Un vent glacial

נכתב על ידי Audreyfrl

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Peu de gens savent ce qu'est une passion. Seuls ceux qui en ont une comprennent vraiment le sens de ce mot. D... עוד

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Epilogue

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נכתב על ידי Audreyfrl

Le nez de Louca effleura le mien, il me passa la main dans le dos et me porta. Je me sentais légère et sereine. Il me fit doucement glisser sur sa nuque et ses épaules, avant de me faire virevolter. Puis, mon patin retrouva la solidité de la glace. Louca et moi partîmes, ensemble, en cross roll. Le porté tant attendu approchait. Je pris une grande inspiration. Cela ne dura qu'une dizaine de secondes à peine mais c'était un soulagement : nous l'avions réussi. Pour la toute première fois, sur la glace.
Enfin, ce fut le moment de la dernière figure. Je positionnai mon pied droit sur sa cuisse, il me tint le genou et la main pendant que je passai ma jambe gauche au-dessus de sa tête, et la posai sur son autre cuisse. Louca, les genoux fléchis, continuait à glisser alors que je me tenais en équilibre sur ses jambes, les paumes de mes mains et les yeux rivés sur le plafond de la patinoire. Ce mouvement magnifique me sembla suspendu dans le temps. Louca me fit tomber dans ses bras, et je me blottis contre lui. Peu à peu, tourbillonnant sur lui-même, il s'accroupit. Voilà. C'était la position finale. L'une de ses mains était posée sur mon genou droit, tandis que l'autre était dans le bas de mon dos. Je sentais son souffle chaud sur mon front. Je souriais. Nous nous relevâmes. Il me serra contre lui.

- Iris...

Il avait murmuré mon prénom à mon oreille, puis il relâcha son étreinte. Je me tournai : ma mère était à la rembarde. Elle nous avait vus patiner. Nous sortîmes de la piste. Elle avait pris sa décision, j'en étais persuadée, mais laquelle ?

- Maman...commençai-je. Qu'est-ce que tu fais ici ?

Elle ouvrit la bouche, la referma, elle voulait parler, mais les mots étaient comme bloqués dans sa gorge. Elle finit par éclater en sanglots.

- C'est moi qui lui ai demandé de passer, Iris, m'expliqua Louca. Elle ne t'a jamais vu réellement patiner, elle me l'a dit elle-même. J'ai réussi à la convaincre hier, alors que tu te réconciliais avec Samuel.

Je n'en revenais pas.

- Iris...réponds-moi, c'est vraiment ce que tu veux faire ? Tu en es sûre ? Tu veux te lancer dans cette folie ? me demanda ma mère, en essuyant de sa manche, ses larmes.

- Oui. J'en suis certaine.

- Alors, fonce. Bats-toi pour ton rêve. Moi, je n'ai pas su le faire. J'ai eu trop peur. Ne commets pas les mêmes erreurs que ta mère. Trace ton chemin, c'est ta vie, pas la mienne. Tes choix, pas les miens.

Même si je ne gagnais pas les championnats, ma plus belle victoire aura été d'avoir réussi à faire accepter ma passion à ma mère. Je l'embrassai tendrement sur la joue. Samuel, alors, qui nous avait sans aucun doute observées depuis l'accueil, s'approcha. Ma mère se tourna vers lui.

- Excusez-moi, Samuel. J'ai été tout à fait odieuse avec vous. Je vous demande pardon.

- Ne vous en faîtes pas. Je comprends, votre chute a été terrible, vous vouliez juste protéger votre fille, l'important c'est qu'au final, vous ayez fait le bon choix.

Maxence, Christelle sur ses talons, pénétrèrent dans la patinoire. Ils portaient quelque chose dans leurs bras, mais je n'arrivais pas à voir ce que c'était. Ils avaient dû mal à reprendre leur souffle.

- Christelle, murmura soudainement ma mère.

Elle se tourna vers ma mère, lui sourit, s'approcha.

- Ça fait longtemps, n'est-ce-pas, Laurie ? dit-elle.

- Oh que oui, ça remonte à quand ? Il y a vingt ans ?

- Oui, à peu près, il me semble, lança Christelle en serrant ma mère dans ses bras.

Je ne sais pas lequel d'entre nous était le plus surpris, Louca ou moi ? Jamais nous n'aurions imaginé que sa tante et ma mère se connaissaient. Ils étaient de la même génération, elles avaient pratiqué le même sport à haut niveau, mais je n'y avais jamais pensé. Voyant notre stupéfaction, Christelle nous expliqua :

- Ta mère et moi, nous étions amies et rivales, à l'époque. Je ne voulais pas te le dire, j'attendais le bon moment. Je savais que tu prendrais la bonne décision, Laurie. D'ailleurs, on m'a dit que ton mari avait rouvert son restaurant. On ne parle plus que de ses plats asiatiques dans la ville. Mais toi, vas-tu retourner travailler avec lui ?

- Non, nous en avons parlé ce matin. Je ne veux plus travailler par obligation, mais par passion. C'est ma fille qui m'a ouvert les yeux.

- Alors que vas-tu faire ? demandai-je.

- Je ne sais pas, mais je veux remonter sur la glace.

Christelle regarda longuement la piste, en songeant.

- Ça te dirait d'ouvrir avec moi, ici, dans cette patinoire, une école de patinage ? On transmettra notre savoir aux enfants du coin, ça ne serait pas formidable ? Qu'en dis-tu ?

- C'est tout ce que je souhaite, approuva ma mère.

Et voilà comment se fonda la toute première école de patinage de notre petite ville. Il n'y avait plus rien à dire, ou à faire, tout s'arrangeait. Nous n'avions plus qu'un objectif : les championnats de France. Maxence nous montra ensuite ce qu'ils étaient allés chercher : nos costumes pour la compétition. Maxence avait demandé au plus grand couturier de Montréal lui-même - celui qui avait notamment créé les tenues des actuels champions olympiques de danse sur glace. C'était complètement dingue. Christelle lui avait transmis nos mesures, mais nous priions pour qu'il n'y ait aucune retouche à faire. Nous partîmes immédiatement les enfiler. Nous avions trois costumes chacun : celle de la danse rythmique, de la danse libre, et du gala final. La première robe, blanche, avec une seule bretelle, scintillait de milles feux, il y avait de petits diamants incrustés un peu partout. Je me contemplai dans le grand miroir des vestiaires : elle m'allait à ravir. Mais je ne devais pas perdre de temps, je sortis et rejoignis Louca au centre de la piste. Il portait un élégant pantalon, avec un tee-shirt manches longues moulant, un peu transparent, lui aussi incrusté de diamants. Nous nous sourîmes, avant de nous mettre en position de départ. Sous le regard de Maxence, Christelle et ma mère, nous commençâmes notre programme rythmique. L'énergie était de rigueur pour cette danse. Nous devions, d'après les mots de notre entraîneur, "faire le show". Donner du bonheur au public. Et ça, nous savions faire. J'eus un léger déséquilibre sur la première série de twizzles, mais pas de chute, c'est tout ce qui importait. Nous arrivâmes bientôt dans les dernières secondes, ce n'était pas le moment de se relâcher. Les mouvements de bras rendaient toute la chorégraphie plus épuisante. Position finale : courbée en arrière, mon genou contre la hanche de Louca, mes mains autour de son cou, les siennes dans mon dos. De grosses gouttes de sueur apparaissaient déjà sur mon front. Nous reçûmes de nouveaux conseils de notre entraîneur, avant de retourner aux vestiaires. Nouvelle tenue pour la danse libre : celle-ci était composée d'un cache-coeur et d'une jupe, tous les deux rouges, avec sur les manches du haut et sur les contours du bas, des paillettes dorées. Cette fois, je n'eus même pas le temps de me contempler, il fallait aller vite, c'était notre dernière journée d'entraînement, demain serait le grand jour. En tout cas, face aux regards subjugués de Louca, Samuel et ma mère, je compris que cette tenue allait faire fureur aux championnats. Louca et moi étions magnifiquement assortis, il portait un tee-shirt manches longues moulant rouge et il avait les mêmes paillettes au niveau des épaules. Littéralement bouche bée en me voyant arriver sur la glace, je dus claquer des doigts devant lui pour qu'il parvienne à se ressaisir. Je ris. Position de départ, dos à dos. La chanson commença, premières notes de piano. Danser, encore et encore. Les mouvements étaient précis, l'erreur n'était plus permise. Bon sang, que c'était bon de patiner ! Louca chuta après une minute de programme. Il se releva rapidement, rien de grave en soi, mais nous ne pouvions plus nous permettre ce genre de maladresse, sinon la victoire s'envolerait. Mais Emma et son partenaire pouvaient, eux aussi, faire une erreur, après tout, même si c'était rare, il arrivait aux meilleurs de tomber. Surtout que notre programme libre était, techniquement, réellement difficile, nous avions le plus dur de la saison, il y avait de nombreux éléments complexes. C'était à la fois une force, nous pouvions gagner tellement de points grâce à cela, mais si nous échouions, nous pourrions en perdre aussi énormément. La suite de notre programme libre nous inquiéta encore plus, les erreurs s'enchaînèrent, infimes, mais qui comptaient dans le résultat des championnats. Nous terminâmes donc, avec un goût amer dans la bouche, l'impression que nous n'étions pas prêts. Nous échangeâmes un regard inquiet. Louca poussa un soupir et passa les mains sur son visage. Nous pensions avoir réalisé le plus dur avec cette chorégraphie, réussir le porté difficile nous avait redonné confiance. Nous tombions de haut. Nous nous approchâmes de Maxence, ma mère et Christelle.

- Ne faîtes pas cette tête. Il nous reste encore plusieurs heures d'entraînements. Ce qu'il vous faut, ce sont des cours de danse. On a de la chance, ma soeur, que vous avez rencontrée, est professeure de danse et ancienne chorégraphe de patinage. Elle pourra vous aider. Je lui donne rendez-vous pour cet après-midi. Retournez dans les vestiaires, et mettez votre dernière tenue, celle pour le gala.

Nous nous exécutâmes, sans un mot. Maxence essayait de nous réconforter, mais le fait de ne pas avoir réussi notre programme libre, nous en avait mis un sacré coup au moral. Louca enfila sa chemise blanche et son pantalon bleu nuit, tandis que j'enfilai un short et une brassière de sport bleus également, ainsi qu'une chemise blanche - qui faisait office de tunique - pour être assortie à Louca. Nous retournâmes sur la glace. Nous ne sourions plus. Louca poussa un terrible soupir de tristesse. Nous nous étions sans doute surestimés.

- Eh ! Faîtes pas cette tête là, les jeunes ! nous cria Maxence. Rien est perdu. Quand on veut vraiment quelque chose, on finit toujours par l'obtenir. Vous savez la difficulté du défi qui vous attend. Mais vous pouvez le surmonter. Si vous souhaitez réellement me suivre au Canada, vous ne pouvez pas baisser les bras si vite.

Il avait raison. Mais j'avais le sentiment que nous ne décrocherions pas la médaille d'or tant attendue, nous décevrions notre entraîneur, nos parents et tous nos amis, ceux qui avaient cru en nous. Je détournai le regard, je ne voulais pas que les autres me voient pleurer ainsi. Nous n'atteindrons sans doute jamais notre rêve, et ça faisait tellement mal de s'en rendre compte.

- Iris, ma chérie...murmura ma mère en collant son front contre le mien. Ecoute-moi. Je sais ce que tu ressens, je l'ai vécu des dizaines de fois quand j'étais patineuse. Le doute, la peur, la pression trop grande. Mais franchement, est-ce que ça ne vaut pas le coup de se battre encore ? Après tous ce que tu as traversé, après m'avoir désobéi des dizaines de fois, comment peux-tu perdre espoir ? Tout est possible. On ne baisse pas les bras comme ça. Je te l'interdis. Tu es forte, talentueuse, je n'avais jamais vu ça. Iris, tu es l'une des seules patineuses à avoir cette étincelle dans les yeux. Tu vas aller sur la glace de Reims avec Louca, et tout faire pour me décrocher cette médaille d'or, tu m'entends ? Je sais, maintenant, que tu as quelque chose en toi d'unique. Tout ton corps vibre au rythme de ta passion. Et ça, les juges ne peuvent pas ne pas le voir. C'est ce qui te différencie de Emma et de toutes tes concurrentes. Tu as trouvé ta voie, alors ne la lâche jamais. J'ai confiance en toi, on a tous confiance en vous ici, vous pouvez le faire.

Un silence s'installa pendant quelques secondes entre nous. Ma lèvre inférieure tremblait d'émotions.

- Tu penses que j'en suis capable ? lui demandai-je.

- Non, Iris, dit-elle. J'en suis sûre et certaine.

Je ne m'en étais même pas rendu compte, mais ma mère avait enfilé des patins pour nous rejoindre sur la piste. C'était étrange, si on m'avait dit il y a quelques jours que je la reverrais sur la glace, je n'y aurai pas cru. Je me tournai vers Louca.

- On y va ?

Il acquiesça et me tendit sa main.

~~~


Après toutes les heures que nous avions passé à la patinoire, ce jour-là, nous terminâmes la matinée aux ateliers sportifs en plein air. Nous fîmes une grosse séance de deux heures, avant de commencer un petit jogging.
Un peu plus tard, vers midi, nous finîmes par aller pique-niquer, Louca et moi, sur la plage du Grand lac. Il n'y avait pas grand monde en ce début d'après-midi venteux. Nous eûmes beaucoup de mal à étaler notre nappe sur le sable, en effet, le vent ne se calmait pas. Nous réussîmes finalement à nous asseoir, tant bien que mal, et sortîmes notre déjeuner de nos sacs. J'enlevai mes baskets et Louca fit de même.

- Iris, dit-il. Tu te souviens, au début, le lendemain de notre première rencontre ?

J'ouvris la boîte dans laquelle se trouvait mon sandwich.

- Bien sûr, répondis-je. Tu me faisais presque peur à me suivre, comme ça, à la patinoire.

- Oui, désolé, mais pour savoir à quelle heure, exactement, tu venais à la patinoire, j'avais dû demander quelques renseignements à Samuel.

Je souriais en buvant une gorgée de mon eau pétillante.

- Et, est-ce que tu te rappelles de la question que tu m'avais posé, après que tu aies accepté de passer le test pour devenir ma partenaire ?

Je refermai ma bouteille, tout en réfléchissant à la question.

- Je crois que je t'avais demandé pourquoi tu m'avais choisi, moi, comme nouvelle partenaire, lâchai-je. Tu ne m'avais observé que quelques instants sur la glace et pourtant, tu voulais absolument patiner avec moi.

- C'est ça, continua Louca. Je ne t'avais pas vraiment donné d'explications, alors je pense que maintenant, c'est le moment.

Mon coeur manqua un battement. Je me tournai vers lui.

- Ta mère, tout à l'heure, t'a donné l'explication en fait. D'abord, Samuel t'a aidée à devenir une excellente patineuse dès ton plus jeune âge, il t'a tout de suite pris sous son aile. Ensuite, Christelle a accepté de te prendre dans notre équipe, immédiatement après t'avoir vu danser. Et moi..je t'ai choisi comme partenaire parmi tant d'autres, j'ai refusé de patiner avec Emma, parce que tu es la seule à avoir ce regard quand tu es sur la glace. Tu es la seule à être aussi passionnée. Tu as la danse sur glace en toi, Iris. Je ne veux personne d'autre comme partenaire. Ta passion est ta force. Et quand...quand nous avons patiné ensemble, je ne sais pas...j'ai ressenti...quelque chose.

Nous restâmes silencieux, les yeux dans les yeux, pendant de longues minutes.

- Alors comme ça, toi aussi tu le sens ? Ce truc qui nous unit, on ne sait trop comment. C'est étrange, hein ? murmurai-je.

Il acquiesça avec un sourire.

- Tu sais, des fois, j'ai l'impression de vivre pour la danse sur glace. Quand je suis sur la piste, j'ai la sensation d'être vraiment libre. À la patinoire, je peux m'exprimer d'une autre façon qu'avec des mots. Je n'ai plus besoin de penser, de ressasser mes problèmes, je me laisse juste porter par la musique et j'oublie tout.

- Je ne pouvais décidément pas rêver meilleure partenaire, souffla Louca en contemplant le lac en face de nous.

Le vent glacial souleva mes cheveux et caressa mon visage. Après un nouveau silence, nous commençâmes à déjeuner.
Tout en dévorant nos carottes râpées, nous parlions de tout et de rien. J'aimais ces moments de paix avec Louca. J'avais tant souffert. À présent, j'avais juste besoin de...respirer. Nous passâmes le reste de notre repas à rire de choses légères.

- Bon, maintenant que nous avons l'estomac plein, me dit Louca en se levant. Que dirais-tu de retourner à l'entraînement ?

- Tout à fait d'accord, approuvai-je en l'imitant. Nous avons un cours de danse dans quinze minutes.

Nous rangeâmes la nappe dans notre sac cabas. On entendait le vent, qui faisait craquer les branches des arbres, et les cris des enfants qui s'amusaient, un peu plus loin, aux jeux. Nous quittâmes la plage et gagnâmes la patinoire. Solane discutait avec son frère, Maxence. Ils se tournèrent vers nous dès que nous eûmes franchi la porte.

- Prêts ? nous demanda-t-elle.

Nous hochâmes la tête, la suivîmes jusqu'à la salle de danse, situé à l'étage de la patinoire. Nous retirâmes nos chaussures et nos chaussettes, avant de monter sur le parquet. Nous attendîmes patiemment les consignes, tandis que Solane s'assit, sans un mot, en tailleur, et ferma les yeux. Nous échangeâmes un regard surpris.

- Solane, est-ce que tout va bien ? demanda Louca.

Elle rit, mais garda les yeux clos.

- Asseyez-vous. Nous allons commencer par un exercice de respiration. Faîtes comme moi, les mains sur le ventre. Puis, inspirez calmement par le nez. Et expirez.

Nous nous exécutâmes.

- Cet exercice vous permettra de vous en sortir dans toutes les situations stressantes, la panique peut paralyser. Il ne faudrait pas que cela vous arrive aux championnats, c'est pour cela que la respiration est importante. Doucement. Se laisser bercer par son souffle, se vider la tête. Voilà, comme ça très bien. Encore une minute.

J'inspirai profondément sur trois secondes, retenai l'air pendant cinq secondes et expirai sur sept. Cela me faisait du bien, je me sentais plus sereine que jamais.

- Bien, dit Solane en se relevant. Je vous laisse dix minutes, ensemble, tous les deux, vous devez réfléchir à un rituel que vous ferez à chaque compétition. Avant de rentrer sur la glace, vous devez vous mettre dans une espèce de bulle, et établir cette sorte de connexion qui vous lie. Ensuite, nous commencerons le cours de danse, me suis-je bien fait comprendre ?

Nous acquiesçâmes, même si j'avoue que je n'avais aucune idée de ce que nous allions faire. Solane nous laissa donc seuls. Louca se tourna vers moi, ses yeux brillaient : visiblement, lui, avait déjà trouvé notre rituel.

- Et si nous restions dos à dos, assis, proposa-t-il. Tu te rappelles, on avait vu le couple russe faire ça aux derniers JO.

Je fis la moue. Je n'avais pas envie de prendre leur rituel, justement parce que c'était le leur. Il fallait quelque chose qui nous ressemble, qui nous correspond. Nous devions nous mettre dans notre monde. Me voyant réfléchir, Louca se tut, il prit simplement ma main. Voilà, c'était ça. Je venais de trouver notre rituel. Je me tournai vers mon partenaire, qui me souriait tendrement. Je lui rendis son sourire.

- J'ai trouvé, dis-je. Si cela te convient bien sûr, nous allons avant chaque compétition, se prendre par la main et répéter dans notre tête les pas, en marchant tranquillement.

- C'est parfait.

Pour être sûre que cela marcherait, nous essayâmes. Ce fut un véritable succès. Nous répétions chacun de nos programmes dans nos esprits, main dans la main. Nous n'entendîmes même pas Solane rentrer, nous ne nous en aperçûmes seulement lorsque nous eûmes terminé ce qui serait maintenant notre rituel. Enfin, ça y est, le cours de danse allait commencer, je n'attendais que ça. Solane se mit à marcher de long en large devant nous, les mains dans le dos, concentrée. Nous passions aux choses sérieuses.

- La danse est un art, autant que le patinage. Vous êtes les artistes de vos oeuvres. Pour réussir vos programmes, vous devez connaître d'autres chorégraphies. Apprendre de nouvelles techniques vous fera progresser sur ce que vous savez faire. Pour m'expliquer clairement et simplement, je vais apprendre une danse à chacun d'entre vous, différente, l'un après l'autre. Dans deux heures, vous vous entraînerez cette fois ensemble, sur vos programmes, toujours hors glace. Ce n'est qu'à la toute fin de l'entraînement que vous descendrez sur la piste. Des questions ?

- Oui ! s'exclama Louca. Je ne comprends pas. Pourquoi apprendre de nouvelles chorégraphies ? Nous les avons les nôtres ! Les championnats sont demain, nous n'allons pas commencer à nous mélanger en apprenant d'autres pas ! C'est absurde !

- Ne t'en fais pas, ma méthode peut surprendre, c'est vrai, admit Solane. Mais je peux vous assurer qu'ainsi, vous serez prêts. Faîtes-moi confiance.

Louca et moi échangeâmes un regard inquiet. Tout cela nous semblait bien flou et surtout bien dangereux à quelques heures de cette grande compétition tant attendue. Mais nous n'avions pas vraiment le choix, elle était peut-être notre dernière chance, puisque nos entraînements de ce matin n'étaient réellement pas dignes d'une médaille d'or.

- Je vais commencer avec Iris, expliqua Solane. Louca, tu peux rejoindre mon frère en bas, je crois qu'il a des choses de prévu pour toi.

Louca soupira en se passant la main sur le visage, il s'attendait au pire, Maxence nous en faisait baver. Je ris quand je vis Louca descendre les escaliers en faisant semblant de pleurer.

- Nous allons danser sur "Goodbye my lover" de James Blunt. Je suppose que tu connais ?

J'acquiesçai, retrouvant vite mon sérieux, quand tout à coup quelque chose m'interpella.

- Attendez ! m'écriai-je. Vous avez dit "nous" ?

Elle sourit devant ma réaction.

- Oui. Laisse-moi t'expliquer. Tu seras une sorte de marionnette. Je vais te modeler. Tu vas te mettre debout, les bras le long du corps, les jambes écartés à la largeur des épaules. Tu ne feras rien, tu devras juste retenir les positions dans lesquelles je te mets. Tout ton corps doit être mou, élastique comme du chewing-gum, tu dois juste te laisser faire et retenir. On va répéter ça des dizaines et des dizaines de fois jusqu'à ce que tu connaisses les pas par coeur, au millimètre près. C'est bon pour toi ?

Je hochai la tête, concentrée. Je me mise face au grand miroir de la salle de danse, debout, immobile. Solane alluma la musique et se mit à ma droite. J'avoue que cela me perturba de ne rien faire, juste d'être...un pantin. Me voir ainsi, devant l'immense glace, dirigée par Solane. Elle était complètement ailleurs, elle avait l'habitude de faire ça, on voyait bien que la danse était tout pour elle. Elle vivait la musique. Je me rendis compte au bout de trente secondes de chorégraphie que Solane ne faisait danser que le haut de mon corps, je pivotai seulement quelques fois, rien de plus. La chanson se termina.

- Pourquoi mes jambes ne bougent pratiquement pas ? demandai-je immédiatement.

- Une chose après l'autre. Les bras occupent une part importante de vos programmes, nous allons donc nous concentrer sur eux au début, ensuite nous travaillerons les jambes et enfin, tout à la fois. D'abord, apprends les mouvements de bras. Allez, on recommence.

Elle redémarra la musique, nous nous remîmes dans la même position. C'était étrange. Solane me faisait pénétrer dans un monde que je ne connaissais pas. La musique...déjà, avant, elle me transportait, mais là...c'était dingue. Toutes ces choses qui nous traversent en dansant, ceux qui croient que la musique ça leur fait pareil, juste en mettant leur playlist Spotify en marche se trompent. Non, c'est plus fort que ça, c'est vivre intensément chaque mélodie, ressentir des choses et surtout transmettre des choses par des mouvements, sans paroles. Vibrer au rythme de la chanson. Étonnamment, cette chorégraphie là, je parvins à la retenir assez vite, pourtant se souvenir des pas n'avait jamais été la partie dans laquelle j'étais la plus douée. Une heure était passée, je finis avec Solane en refaisant toute la danse avec elle. On ne s'en rendait pas forcément compte en me regardant faire cette chorée, à quel point c'était difficile. Les mouvements de bras en particulier étaient intenses et précis, pas besoin de vous dire dans quel état j'étais à la toute dernière note de la chanson. Je ne sentais plus mon corps, je m'écroulais sur la parquet de la salle.

- C'est excellent Iris, tu es plus que prête pour demain. Aucune erreur, me félicita Solane en m'aidant à me relever. Tu peux être fière de toi.

- Merci, maintenant j'espère faire la même performance sur nos programmes demain.

- Donne-toi au maximum, pour n'avoir aucun regret, c'est le seul conseil que je puisse te donner pour le jour J. Va me chercher Louca, c'est à son tour d'en baver ! Toi va prendre un fruit et de l'eau avant de commencer l'entraînement avec mon frangin.

Je hochai la tête, bus une gorgée de ma gourde et descendis les escaliers. Il faisait beaucoup plus frais près de la piste, c'était bien, j'avais besoin de fraîcheur. Cherchant Louca en vain, je me dirigeai vers le comptoir pour demander de l'aide à Samuel.

- Tu sais où il est ?

- Je crois les avoir vu partir vers la piste d'athlétisme, me répondit-il.

Intriguée, je remerciai Samuel et sortis de la patinoire. J'eus à peine franchi la porte, que je m'arrêtai net. Au début, je ne la reconnus pas vraiment, je me demandais seulement ce que cette personne venait faire à la patinoire, alors que nous l'avions réservée pour la journée. Puis, le déclic se fit dans mon esprit lorsque je m'approchai d'elle. Elle avait tellement changé en quelques jours, je n'aurai jamais cru ça possible. Je restai comme paralysée devant elle.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu ne me reconnais pas, c'est ça, Iris ? dit Emma d'un ton méprisant.

Je ne sus pas quoi dire. Qu'est-ce que je devais lui répondre ? Et plus important encore, que lui était-il arrivé ? Son visage déjà pâle, devenait presque gris, comme les cadavres. Ses cernes étaient énormes, ses yeux n'avaient plus de lumière, sa mâchoire était serrée, les traits de son visage durs. Elle n'avait plus rien de la Emma que je connaissais, celle qui était sûre d'elle. Elle avait la rage de vaincre, je le voyais dans son regard. Elle me haïssait.

- Tu ne sais pas tout le mal que tu m'as fait ! s'écria-t-elle.

- Emma, dis-je calmement. Je ne t'ai jamais rien dit, jamais rien fait, pourquoi t'acharnes-tu ainsi sur moi ?

Elle partit d'un rire méprisant, qui se transforma bientôt en un espèce de hoquet horrible.

- Tu fais bien la victime. Tu te penses innocente ? Oh oui c'est vrai, tu es la gentille et je suis la méchante, ironisa-t-elle. Mais qui est-ce qui a volé le partenaire de l'autre, hein ? Dis-moi !

Je reculai d'un pas et baissai les yeux. Mes mains tremblaient et j'eus du mal à contenir mes larmes. Je ne devais plus me laisser marcher sur les pieds comme ça. Je relevai brusquement la tête et pointai mon index vers elle.

- Louca n'appartient à personne. C'est lui qui est venu vers moi, lui qui m'a choisi, je ne l'ai pas obligé, je ne lui ai pas mis le couteau sous la gorge, à ce que je sache !

- Arrête. Arrête ! Je me suis entraînée pendant des années pour atteindre ce niveau, j'en ai bavé, et toi...tu arrives comme ça, du jour au lendemain, et tu prends ma place ! J'ai tellement galéré, si tu savais...

Et elle fondit en larmes devant moi. Je ne sus pas quoi dire, ni quoi faire. Devais-je la prendre dans mes bras comme une amie le ferait ? Après tout ce qu'elle m'avait fait ?

- Je suis désolée. Je voulais juste patiner, réaliser mon rêve, je n'avais aucunement l'intention de te blesser. Et puis tu as vite retrouvé un partenaire, c'est tout ce qui compte, non ? Demain, tu seras aux championnats de France, c'est pas énorme ça ? tentai-je pour lui redonner le sourire.

Elle se releva lentement, son visage était déformé par la colère, ses yeux étaient rouges.

- T'es sérieuse ? Cinq ans que je vais à ces championnats, j'y vais pour gagner. Il y a un an j'ai été vice-championne de France, cette année c'est à moi d'avoir la médaille d'or. Je ne te laisserai pas la prendre. Tu n'es rien face à moi. Je vais te détruire. C'est moi qu'on applaudira, c'est moi qui vais soulever le trophée, c'est moi qui vais t'écraser Iris.

- On verra bien sur la glace, rétorquai-je.

- En effet, répliqua-t-elle immédiatement.

Je poursuivis mon chemin, comme s'il ne s'était rien passé. Maxence devait sans doute m'attendre, et Louca serait en retard à son cours de danse avec Solane. Je pressai le pas. Je trouvai les garçons assis côte à côté dans les gradins qui bordaient la piste d'athlétisme. Louca avait le visage si rouge que je crus qu'il allait s'évanouir, il transpirait à grosses gouttes, son tee-shirt était trempé de sueur. Je l'interrogeai du regard en esquissant un sourire, pour toute réponse il poussa un long soupir.

- Je pense que tu n'es pas au bout de tes peines, dis-je en lui tapotant l'épaule. Solane t'attend pour le cours de danse.

Il gémit.

- Rigole, rigole, me lança-t-il en quittant la piste. Tu verras dans une heure si tu continues à rire après la séance que te réserve Maxence !

J'avoue que je n'étais pas rassurée, lorsque je me tournai vers mon entraîneur. Que m'avait-il préparé de si horrible ?

Je le sus bien trop tôt. Je fis des fractionnés sur la piste, malgré la chaleur de cet fin d'après-midi, je tenais le choc. Nous enchainâmes ensuite avec du renforcement musculaire. Je me dépassais physiquement et surtout mentalement. Je crois que les paroles d'Emma m'avaient mis une telle rage en moi, que j'étais prête à me donner absolument à fond. Je méritais autant qu'elle d'aller aux championnats, j'allais lui le prouver. Solane et Louca nous rejoignirent à la piste, nous repartîmes tous les quatre vers la plage du Grand Lac. Avant de partir, je m'étais changée dans les toilettes de la piste, j'avais enfilé une petite robe bleue. Elle descendait jusqu'aux genoux, avait des fines bretelles et un petit décolleté. Il faisait bon ce soir-là. Le mois de mai approchait, le beau temps aussi. Malgré ce vent glacial qui agitait les arbres, je renonçai à enfiler un sweat. Nous retirâmes chaussures et chaussettes, et marchâmes lentement sur la plage.

- Voilà, pour finir votre entraînement, vous allez exécuté vos programmes ici. Danser dans le sable est bien plus compliqué que sur le sol. Vous vous en rendrez compte bien assez vite.

Pieds nus, nous nous mîmes en position de départ. Solane alluma son enceinte et les premières notes commencèrent à résonner sur la plage du Grand lac. Les rayons du soleil projetaient des reflets dorés sur le lac. Les nuages avaient disparus. Les derniers promeneurs étaient partis, il n'y avait plus que nous quatre.
Tout était parfait. Les cheveux en bataille de Louca étaient plaqués sur son front à cause de la transpiration, et ses yeux luisaient encore plus que d'habitude. Il posa ses mains dans mon dos et mes pieds quittèrent le sable fin. Mes jambes encerclèrent la taille de Louca, tandis que mes bras s'enroulèrent autour de son cou. Mon partenaire se mit alors à tourner sur lui-même, devant le soleil, majestueux. Je me sentais apaisée dans ses bras, libre.

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