Chapitre 10 - Danses sur les toits (2ème partie)

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La journée avait été harassante et Déolem mangeait en silence à sa table habituelle à la Roue brisée. Ardelius lui aussi était maussade, pas d'humeur à plaisanter. Les autres clients partageaient cette humeur sombre. Les derniers morts et l'inaction du gouvernement ne quittaient guère les esprits.

Tireni servait ce soir. Elle apporta des assiettes de ragoût à une table, un cruchon de cidre à une autre, avant de venir s'asseoir avec eux.

— Vous en tirez, une tête...

Déolem lui jeta un regard fatigué.

— Les responsabilités. La réflexion. Le travail, répondit-il.

— Tu ne dois pas connaître, ajouta Ardelius.

La serveuse lui administra un coup de poing dans l'épaule. Les trois échangèrent un sourire fugace, qui mourut bien vite.

— En tout cas, ça fait froid dans le dos, ces histoires. Je suis contente de rentrer avec toi les trois quarts du temps, Déolem. Par contre, Mélie et Éliette ne vivent pas tout près, et elles m'ont dit qu'elles avaient eu l'impression d'être suivies l'autre soir.

— C'était peut-être pas dans votre tête, souffla Déolem.

Il fixa Tireni. Il la connaissait depuis qu'elle était enfant. De cinq ans plus jeune que lui, sa vivacité avait attiré l'attention du prêtre de Narweilh qui enseignait aux gamins de l'îlot. Il avait intégré la fillette à son cours. Elle s'était liée d'amitié avec Ardelius et Déolem et il ne se passait pas une décade sans que les trois se voient. Éliette et Mélie étaient aussi des figures connues, toujours aimables, le mot pour rire ou pour réconforter. À l'idée qu'il aurait pu leur arriver quelque chose, un nœud désagréable se formait dans le ventre de Déolem.

— Le tavernier a proposé qu'elles dorment ici, mais Mélie doit s'occuper de sa mère et Éliette de ses frères et sœurs.

Elle marqua une pause, puis ajouta :

— Ce n'est pas la solution.

Déolem opina à ces mots. Une idée germa dans son esprit. Il prit quelques secondes, avant de déclarer :

— On pourrait les raccompagner.

— Ça fera tard, on ferme à la vingt-cinquième heure, objecta Tireni, et vous vous levez tôt demain matin.

— Les clients attendront, on ne peut pas laisser trois jolies plantes comme vous errer dans la nature, répliqua Ardelius.

Il agrémenta sa tirade d'un large sourire, à laquelle Tireni répondit d'un regard neutre, qui signifiait que le charme n'opérait pas sur elle. Déolem avait néanmoins remarqué que la blonde Mélie et la rousse Éliette lorgnaient souvent en direction du forgeron et lui servaient de généreuses assiettes... Déolem fit la moue, un peu déçu que son ami utilise cette excuse pour essayer de mettre une nouvelle donzelle dans son lit.

— Vous êtes sûrs ? demanda Tireni.

— Certains ! affirma Ardelius.

— Je vais voir avec les filles.

Elle revint accompagnée de Mélie et Éliette, soulagée de savoir qu'elles n'auraient pas à affronter la nuit seules. Aubert, le patron de l'auberge, était ravi aussi et tint à offrir des bières et une planche de charcuterie aux deux forgerons. Les deux amis passèrent le reste de la soirée à boire et manger en discutant. La taverne se vida peu à peu, jusqu'à ce que le patron ordonne la fermeture de l'établissement. Les trois filles de salle récupérèrent capes et sacs. Déolem et Ardelius les escortèrent.

De Murmures et d'ombres (Neïbula T1)Where stories live. Discover now