Nolim IV : La Cité de cristal

42. La traversée

Mes pas sont lourds ; c'est que je traîne, derrière moi, un monde perdu.

Kaldor, Principes

Peu avant la traversée, elles entrèrent dans la zone de vide qui séparait la poussière du plasma stellaire, et les flots de particules aux éclats violets, parsemés d'électricité statique, s'écartèrent comme si Mjöllnir ôtait un riche manteau. Le passage de Ciner devint parfaitement visible, par la portion d'étoile qu'il ôtait à la vue. Fréya ne fit aucune correction de trajectoire.

Les étoiles derrière elles disparurent et un voile noir engloutit l'univers, tandis que la boule lumineuse du cœur de Ciner s'étendait brusquement en un mur infranchissable.

Crysée entendit craquer les Arcs avec de légers tintements. La présence de Mjöllnir faisait peser un poids considérable sur la structure de l'espace local, mais Fréya maniait ce vaisseau à la perfection, et s'était entourée de champs bourdonnants qui assuraient l'intégrité de l'appareil. Sans elle, la pilote aurait été désintégrée, peut-être éparpillée sur toute la longueur du système, Draconis refusant de s'accommoder de la présence d'intrus matériels.

Elle aperçut le Némée à quelques centaines de milliers de kilomètres ; le vaisseau vampire était sur le point de franchir le mur de feu.

Le plasma stellaire s'écarta sous l'effet d'un champ de répulsion. Malgré cela, l'intérieur du Némée devait s'être transformé en fournaise, et le vaisseau accumulait une énergie qu'il aurait grand mal à dissiper.

« Je pense qu'ils sont passés, dit Fréya. Je ne détecte aucun débris. Aucun brusque dégagement d'énergie. Le Comte Oleg vient d'atteindre le système Draconis, il a réussi ; il n'y a plus aucun obstacle entre lui et le tombeau des Dragons.

— Qu'est-ce qui te fait dire cela ?

— Eh bien, le système est vide. Si j'ai bien compris, Draconis est détruite, et la plupart des autres planètes sont en mauvais état.

— Personne ne sait. Personne n'est revenu en ces lieux depuis que les trois seuls Dragons survivants s'en sont sortis.

— Je serai sur mes gardes, indiqua Fréya.

— Garde ta pilote en sécurité. Je m'occupe du champ quantique. »

Dans le vide qui régnait en-deçà du mur de feu, le nuage de brouillard bleuâtre était parfaitement visible. On pouvait même y distinguer une structure, une forme globale, dont les contours étaient simplement dilués comme un dessin au fusain. Un vaisseau d'une dizaine de kilomètres d'envergure, réparti sur un millier de kilomètres. Crysée ouvrit les bras, se donna des ailes et traversa l'espace en direction de ce voisin encombrant.

Elle ignorait l'usage de ce champ quantique, hormis le fait de rendre ses occupants invisibles, et elle ne le craignait pas. Comme tous les solains, Crysée avait vécu l'affrontement contre Aton, et jamais, depuis lors, elle n'avait eu besoin de déployer toute l'étendue de ses pouvoirs.

À son approche, le champ s'effondra en plusieurs endroits. Des éléments du vaisseau se précipitaient, là une tourelle, là une salle d'étude au plafond encore ouvert, là un couloir qui venait de nulle part et ne menait à rien. Ils étaient dispersés de manière aléatoire dans le champ, sans aucun lien avec la forme originelle du vaisseau.

Crysée atterrit sur un de ces éléments de décor, une sorte de passerelle entre deux horizons de brouillard. La lumière diffuse du champ quantique occultait les étoiles lointaines, comme si elle se trouvait à l'intérieur d'une bulle.