13.

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J'étais dans mon coin, comme toujours, sauf qu'avant je pouvais parler à Candice au moins. Mais depuis notre dernière dispute, on ne s'était plus adressé la parole. De toute façon, je n'avais pas la force de parler avec elle. Si elle ne me comprenait pas, tant pis pour elle.
Le vent soufflait fort, mes cheveux fouettaient mon visage. Les groupes d'élèves se formaient ici et là, comme à chaque récréation. Le froid m'envahit. Je mis les mains dans mes poches et serrai mon écharpe un peu plus autour de mon cou pour essayer de me réchauffer.
J'étais adossée aux casiers quand j'entendis des voix, que je connaissais trop bien, s'approcher.

- Tiens tiens, mais regardez qui est là ? Ne serait-ce pas la grande patineuse, Iris Leblanc ? s'amusa Emma.

- Mais oui c'est elle ! s'exclama Mathias, faussement enjoué.

- Elle a tellement pris la grosse tête que je ne l'avais même par reconnue, rigola Marine Franklin.

Dîtes-moi que c'était un cauchemar ? Emma n'était quand même pas devenue amie avec Mathias et Marine ?

- Alors, qu'avons nous là ? demanda Emma en prenant mon sac de sport. Mais oui ce sont bien des Jackson que je vois !

- Lâche-ça, répliquai-je en lui arrachant mes affaires des mains.

Elle a fait semblant d'être choquée par mon comportement avant de reprendre :

- Oh pardon ! Nous n'avons plus le droit de toucher aux patins de la princesse !

Je lui ai lancé un regard noir et me suis détournée. La sonnerie a retentit. Je poussai un soupire de soulagement, c'était bien la première fois que j'étais heureuse d'aller en permanence. Au moins en salle de perm je n'aurais pas à affronter ces trois vipères. Alors que je m'apprêtais à monter les escaliers, une main ferme se posa sur mon épaule.

- Eh ! Tu vas où comme ça ? me questionna Mathias.

Je me retournai. J'essayai de cacher la crainte que je ressentais à ce moment-là, mais je crois qu'Emma s'en est aperçue car elle s'esclaffa.

- N'aie pas peur, ça ne fera pas mal, dit-elle. Rendez-vous au parc dans quinze minutes.

Ils allaient s'en aller lorsque Marine revint vers moi un grand sourire vengeur aux lèvres.

- Ah ! Et n'essaie pas te défiler sinon...

Elle fit craquer ses doigts et tourna les talons.
Je suis restée plantée là quelques minutes, avant de réagir qu'il fallait que je me dépêche si je voulais être à l'heure au rendez-vous. Je déposai mes sacs dans mon casier puisqu'ils risquaient plus de m'encombrer qu'autre chose. Ensuite, je suis sortie du lycée, et je suis allée vers l'entrée du parc.
Marine avait laissé sa phrase en suspens mais je me doutais que cela finirait mal pour moi si je ne venais pas. Mais que se passerait-il ? Que m'arriverait-il ?
Contraitrement à tout à l'heure, j'avais horriblement chaud et la panique me submergea. Que pourrais-je faire contre eux trois ? Je n'avais aucun moyen de me défendre et j'étais seule.
Les corbeaux croassaient au-dessus des arbres. Est-ce signe d'un mauvais présage ? Les arbres s'agittaient. Le vent était de plus en plus violent.
Ils étaient là, ils m'attendaient. La gorge nouée, je m'approchai.
Emma tapait du pied en regardant sa montre. Louca et Marine fumaient juste à côté, assis sur un banc. Il n'y avait personne d'autre. Pas étonnant, vu le temps. Je ne pourrais donc pas appeler à l'aide si quelque chose devait m'arriver.

- Ah ! Bien. Tu es là, s'exclama Emma en me voyant.

- Oui, articulai-je.

Je n'avais rien trouver d'autre à dire sur le moment. J'étais dans un tel état de panique que mon souffle était court et mes jambes tremblaient.
Emma s'approcha de moi et me regarda droit dans les yeux.

- Tu sais Iris, je ne t'en veux pas, dit-elle. Que ce soit avec Louca ou quelqu'un d'autre, j'atteindrai les sommets.

- C'est ce qu'on verra, répliquai-je entre mes dents.

Heureusement, elle ne m'entendit pas.

- Mais, c'est aujourd'hui que nous allons voir ce dont tu es capable, continua-t-elle. Nous allons danser sur la même musique, au même moment, et nous verrons alors qui est la plus douée de nous deux !

Je déglutis. C'était donc pour ça qu'elle m'avait donné rendez-vous ici ? Pour se prouver à elle-même qu'elle était capable de me battre ?
Tout cela ne me disait rien qui vaille.

- Mathias, mets la musique ! ordonna Emma. Marine, tu sais ce que tu as à faire ?

Marine hocha la tête. Qu'est ce que ça signifiait ? Je n'eus pas le temps de réfléchir à la question que la musique commençait déjà.
Emma se mit en position de départ, je l'imitai.
Le vent hurlait, la pluie s'annonçait et les arbres agitaient leurs branches comme des marionnettes. Mais ce n'est pas ça qui nous empêcherait de danser.
Je sentis une goutte sur ma main : ça y est, il pleuvait.
Je vis Emma se mettre sur ses pointes. Je la regardais, bouche bée. Elle était précise, souple et légère. Je n'avais jamais vu une danseuse si belle. Je ne devais pas me laisser impressionner. Je me mis donc moi aussi à danser. Je devais me battre. Si j'abandonnais maintenant, je perdrai toute crédibilité et Emma se moquerai de moi jusqu'à la fin de ma vie.
Nous tourbillonnions sur les graviers du parc. J'avais deux temps de retard, je m'en rendais bien compte mais j'étais incapable de la rattraper. Emma faisait chacun de ses mouvements avec tellement de facilité que cela me donna un coup au moral.
Alors que la musique se terminait, je vis Emma monter gracieusement sur un des poteaux en bois qui bordaient l'allée de gravillons. Elle était en équilibre, jambe tendue en arrière, parfaitement immobile.
Si je parvenais à exécuter cette même figure, Emma serait peut-être impressionnée et me laisserait tranquille. Je pris une profonde inspiration et posa mon pied sur un poteau à côté du sien. Au moment où je tendais mon pied, je sentis le bois tremblé sous mes orteils. Soudain, mon corps bascula en avant. Je me suis étalée de tout mon long dans le gravier.
Emma sauta de son poteau. La chanson était terminée. Et le défi qu'elle m'avait lancé, je venais de le perdre.
Je voulus me relever mais elle appuya son pied sur mon dos et je me retrouvai encore une fois le nez dans les gravillons. Je poussai un gémissement de douleur.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle, un sourire mauvais aux lèvres. Tu as mal ?

Emma enleva son pied et je pus enfin respirer. J'étais à genoux quand elle se pencha vers moi.

- Écoute-moi bien Iris, commença-t-elle. J'ai obtenu le titre de championne de France pendant trois années d'affilée, alors ce n'est pas une débutante comme toi qui va me battre, c'est clair ? Certes, tu patines bien. Mais tu es incapable de danser avec légèreté, chacun de tes pas crée un tremblement de terre.

Je baissai la tête, incapable de répliquer, de me défendre.

- Regarde-toi, continua-t-elle. Tu ne vaux rien. Tu n'as pas la moindre chance de gagner. Abandonne Iris, tu ne fais pas le poids face à moi. Abandonne avant qu'il ne soit trop tard.

Je relevai la tête.

- Ce sont des menaces ? demandai-je entre mes dents.

- Tout à fait, tu es perspicace, répondit-elle. Ouvre les yeux, tu n'as pas le niveau et tu ne l'auras jamais. Retiens bien une chose Iris, je gagne toujours !

Sur ces mots elle s'en alla, ses nouveaux amis sur les talons. Mathias me regarda, mais étonnamment il n'y avait aucune méchanceté dans son regard, je crus même percevoir une pointe de tristesse.

Je me suis retrouvée seule, sous la pluie, trempée jusqu'aux os. Les larmes coulèrent sur mes joues. Je me sentais humiliée et je n'avais pas la force de me relever. Après tout, elle avait peut-être raison. Et si je n'étais pas faîte pour la danse sur glace ? Mes parents me l'avaient sans cesse répété mais je n'avais pas voulu les croire. Mes entraînements étaient inutiles, Emma sera toujours plus douée que moi. Toujours.

Un vent glacialWhere stories live. Discover now