59. Je cherche les champignons

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« ... par les sangs de Kaldar ! » explosa Siren.

Marcion avait un terrible mal de crâne. Il remonta son cou endolori, aspira une goutte de bave qui pendait entre ses lèvres, ouvrit les yeux et vit la portière conducteur claquer violemment, envoyant une onde de choc dans tout l'habitacle.

Le vampire fit un haussement d'épaules. Il envisageait sérieusement de se rendormir lorsque Siren ouvrit la portière passager, l'empoigna d'une main, le sortit de la voiture et le mit sur ses pieds. Elle avait l'air plutôt en forme pour quelqu'un qui n'avait pas dormi. Marcion, qui sentait les premières lueurs de l'aube flotter au-dessus d'eux, sortit une paire de lunettes de soleil et un tube de crème de solaire de la poche de sa veste.

Siren avait sorti la voiture de l'autoroute, suivi un chemin forestier et pilé entre deux chênes centenaires, non loin d'une cabane abandonnée aux dimensions d'un abri de chasseur. Une précaution sans doute inutile, s'ajoutant à une longue liste de vieux réflexes. Cela avait commencé par jeter son téléphone dans une poubelle et en sortir un autre, un vieil appareil à clavier de l'époque romaine.

« Il faut que je te parle. »

Son visage était encore caché derrière ses cheveux noirs, et Marcion se prit à penser que, peut-être, Siren n'avait pas de visage, qu'elle n'était qu'une illusion incomplète. Mais son regard furieux lui glaça aussitôt le sang.

« Je pensais que ce serait moi qui jurerais par Kaldar le premier, dit le vampire avec diplomatie, tu m'as battu.

— Je pense qu'il le mérite. On s'est fait avoir comme des bleus.

— Personnellement, je n'ai même pas suivi ce qu'il se passait.

— La SPEX a été dissoute par le Bureau Fédéral. Nous sommes des fugitifs.

— Ah. »

C'était un sentiment désagréable, certes, mais pas plus que lorsque son dentiste lui avait dit qu'au lieu d'une dent de sagesse, il en arracherait deux. Marcion avait déjà été un fugitif, il s'était même plutôt bien porté à cette époque, mieux que depuis que le Bureau l'avait attrapé et étiqueté comme consultant, à la manière d'un entomologiste stockant ses spécimens d'insectes.

« Et maintenant ?

— Dans son dernier message à la SPEX, Romanovna nous a informés qu'il y avait eu une taupe parmi nous. Quelqu'un qui travaillait pour les Convertis.

— As-tu des noms ? Des hypothèses ?

— Oh, oui, j'en ai une excellente. »

Siren jeta un bref coup d'œil en direction de l'autoroute ; des voitures invisibles rugissaient par intermittence derrière les arbres. Avec un soupir, elle dégaina son arme de service et la pointa en direction du vampire.

« Je viens à peine d'y penser. Il m'aura fallu une nuit pour connecter les fils. Tu es le chaînon manquant, Marcion. Il me fallait quelqu'un qui soit enfoncé jusqu'au cou dans l'enquête sur les Convertis. Ça ne peut pas être Denrey. La connaissant, Romanovna aurait procédé autrement. Il reste toi. Tu es idéal. Tu étais un vampire avant que ça devienne la mode. Tu regrettais ta vie dalnienne, mais d'après tes dernières évaluations psychologiques, tu as tourné la page. Sauf que la Terre ne t'a jamais plu. Tu veux changer ce monde. Les Convertis sont le meilleur moyen d'y parvenir. Est-ce que j'ai tort ?

— Grand Unum ! Tu te trompes sur toute la ligne. On voit tout de suite que tu n'as pas dormi.

— Pas un geste !

— S'il y avait une taupe dans le Bureau, tu sais qui serait la mieux placée ? Toi. Moi, je me contente d'écrire des rapports. C'est toi qui étais impliquée dans l'enquête. Je ne savais même pas qu'il y avait une enquête il y a deux semaines. Tu ne serais pas au Bureau si Denrey et Romanovna n'avaient pas décidé de te faire confiance, et je parie que tu avais un dossier de dix kilos, qu'ils ont brûlé dans leur cheminée à Noël dernier en chantant des cantiques.

Nolim IV : La Cité de cristalWhere stories live. Discover now