KENTAN, Tome 1 : Demain est u...

By LucasGHermes

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Le Kentan est un individu d'exception, recherché par des croyants païens s'opposant à la société moderne. De... More

Avant-Propos
1 - Prélude
2 - Le Quatuor
3 - Le Son des Cloches
4 - Tocsin
5 - Les Tambours de Feu
6 - Pulsations
7 - Cordes Sensibles
8 - Rhapsodie des Bois
9 - Bruyante Sourdine
10 - Liaisons de Temps
11 - Crescendo
12 - Armures et Divisions
13 - Partition
14 - Chaise Musicale
15a - Son et Lumière (Partie 1)
15b - Son et Lumière (Partie 2)
16 - Hors l'Enceinte
17 - Fugues
18 - Second Souffle
19 - Portée de Légendes
20 - Blanches
21 - A l'Unisson
23 - Au Sol
24 - Coda
| Bonus | Les légendes

22 - Mot-Dièse

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By LucasGHermes


Ernest Gaumont, le célèbre couturier français, rentrait d'un défilé parisien épuisant, durant lequel il avait annoncé prendre sa retraite. Son assistant venait de le laisser seul, dans sa grande maison francilienne, en laissant allumée la télévision. Un journal du soir présentait les principales informations de la journée. Les actualités étaient nombreuses et sinistres en ce jour pluvieux d'automne. La guerre en Inde et l'assassinat du Président américain ne l'intéressaient pas tellement, mais un sujet capta son attention. Loin de ses activités dans le luxe et de la cohue de la capitale, des lycéens étaient actuellement pris en otage dans leur école en Bretagne par, d'après l'envoyée spéciale sur place, une organisation terroriste occulte. Il se tourna vers l'écran plat et écouta attentivement.

"Trois élèves, préalablement détenus dans leur salle de classe, ont été libérés, disait la voix enregistrée de la journaliste. A l'heure actuelle, les autorités font état de deux morts : un professeur et un élève. Des rumeurs concernant une troisième victime et des liens avec des activités satanistes sont à confirmer."

— Qu'est-ce que ...

Le reportage montrait des images d'un attroupement de militaires et de civils devant l'enceinte d'un lycée peu accueillant, bordé par une épaisse forêt.

— Le monde est définitivement devenu fou, estima Ernest.

Il changea de chaîne, en constatant que l'événement faisait la une de nombreux médias, même étrangers. Son téléphone, posé sur une petite table basse en verre de Murano, vibra plusieurs fois. Il le souleva et déroula toutes les notifications qui se bousculaient dans le panneau latéral virtuel. Les réseaux sociaux étaient inondés de messages de soutien aux familles bretonnes concernées. Gaumont trouvait ça légèrement stupide, estimant qu'aucune d'entre elles ne devait passer leur temps sur Twitter alors qu'elles étaient dans une angoisse permanente depuis probablement des heures entières. Mais l'affaire l'intriguait, sans qu'il ne sache vraiment pourquoi. Il se sentait lié à tous ces gens, ressentant une certaine empathie et un intérêt qu'il estima légèrement malsain, alors que d'habitude il restait imperceptible et opaque aux personnes qu'il croisait. Il avait même hâte d'en apprendre bientôt plus sur cette incroyable histoire, jusqu'à son dénouement.


***

Le jeune homme, assis sur un mur en ruine, regardait la houle agitée de la mer du Nord. Il se souvenait de la première fois où il s'était retrouvé sur cette falaise, surplombant l'océan à une hauteur de cinquante mètres, sous le vent glacial d'Ecosse. La forteresse, presque détruite aujourd'hui, ne l'était pas encore lorsqu'il y arriva, près de quatre siècles plus tôt. La Compagnie s'en servait comme résidence principale et quartier général pour ses activités visant à contrecarrer les projets de l'ordre des Ombres. Les Hommes de Bien ne furent pas déstabilisés lorsque le château fut endommagé, puis quasiment démantelé après différents conflits opposant les Ecossais aux Anglais. L'essentiel des salles de stockage de leur matériel, des pièces opérationnelles et des logis se trouvaient en sous-sol, creusés dans la roche. Guilwen s'aperçut que son bras gauche était égratigné, mais il n'eut pas le temps de l'examiner avec précision. La petite plaie superficielle se referma devant ses yeux, lui faisant ressentir de petits frissons le long de son épiderme.

Depuis toutes ces années, après sa résurrection dans les bras de la fée Margot, il n'avait plus jamais ressenti ni la faim, ni la soif, et encore moins la peur. Il avait oublié la douleur, mais la peine emplissait son cœur. Car ses pensées étaient toujours dirigées, malgré le temps qui avait passé, vers le souvenir de la femme enchanteresse qui rodait parfois dans la forêt de Brocéliande. D'après les experts qu'il avait rencontrés dans la Compagnie, des femmes et des hommes qui s'étaient auto-proclamés savants et érudits, maîtres dans l'étude des faits surnaturels, Margot était désormais enfermée dans son Royaume Caché, n'étant plus apparue dans ses bois depuis la mort de Guillery. Guilwen savait qu'elle attendait la venue de l'élu pour libérer sa cour dans la vallée et danser quatre jours et quatre nuits dans les clairières baignées du soleil breton. Il se sentait coupable de n'avoir pu trouver le Kentan lui-même pour enfin pouvoir retrouver celle qui hantait ses rêves les plus inavouables

 Quand il arriva, en janvier 1609, à Dunnottar, il fut accueilli chaleureusement par les membres de la Compagnie, mais jamais il n'oublia la fée, ni la mission qu'elle lui avait confiée, et qu'il garda secrète. Il avait alors raconté son périple de dix mois, depuis son retour parmi les vivants dans les ruines du refuge du brigand, jusqu'aux longues marches vers le nord de la Grande-Bretagne, en passant par une traversée chaotique de la Manche à bord d'un voilier, sur lequel il avait navigué clandestinement.

Orphelin et désormais sans protection, trahi par Guillery et rejeté par la société, il n'avait pas eu de mal à quitter la Bretagne. Aucune des personnes faisant partie de son auditoire ne fut choquée ; ni lorsqu'il narra la magie de Margot, ni lorsqu'il décrivit le fameux Livre du Cerf. Certains même parmi les plus sages estimèrent qu'il était plus avisé de laisser ce vieil ouvrage parmi les décombres, bientôt perdu des mémoires. Les mois passaient, les années s'écoulaient, les siècles se consumaient, mais le temps ne laissa aucun stigmate sur le beau visage de l'ancien larbin. Et, même si son apparence plaisait autant à son égo qu'aux nombreuses conquêtes de son passé, aujourd'hui, il se sentait très seul. Bien sûr, il était entouré de personnes exceptionnelles, qui vouaient leur existence à imposer le bien sur la planète. Cependant, il ressentait une certaine lassitude, un ras-le-bol continu et se voyait sombrer dans une déprime latente, banalisée par son quotidien répétitif, caché entre les murs en lambeau de ce château. Dans sa tête, se parlant souvent à lui-même, il se comparait volontiers à cette forteresse. 

Autrefois si vaillante, symbole d'une résistance belliqueuse, exemplaire et pourtant éphémère, maintenant brisée, triste et délaissée. Là, au bord de cet escarpement dorénavant si sauvage, ses jambes se balançaient dans le vide. Il se demanda, avec un léger cynisme, comment son corps se reconstituerait, s'il sautait en bas de la falaise grignotée par les flots salés. Mais il n'obtint pas de réponse car, revenant d'une course à Stonehaven, la petite ville d'à-côté, le Président de la Compagnie vint à sa rencontre, fortement inquiet de l'état de démoralisation dans lequel était plongé son ami.

— Guilwen, tu es encore là ?

— Les derniers touristes sont partis. L'un d'entre eux a failli faire une belle chute en voulant se photographier au bord du précipice, mais je l'ai rattrapé à temps. Tu savais qu'il y avait un nom, maintenant, pour ce genre d'idioties que font les humains ? Ça s'appelle le selfie, d'après internet. Ça ne va vraiment pas en s'arrangeant ...

— Oui, répondit l'autre en pouffant de rire. Bienvenue dans le monde moderne ! Il y a aussi un mot pour les vieux grincheux dans ton genre, coincés dans leur époque.

— Ah ? Lequel ?

— Non heu ... laisse tomber. Je viens t'apprendre une bonne nouvelle. Enfin, relativement bonne. Mais au moins, ça devrait te remonter le moral !

— Si tu veux parler de l'attaque des Ombres en Bretagne, Joshua, je suis déjà au courant.

— Je sais. Mais tu ne comprends pas ce que ça signifie? Tu vas pouvoir aller là-bas, et peut-être que tu arrêteras de nous casser les oreilles en te plaignant de vouloir revoir "la belle forêt", comme tu dis.

— C'est vrai ?

Il se leva d'un bond, soudainement tout excité.

— Je vais préparer mes bagages !

— Attends, le retint Joshua. On va y aller ensemble. La Compagnie a trop attendu avant de s'interposer dans cette affaire, nous ne savons pas pourquoi les Veilleurs de Bretagne ne nous font pas de rapports, quelque chose a dû leur arriver. L'assaut a commencé hier et s'ils ont vraiment trouvé le Kentan, après tout ce temps, nous nous devons de le protéger.

— Il y a quelque chose que je ne comprends pas ...

— Oui ?

— Apparemment, on sait depuis quatre mois que Swell s'intéresse à ces lycéens. Pourquoi n'as-tu pas lancé de mission plus tôt pour lui nuire, elle et ses équipes ?

— Tu n'étais pas au Royaume-Uni, lors de la précédente attaque des Ombres sur un pauvre gamin, mais crois-moi, la Compagnie en a tiré des leçons.

— Donc tu assumes la stratégie de ne pas se mouiller et de laisser nos ennemis toucher à leur but, au risque de perdre notre bataille. Tout comme ton prédécesseur.

— Oui, parfaitement.

— J'ai connu tous les anciens Présidents de la Compagnie, depuis le 17ème siècle et, avant, ça ne se serait jamais passé comme ça !

— C'est justement parce que d'anciens dirigeants voulaient mordre trop vite que nous avons dû revoir à la baisse nos exigences belliqueuses et établir de nouveaux stratagèmes. Je n'oublierais jamais comment, en 1997, les Ombres de Londres ont détruit ma vie en tuant mon meilleur ami Gregory, en me faisant mettre un pas dans leurs atrocités, avant d'être récupéré par les Hommes de Bien. J'étais le seul témoin, et son regard lorsqu'il s'est fait égorger, je le reverrais éternellement dans mes cauchemars. Un jour sanglant où la Compagnie a essuyé de lourdes pertes dans un affrontement aussi inutile que barbare. Mon ami était déjà mort, pour rien en plus, puisqu'aucun dieu cornu ne s'est présenté, et ses adorateurs se sont entretués. Je sais que certains étaient même des époux, des frères et des sœurs, des voisins ... Je n'autoriserais jamais un tel massacre sous ma présidence, qu'on se le dise. Que tu sois d'accord ou non. Ta parole compte beaucoup pour moi, tu le sais Guilwen. Tu es une légende parmi nous, mais nous resterons en désaccord sur ce point.

— Mais maintenant, tu veux bien agir.

— Oui. Apparemment, ils n'ont pas encore trouvé l'élu, mais nous pourrons le déceler avant eux et le mettre en sécurité, maintenant que leur projet est aussi avancé et, surement, relevant très bientôt d'un véritable fiasco. Au fait, souviens-toi que nous devons faire attention au pouvoir du Kentan. Il peut être un fardeau pour son porteur, tout comme pour tout Adorateur de Cernunnos. Que nous soyons Ombre, ou Homme de Bien. Il attire nos ennemis, sans que l'on comprenne comment cela fonctionne. Ils pourront le ressentir dans leurs entrailles, d'après les prédictions du Livre du Cerf. Mais nous ne savons pas encore comment ce don réagira envers nous autres. Gardons-nous de faire la moindre gaffe. Va te préparer, nous prendrons l'avion demain à Aberdeen pour Riedones.

Joshua retourna sur ses pas et pénétra dans un donjon en pierres qui se maintenait presque encore entièrement. Il descendit dans les dédales du sous-sol par un escalier étroit et frais. L'odeur iodée envahissait la roche humide dans ces tunnels, parfois recouverts de peintures représentant des symboles celtes, d'autres fois d'immenses fresques historiques incompréhensibles ou simplement nus, à même le grès et le gneiss. Des gouttes perlaient au plafond, trop bas pour que le quarantenaire, grand et élancé, puisse se tenir droit. Les "larmes de Dunnottar", comme il les appelait, finissaient leur course au sol, dans une myriade de petits clapotis relaxants selon les uns, angoissants selon les autres. Il ne mit pas longtemps à rejoindre son appartement sous terrain, via un couloir éclairé par des torches. Sa chambre, quant à elle, était équipée d'un système électrique moderne, installé quelques décennies plus tôt. Assise sur le lit, sa compagne à la peau sombre et lisse l'attendait avec impatience.

— Je suis passé voir Guilwen, lui expliqua Joshua. Il ruminait encore sur la falaise.

— Fais attention à bien le garder en vue, quand vous y serez. On ne sait toujours pas clairement s'il est fiable.

— Je pense que s'il ne l'était pas, il ne serait pas resté cloîtré dans ce vieux château depuis quatre cent ans.

— Je me méfie de lui. A son époque, il aurait très bien pu être envoûté par une créature de Brocéliande. Et je suis toujours mon instinct.

— Tu as raison ma chérie. Il faut encore que je rassemble quelques papiers pour notre petit voyage en France. Je croise les doigts pour ta mission !

— A ce propos, pourquoi aller voir Scotland Yard ? Je suis française, je serais plus à l'aise avec les autorités bretonnes.

— Tu seras en contact avec elles aussi. Mais il est plus urgent d'approcher la police londonienne, d'abord, car c'est elle qui détient les archives de 1997. Il faut qu'ils mettent en lien les deux attaques.

— J'ai réussi à me faire muter aux renseignements étrangers, mais je ne sais pas si je convaincrais mon patron de m'attribuer cette affaire.

— Tout est déjà réglé, mon amour. C'est avantageux d'avoir des membres dans les hautes sphères des États.

— Qui nous sauve la mise, cette fois-ci ?

— Tu te souviens du petit roux, venant de Lyon, que je t'avais présenté à l'assemblée générale, l'an dernier ?

— Oui ...

— Par un heureux hasard, dit Joshua sur un ton ironique, il a été nommé Secrétaire d'État à la sécurité intérieure. Encore un pion bien placé et, surtout, bien utile. Il te confiera l'enquête et tu pourras la gérer sur les deux fronts, à la fois en France, et à Londres.

— C'est parfait, Joshua !

La femme se leva d'un bon et enlaça son époux.

— N'oublie pas qu'on doit absolument se fondre dans la masse. Les dingues, ce sont eux, pas nous. Je sais que c'est dur de critiquer nos frères ennemis, mais tu dois faire comme si tu étais comme tous les autres, et pas une Adoratrice.

— Ne t'inquiète vraiment pas. J'ai l'habitude.

— Allez, tu vas tout déchirer ! Rien ni personne ne résiste à ma si belle Elizabeth Lassange.


***

Gerald Flame attendait nerveusement, dans l'open-space des locaux de Scotland Yard, à Westminster. Sa direction l'avait informé qu'une vieille histoire, classée dans les archives de la police londonienne depuis près de trente ans, serait bientôt réouverte. Il n'était pourtant pas spécialisé dans les cold cases, et ne comprenait pas pourquoi son équipe et lui avaient été choisis pour résoudre cette mystérieuse investigation. Il n'avait pas encore pu lire le dossier et ne connaissait donc rien, pour le moment, de l'enquête à l'exception d'une chose. Une femme, française, inconnue pour l'heure, devait les rejoindre. Et ça non plus, ça ne lui plaisait pas trop.

 De par sa longue expérience, il savait que si un quelconque autre organisme d'investigation, d'autant plus venant de l'étranger, s'imposait dans leurs recherches, ça ne présageait rien de bon, ni pour l'indépendance de la police, ni pour l'humeur de Flame. Il avait choisi lui-même les membres de son équipe, grâce à sa bonne réputation et, surtout, à sa gouaille légendaire. L'un des ascenseurs s'ouvrit ; l'inspecteur grimaça, détestant le bruit métallique des portes automatiques qu'il entendait, pourtant, de nombreuses fois par jour. Il leva le menton pour observer la nouvelle venue. Sans gêne, il la dévisagea de long en large, la jugeant dans sa tête. Il vit que son subordonné, un enquêteur quelque peu encore jeune et fougueux, haussa les sourcils, appréciant lui aussi, celle qu'ils observaient. Quand elle arriva à leur hauteur, la française les salua, dans un parfait anglais et avec un excellent accent londonien.

— Enchantée, je suis vraiment ravie de cette collaboration. Je m'appelle Elizabeth Lassange et je vais piloter cette enquête. Voici le dossier.

Flame remarqua le ton franc et la rapidité de diction impeccable de l'agent. Il tendit une main, dans laquelle elle posa une liasse de documents et de photos.

— Bienvenue, madame Lassange. Je présume que vous savez déjà qui je suis.

— C'est exact.

— Je vous présente Millie Vance et Jonathan Harmbudd. Ce sont mes deux sous-fifres très compétents, quoiqu'un peu grognons, ironisa le policier.

Les deux policiers se regardèrent en ricanant. Le trio avait l'habitude de plaisanter de cette façon.

— Très bien, affirma Elizabeth. Vous êtes sûrement déjà au courant de la prise d'otage qui se déroule depuis hier dans une école française. D'après les informations remontées aux services de renseignements par les autorités locales, les assaillants se revendiquent d'une organisation criminelle internationale. Ils se font appeler les Ombres, tout comme des terroristes officiant à Londres à la fin des années 1990.

— Je m'en souviens, oui, se rappela Flame. Un gosse qui avait été égorgé pendant un rituel satanique.

— Ce n'est pas totalement vrai. Nous possédons un stock de documentations concernant ce groupe. Il ne s'agit pas de satanistes, mais plutôt de croyants occultes, comme une secte, prêts à tout pour prouver leur foi. Ils sévissent depuis très longtemps, mais ne font parler d'eux que rarement, fort heureusement. Quand les journaux n'existaient pas encore, les chroniqueurs de la vie publique rapportaient des événements liés à des fous. Plus en avant encore, ils furent assimilés aux sorcières, refusant la christianisation. De nos jours, la plupart du temps, les médias résument leurs exactions comme des attaques terroristes sans forcément préciser leurs revendications.

— Oui, intervint Harmbudd, son smartphone à la main. C'est le cas en ce moment, sur les réseaux sociaux.

— Exactement. Et c'est très bien comme ça.

— Pourquoi ? demanda Vance.

— Et bien justement, leurs revendications sont complexes et remontent à de très nombreux siècles. Leur culte remonte aux croyances celtes et a résisté, jusqu'à aujourd'hui, aux puissantes religions monothéistes et surtout aux différentes périodes de modernité. Mais ne les sous-estimez pas, il se sont assimilés. Ce sont des gens qui sont infiltrés un peu partout et c'est là le véritable danger. Nous devrons enquêter avec sagesse et discrétion.

— Ok, pas du tout flippant ... marmonna Vance.

— Nous ne sommes pas des spécialistes des groupes criminels internationaux, fit remarquer Flame. Pourquoi Scotland Yard est-elle concernée si ça ne fait pas partie de sa juridiction ?

— Nous anticipons d'éventuelles conséquences de l'attaque du lycée en Bretagne, voire d'autres évènements de ce type, ici, à Londres, tout comme en 1997. Les autorités françaises ne le savent pas encore, mais certains protagonistes sont issus de cette ville et nous redoutons qu'ils reviennent au Royaume-Uni pour la suite de leurs atroces projets.

— Ce serait peut-être une bonne idée d'en informer les Français.

— C'est prévu. Je ne reste pas ici, je dois prendre un avion pour aller m'entretenir avec les locaux. Cette enquête ne sera efficace que si toutes les parties travaillent en accord

et avec confiance. Je vous transmet la mienne et j'espère que cette collaboration sera très fructueuse ! Je vous laisse le dossier pour vous documenter un peu plus en profondeur.

Elizabeth tourna ainsi les talons et repartit, laissant Gerald Flame et ses équipiers digérer toutes les informations qu'elle venait de leur apporter.


***

Romina Swell était seule, dans sa chambre, dissimulée derrière un rideau mauve. Elle fixait l'extérieur de la propriété du Pas du Houx, le visage fermé, les yeux brillants. Le mariage de la lumière de la lune et de l'eau de l'étang créait des reflets colorés, ondulant sur le plafond de la pièce. La cheffe des Ombres hésitait, un pied en arrière, prête à sortir en trombe, mais également une main sur l'étoffe, se demandant si elle ne ferait pas mieux de la refermer et de faire comme si elle n'avait rien vu. Elle avait beau être la régisseuse d'une organisation prônant le retour des êtres paranormaux, elle n'était pourtant pas très à l'aise avec ces entités.

Une femme squelettique et au teint purulent, dont les habits suintaient, venait de sortir de l'étendue d'eau comme si tout était normal. Sa tête était d'abord apparue à la surface puis, marchant lentement jusqu'à la rive, elle dévoila tout son corps funeste. Elle savait que Romina l'avait vue et patientait devant le manoir. Des femmes et des hommes chargés du bon fonctionnement du repère des Ombres et qui lui paraissaient sans importance à ses yeux de créature éternelle, passaient en la regardant avec curiosité et, indéniablement, avec un certain effroi. Elle ne bougea pas quand, dans un grand fracas, les grandes portes arrière s'ouvrirent, poussées avec force par Romina qui s'élança vers elle.

— Que veux-tu, Lavandière ? demanda-t-elle, légèrement anxieuse.

— Tu m'as demandé de te faire un rapport dès que mes sœurs et moi aurions des informations sur le Kentan.

— Je t'ai expliqué clairement de n'apparaître que lorsque je suis seule. Uniquement !

— Notre accord peut devenir caduc si tu continues à te comporter ainsi, humaine. Souviens-toi que tu nous doit le respect. Dois-je te rappeler que nous sommes les seules parmi le peuple de la forêt à vous soutenir, Ombres ?

Romina poussa un profond soupir, fit une petite moue et se décida à s'adresser à l'Être de la Forêt avec délicatesse.

— Très bien, très bien. Qu'as-tu à m'apporter, Princesse de la Nuit ?

— Nous tenions l'élue entre nos bras froids et lessivés.

La femme écarquilla les yeux, ne s'attendant pas à une telle surprise. Elle fut sonnée quelques secondes, avant qu'une brise fraîche ne balaye les pans de sa robe et lui fasse reprendre ses esprits.

— Où est-il ?

— Où est-elle, ma chère.

— Une fille, je vois, souffla-t-elle dans un grand sourire. C'est parfait !

— J'ai dit que nous la tenions. Ton français n'est pas encore parfait si tu ne comprends pas la subtilité de la langue du pays qui a vu naître le précieux Kentan.

Encore une fois, Romina prit sur elle en respirant avec calme.

— Que s'est-il passé ?

— Elle a très probablement échappé à tes sbires, puisque nous l'avons trouvée dans la forêt. Tu as eu raison de constituer cette alliance avec nous, puisque tu es entourée d'autres humains incapables.

— De toute évidence, vous l'avez laissée filer aussi.

— Elle était avec un garçon. Presqu'un homme, expliqua la Lavandière avec un air de dégoût. Il l'a libérée de notre emprise, avant que nous puissions te l'amener. Nous étions si ravies d'enfin retrouver notre gloire d'antan. Mais il nous a privées de ce précieux et glorieux destin. Quand nous les avons poursuivis, ils se sont fait aider et, désormais, ils sont entourés par d'autres de votre espèce ; c'est ce que nous avons perçu. Mélangée parmi autant d'humains, nous ne réussirons pas à la sentir de nouveau.

— Je m'en charge. Je dois savoir laquelle de ces gamins il s'agit. Quoi ?

La créature avait relevé la tête, fixant à nouveau une des fenêtres poussiéreuses du deuxième étage. Romina se retourna et vit également qu'Alice et Damien les observaient, choqués. La Lavandière leva son bras, le tendit dans leur direction et émit un cri inhumain. Aussitôt, l'ordinateur se trouvant dans la chambre du traître s'alluma, dans un crépitement électrique peu rassurant, et une image s'afficha à l'écran. Celle du visage horrifié d'Elsa Delage.

Alice Blanco à la fenêtre

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