15. Ariane

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Reviens.

Kaldor, Principes


À peine Ozymandias se fut-il assis dans son trône qu'il ressentit une étrange fatigue. Ce ne pouvait être le combat contre Aurélia ; il n'avait duré qu'une minute ! Soucieux, le roi des rois songea que ces créatures humaines qu'il gardait prisonnières de son rêve agissaient peut-être sur lui comme un poison. Fallait-il les détruire ? De quelle manière ? Les jeter hors de Nela ?

Non, se dit-il, elles sont mes trophées ; ceci est mon combat, ma lutte d'un jour contre le retour incessant de cette femme maudite. Leur multitude me rappellera mes victoires, et lui rappellera ses échecs. Quand elle marchera vers moi, elle mesurera la croyance en son destin à l'aune de toutes ces vies venues s'échouer ici.

À ce moment, une nouvelle voix retentit sous la voûte de cristal. Il plissa des yeux ; sa vision déclinait-elle, ou le bout du couloir s'était-il encore éloigné ?

« Qui es-tu ?

— Moi-même, le roi des rois, le grand Ozymandias, déclara-t-il d'une voix puissante. Je ne te retourne pas la question. Cela ne m'intéresse pas.

— Je te le dirai néanmoins. Je suis Ariane, fille de Thétys.

— Je m'en moque, gronda-t-il.

— J'ai passé ma quinzième année il y a quelques jours. J'ignore ce qu'est le monde réel. À mon premier anniversaire, je suis tombée dans un sommeil sans fin, dans lequel je suis toujours plongée. Ce mal mystérieux a fait de moi ce que je suis à présent : une voyageuse de l'astral et une arpenteuse de mondes.

— Je m'en moque ! » répéta-t-il.

Il consentit néanmoins à quitter le confort de son siège, ne fût-ce que pour mieux l'observer. Ariane représentait un nouvel aspect de cette femme maudite. Elle avait l'apparence d'une adolescente maigre, au visage strié d'étranges griffures grisâtres. Et ce n'était qu'une apparence. Une forme astrale, encore reliée à son corps humain par un cordon d'énergie invisible.

Ozymandias avait déjà voyagé dans l'astral, ce qu'on nomme aussi la Noosphère, la somme de tous nos rêves. Il savait donc que pour rejoindre Nela, un rêve aussi éloigné et aussi secret, Ariane n'était rien de moins qu'une des plus grandes mages d'Arcs de son temps.

« C'est exact, lança-t-elle comme un défi, montrant qu'elle savait lire ses pensées. Je suis une grande mage d'Arcs. J'ai tout appris de mes rêves. Je n'ai jamais connu la sécurité du monde réel, de la partie émergée de l'univers ; depuis quatorze ans, je suis plongée dans l'océan des rêves, et j'y ai acquis une science non moins grande que la tienne. »

Elle tourna la tête vers les femmes prises dans la muraille, figée telles des insectes dans l'ambre.

« Je suis arrivée trop tôt, constata-t-elle. Je pensais avoir affaire à un vieillard, mais les premières rides ne sont pas encore apparues sur ton front.

— Qui t'a dit que j'étais vieux ? tempêta Ozymandias, pour qui c'était la pire des insultes. Je suis fort jeune, presque aussi jeune que toi !

— Tu as déjà cinquante mille ans, ô roi des rois. Mais c'est une vérité que ton esprit cache à ton corps. À la fin, le Temps nous rattrape tous. »

Le Temps, je ne sais pas, songea-t-il, mais toi, tu es décidément un insecte gênant.

« Je suppose que tu es venue me tuer, comme les autres ?

— C'est exact. C'est ma mission. J'ai été appelée ici par l'écho de mes vies passées et futures. À l'heure où nous parlons, notre armée converge vers Nela, vers ton domaine. Je ne suis que la quatrième, mais des centaines et des milliers d'entre nous se présenteront à leur tour.

Nolim IV : La Cité de cristalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant