Chapitre 3 - Du sang dans la rivière (2ème partie)

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La porte de la pièce s'ouvrit et Louve se leva d'un bond. Elle avait mal dormi, peu rassurée entre ces murs étrangers, entourée de présences hostiles. Et puis, il y avait eu ce raffut en pleine nuit. Enfin raffut, un bien grand mot, car les modeleuses préféraient garder l'ambiance feutrée de leur clos.

Celle qui s'encadra dans l'embrasure ne faisait pas de bruit en marchant, malgré sa volumineuse robe. Elle déposa un plateau à l'attention de Louve.

— De quoi vous restaurer. La matriarche souhaiterait vous voir après cela.

La changebête remercia sa geôlière et, quand elle eut fermé la porte, renifla ce qu'on lui avait amené. Une bouillie d'avoine des plus communes. Elle ne semblait pas empoisonnée et Louve avait faim. Elle l'avala rapidement.

La modeleuse revint plus tard, avec cette fois une garde de trois. Louve reconnut à sa manière de marcher et sa posture celle qui l'avait sauvée, Rêvelune. Les deux autres devaient être ses compagnes.

Comme pour la veille, les dames blanches l'escortèrent à travers les couloirs du clos jusqu'à la salle d'audience de la matriarche. Louve s'attendait à se faire de nouveau cuisiner. Elle s'arrêta net à peine passé le seuil.

Luneblanche n'était pas seule. À côté d'elle, sous bonne garde, se trouvait une femme à la beauté stupéfiante, une fine silhouette que Louve aurait reconnue entre mille.

— Aliska !

Le nom franchit ses lèvres avant qu'elle ne puisse se contrôler. Bien évidemment, il n'échappa pas à la matriarche.

— Vous vous connaissez. Parfait.

Maudissant les vieilles pies à l'ouïe trop acérée, Louve s'avança. Aliska pivota aussitôt vers elle et se jeta dans ses bras. L'impact fit chanceler la changebête.

— J'ai perdu ta trace et j'ai eu peur pour toi. Je suis si soulagée de te retrouver là !

Elle se serra contre Louve, qui l'entoura maladroitement de ses bras, bien trop consciente des regards appuyés que les modeleuses lui lançaient.

— Aliska, que fais-tu ici ? murmura-t-elle.

— Je suis pour te soutenir et t'aider, et, car je ne voulais plus être séparée, ton absence commençait à trop me peser.

Elle s'écarta de Louve et lui adressa un large sourire, qui se fana rapidement.

— Ai-je eu tort de venir en ces lieux, mon aimée ?

En d'autres occasions, le cœur de Louve aurait fondu et elle se serait empressée de rassurer la vampire et de la cajoler. Les yeux des dames blanches rivés sur elles l'en dissuadèrent. Elle prit la main d'Aliska.

— Ce n'est rien, murmura-t-elle.

Puis, elle fit face à la matriarche.

— Mes filles ont intercepté cette vampire hier soir, alors qu'elle se promenait dans nos murs. Elle a affirmé vous connaître, est-ce exact ?

Inutile de nier, Aliska ne savait pas mentir.

— C'est le cas. Voici Aliska Atiem, danseuse de brume.

Louve avait espéré que le prestigieux titre ferait réagir les modeleuses, mais aucune ne bougea. Et avec leur fichu masque blanc, pas la peine d'essayer lire leurs expressions.

— Dame Atiem, nous sommes ravies de l'intérêt que votre famille porte à notre maison. Il aurait toutefois été plus courtois de frapper à l'huis principal plutôt que de vous faufiler à la faveur des ombres. Cela vous aurait sûrement évité cette détention.

L'estomac de Louve se serra. Sa belle Aliska avait subi une nuit dans un placard à cause d'elle.

— Seuls les gens ennuyeux passent par les portes, déclara-t-elle.

Puis, elle tourna la tête et étudia les vitraux. Son regard devint brumeux. Louve réprima un gémissement. Elle connaissait Aliska depuis suffisamment longtemps pour savoir que ce n'était pas bon signe. Elle était restée fixée sur un objectif durant de nombreuses heures, maintenant, elle décrochait.

Elle effectua quelques pas et tournoya sur elle-même. Les modeleuses se déployèrent en demi-cercle devant leur matriarche, prête à frapper.

— Du calme ! s'exclama Louve. Elle ne vous veut aucun mal.

Du moins elle l'espérait. Aliska perdait parfois toute rationalité si on menaçait Louve.

Mais la vampire fit quelques entrechats et pirouettes, ses voiles tourbillonnant autour d'elle, avant de s'immobiliser devant le vitrail qui représentait une matriarche.

— Les brumes m'ont parlé à l'oreille cette nuit, j'ai vu un corbeau blanc et un hibou gris. L'un avait l'air triste, l'autre pleine de mépris...

Lentement, Louve avança vers Aliska et la prit par les épaules. La matriarche n'avait pas bougé d'un pouce et, face à ce masque vide, Louve ressentit le besoin de s'expliquer.

— Veuillez excuser cette intrusion. Elle ne pensait pas à mal, elle est très attachée à moi et me cherchait sûrement...

Luneblanche demeura silencieuse durant d'interminables secondes puis lança :

— Nous aurions pu l'abattre. Nous en avions le droit.

— Et je vous remercie de n'en avoir rien fait. Elle n'y est pour rien dans l'affaire avec les gémeaux, laissez la repartir, s'il vous plaît.

La matriarche secoua la tête.

— Pas tant que je n'en sais pas plus à votre sujet, Aela. Ou plutôt, Louve, si je ne m'abuse.

L'intéressée serra les dents.

— Nous vous logerons toutes les deux et vous nourrirons, mais je souhaite tirer cette affaire au clair.

Louve ouvrit la bouche pour essayer de négocier une nouvelle fois la liberté d'Aliska. Trois coups frappés à la porte l'interrompirent. Les modeleuses se figèrent. L'une d'elles entra, et travers la salle à pas nerveux. Elle alla voir la matriarche et s'inclina devant elle.

— Je suis désolée de vous déranger, mère, mais votre présence est mandée.

Après une seconde d'hésitation, elle ajouta :

— C'est urgent.

Il y avait une tension dans sa voix et elle dégageait une odeur piquante de peur. La matriarche ne laissa rien paraître, bien que sa posture se crispe imperceptiblement. Elle se leva.

— Hautelune, occupe-toi de nos invités. Veille bien à tout.

Elle jeta un bref coup d'œil à Louve, qui tenait maintenant Aliska par les épaules. La vampire avait les paupières closes et chantonnait. Louve adressa un regard suppliant à la modeleuse.

— Garde-les ensemble.

Louve respira un peu mieux.

— Ambrelune, Rêvelune, avec moi, ordonna la matriarche.

Flanquée de ses deux filles, elle quitta la salle à pas vif. Louve n'aimait pas ce nouveau retournement. Qu'avait-il bien pu se passer ? 

De Murmures et d'ombres (Neïbula T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant