeux de la vampire se voilèrent.
— Durant la bataille, quelque chose s'est passé. J'ai entendu des bruits dans la chambre d'â côté, souffla-t-elle.
Louve eut un très mauvais pressentiment. Elle se redressa d'un bond et fila dans la pièce. Toutes les affaires étaient éparpillées sur le sol, les sacs avaient été fouillés. Tous les objets de valeurs avaient disparu, notamment la bourse contenant le grenat gémeau.