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Je n'arrivais pas à me concentrer. Tout mon corps me faisait souffrir. Je devais absolument me focaliser sur mon évaluation, je n'avais encore rien écrit et il ne restait plus que quinze minutes. C'était une catastrophe. J'avais la tête en feu et mes oreilles bourdonnaient.

- Mademoiselle Leblanc ? m'interrogea la professeur de français. Quelque chose ne va pas ?

Sa voix me semblait lointaine.

- Tout va bien, déclarai-je en essayant de sourire.

La prof me regarda attentivement. Mon mensonge ne paraissait pas la convaincre. Je ne me sentais pas bien du tout. Mais je n'avais pas envie d'aller voir l'infirmier, il préviendrait mon père et je lui avais déjà causé trop de soucis.

- Vous êtes sûre que vous allez bien ? insista ma prof. Vous êtes toute blanche. Vous n'avez rien écrit, bien que votre niveau ait considérablement baissé le trimestre dernier, ça ne vous ressemble pas. Allez donc vous rafraîchir un peu aux toilettes. Vous finirez votre contrôle demain. Je vous laisserai une demi-heure de plus.

Quelques élèves protestèrent, trouvant cela sans doute injuste. Cependant, je n'avais plus la force de répliquer. Je rassemblai péniblement mes affaires et tendis ma feuille pratiquement blanche à ma professeure. Je sortis lentement de la salle, je sentais mes forces diminuées. Je me dirigeai vers les toilettes, mon souffle s'accélérait. Je pénétrai dans une cabine, fermai la porte et m'adossai à elle. J'avais des frissons, mes mains tremblaient et je n'entendais plus que ma respiration. Comme j'étais en tee-shirt et jupe, je pouvais voir toutes les blessures que je m'étais faîte à l'entraînement. Mes bras et mes jambes étaient recouverts de bleus, d'égratignures et de sang sec. J'avais tellement souffert et, d'ailleurs, je souffrais encore. Rien qu'à l'idée de retourner à la patinoire ce soir, j'avais envie de vomir. Même si ce n'était que pour mettre fin au partenariat qui me liait avec Louca, j'étais terrorisée. Mais que m'arrivait-il ? Tout ce en quoi je croyais s'était effondré. À ce moment précis, j'aurais fait n'importe quoi pour oublier ce monde dans lequel je m'étais lancée toute seule. C'était complètement dingue : je regrettais tout. Je ne comprenais plus pourquoi j'avais suivie Louca dans cette aventure. Je n'avais plus l'envie, ni le courage, ni la force. J'étais faible. Comment avais-je pu croire une seconde pouvoir battre Emma ? Elle avait la technique et le mental d'une véritable championne. Pendant des mois, à cause de Louca, j'avais cru en nous, en moi, je pensais qu'on pouvait aller loin ensemble. Il m'avait manipulé, il s'était menti à lui-même, nous n'irions nulle part ainsi. Je devais retrouver ma vie, je voulais revoir ma mère et que tout redevienne comme avant. Effacer cette période de ma vie à tout jamais. Ne plus réfléchir, ça faisait trop mal, tout oublier pour ne plus souffrir. Assise sur le carrelage froid des toilettes, j'ai enfoncé mes ongles le plus profondément possible dans la chair de mes cuisses. Je serrai les dents de douleur mais j'avais tout de même la sensation d'aller mieux. C'était étrange. C'était comme si le fait de me faire mal au corps ne me faisait plus mal à l'esprit. J'ai continué ainsi pendant plusieurs dizaines de minutes, une heure peut-être, deux, je ne sais pas. À la fin, ma peau était couverte de marques rouges, parfois si profondes que le sang coulait. Je pleurais, mais je ne me sentais pas mieux, j'avais juste si mal que je ne pouvais plus réfléchir, plus me poser de questions, j'étais vide. Mais ma migraine s'était intensifiée comme le bruit d'un tambour qui résonnait dans ma tête, inlassablement. Je ne pouvais pas rester comme ça, il fallait absolument que je trouve quelqu'un pour m'aider. Mon père ne devait pas savoir, il avait déjà assez de soucis comme ça, je ne voulais pas lui en rajouter. Louca, ce n'était même pas la peine d'y penser. Nous étions toujours partenaires, jusqu'à ce soir du moins, mais nous n'étions déjà plus amis. Il ne restait plus qu'une personne qui était encore de mon côté : Samuel. Je me relevai, tant bien que mal. Ma poitrine était comme compressée, je respirais avec difficulté. Je sortis des toilettes et descendis les escaliers. Mes jambes étaient en coton, ma vision floue et ma migraine s'intensifiaient à chacun de mes pas. Je peinais à marcher tant par les tremblements qui me secouaient mais aussi à cause des blessures de l'entraînement et des coupures que je venais de me faire. Rien allait. Cramponnée à la rampe, je descendais les marches, avec la peur de m'effondrer à n'importe quel moment. Je ne pensais plus qu'à une chose : rejoindre Samuel avant de m'évanouir en plein milieu du lycée et que l'infirmière n'appelle mon père. Il essayait de me le cacher, mais je voyais bien qu'il souffrait lui aussi, non seulement du départ de maman, mais également de la fermeture de son restaurant. Il l'avait mis en vente et cherchait actuellement du travail dans les usines aux alentours. Une nuit, je crus même l'entendre pleurer. Mon père m'avait soutenue depuis le dernier tournoi, aujourd'hui je comprenais qu'il n'aurait pas dû. Mais je ne pouvais pas lui en vouloir, tout ça c'était de ma faute, je m'étais laissée entraîner dans un sport qui me dépassait en tout. Ma mère avait raison, je n'étais qu'une idiote qui prenait ses rêves pour des réalités. Je ne rêverais plus ainsi, je reprendrais le cours de ma vie. Mes études devaient passer avant tout. Les quelques élèves qui erraient dans les couloirs sombres me regardaient d'une drôle de manière, peut-être à cause de l'état de mes jambes qui faisaient peur à voir, ou alors de mon visage qui ressemblait sûrement à celui d'un zombie. Peu importe. Je voulais juste voir Samuel. Mon portable n'ayant plus de batterie, je devais me traîner jusqu'à la patinoire pour le trouver. L'endroit qui me terrorisait le plus au monde. Je savais d'avance qu'en apercevant la glace, je m'écroulerai. En sortant du lycée, je fus frappée par le silence. Un silence presque inquiétant. Il n'y avait ni vent, ni le bruit d'un moteur. Le ciel gris, noir même à certains endroits, ne laissait transparaître aucune lumière. Les trottoirs encore humides de la dernière pluie, semblaient s'accorder avec la couleur des nuages. Je marchai alors jusqu'à la patinoire. Le chemin me sembla si long, comme un endroit qu'on cherche à atteindre mais qui semble s'éloigner de plus en plus. Pour ne rien arranger, mes chaussures étaient dans un état désastreux. Mes semelles rappaient le sol, s'usant encore. Je voulus accélérer le pas, effrayée par cette ambiance sinistre, mais je tombai sur le goudron, déchirant mes collants. Dans un cri, plus de désespoir que de rage, je retirais ma chaussure - la plus abîmée - et parvins à me relever. Chancelante, je poussais enfin la porte de la patinoire. A peine fus-je rentrée que Samuel se précipita vers moi, comme s'il m'attendait.

- Iris ! cria-t-il. Qu'est-ce que tu fais ici ? Et plus important encore, qu'est ce qui t'arrive ?

- Je...je ne me sens pas bien du tout, réussis-je à articuler.

Il m'emmena à l'écart, après avoir donné quelques consignes à ses employés. Il me portait presque, je ne tenais plus debout.

- Iris...Mon Dieu ! Tes cuisses ! As-tu vu l'état de tes cuisses ?

- Oui, c'est...c'est moi qui me suis fait ça. Je réfléchissais trop, il fallait que je me vide l'esprit, je...je n'ai pas trouvé d'autres moyens que de me planter les ongles...

- Pardon ? Mais tu es devenue folle, ma parole ! Iris ! Pourquoi ? Louca m'a expliqué ce qui s'était passé ce matin à l'entraînement, et maintenant je te retrouve comme ça, tu me dois une explication.

- Je n'y arrive plus Samuel, sanglotai-je. Je suis terrorisée. J'ai peur de la glace. Je ne veux plus patiner. Je vais rompre mon partenariat avec Louca dès ce soir. S'il-te-plaît, aide-moi, donne-moi un médicament, n'importe quoi, j'ai trop mal !

Samuel n'esquissa pas un geste, il me regardait, atterré.

- Comment peux-tu dire ça ? Je ne te reconnais pas. Regarde-toi ! Où est passée Iris, celle qui était passionnée par la danse sur glace ?

- Elle n'existe pas, elle n'aurait jamais du exister. Pourquoi suis-je venue te voir ? Tu es exactement comme Christelle et Louca, tu crois tout savoir de ma vie mais tu ne sais rien. Et puis tout ça c'est de ta faute aussi, c'est toi qui m'a poussé à poursuivre la danse sur glace, tu m'as manipulée comme Louca, je n'aurais jamais dû t'écouter. Tu ne veux pas m'aider ? Tant mieux, tu n'es plus rien pour moi, d'ailleurs je t'ai déjà oublié.

- Quand tu réaliseras que ce que tu dis est complètement stupide, et que tu ne parles que parce que tu as peur des championnats et non parce que tu n'aimes plus le patinage, j'espère vraiment qu'il ne sera pas trop tard. En attendant, moi non plus je ne veux plus te voir, car la Iris que je connais depuis des années, jamais elle ne m'aurait parlé comme ça.

Ce jour-là, après ma dispute avec Samuel, je me suis retrouvée seule. Complètement seule. En sortant de la patinoire, j'ai erré pendant des heures dans les rues de la ville. Je n'ai même pas été à l'entraînement pour rompre mon partenariat avec Louca. Quand le soleil a disparu à l'horizon, j'ai appelé mon père pour le rassurer, puis je suis allée dormir chez Candice. Elle m'a donné un médicament pour soulager un peu mon mal de tête, mais elle ne m'a pas posé de questions, on n'a pratiquement pas échangé une parole. Le lendemain, avant qu'elle ne se réveille, j'étais déjà partie.

Un vent glacialWhere stories live. Discover now