Chapitre 23

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Le temps s'écoule trop vite.

Une phrase que l'on lit et entend trop souvent. Une constatation ou une fatalité. Pour Loïs, une réalité.

Plus d'une semaine est passée depuis son dernier séjour hospitalier, depuis cette fois où il a senti son corps lui échapper. Tant de choses se sont déroulées, et pourtant, il revit ces scènes comme derrière la vitre d'une voiture. Sa dispute avec Éridan, sa discussion avec Ana puis l'après-midi qu'ils ont passé ensemble à faire des maths, ou plutôt faire disparaître le temps au fil des mots, les journées passées auprès de sa famille. Tout a commencé en un claquement de doigts et tout s'est terminé de la même façon. Trop vite. Tellement qu'il est de retour à la clinique, dans le bureau de son médecin. 

Ce dernier parle. De quoi ? Loïs n'arrive pas bien à savoir, il voit sa mère hocher la tête de temps à autre, alors, il fait de même. En réalité, toute son attention est accaparée par autre chose. Par le temps qui s'est mis à faire la course et par tout ce qui lui échappe peu à peu. Les minutes, les heures défilent et emportent sa vie avec elles tandis qu'il laisse derrière lui ce sentiment de frustration de ne pas avoir terminé d'exister. Depuis l'accélération de l'évolution de sa maladie, Loïs a cette impression d'inachevé. Il vit sa vie à moitié, partagé entre le monde qui l'entoure et sa conscience qui lui rappelle jour après jour que l'horloge tourne.

Qu'a-t-il fait de sa vie ? Rien de notable.

Est-il devenu quelqu'un ? Pas celui qu'il aurait voulu devenir.

A-t-il réalisé tous ses rêves ? Son cœur se serre.

Il pense aussi à ceux qui sont là et qui le seront toujours même quand lui ne sera plus rien. À tous ses proches qu'il a pu blesser et qu'il blessera sûrement.

Son existence est une catastrophe. Elle n'apporte rien de bon à personne, elle est inutile.

Combien de personnes seraient plus heureuses s'il n'était pas entré dans leurs vies ?

Sur sa chaise en plastique inconfortable, il repense à Éridan et à leur dispute de mercredi. Depuis, ils ne se sont ni vus, ni parlés. Les jours fériés, une vraie bénédiction pour la plupart des lycéens, ont été une épreuve de patience pour Loïs. Dès que son esprit n'était pas occupé, les mots tranchants qu'il a laissé échapper emplissent de nouveau ses oreilles. Lui rappelant sans cesse ses torts et sa culpabilité. Il y a aussi ce message qu'il a envoyé mais qui n'a jamais reçu de réponse. Il s'inquiète plus à chaque minute qui s'écoule de peur que le temps ne fasse qu'empirer la plaie qu'il a ouvert dans leurs deux cœurs. Rien n'est irréparable, toutefois, pas plus tard que la semaine dernière, il a pensé leur amitié inébranlable. Encore une fois, il avait tort.

« Loïs ? Tu es avec nous ? »

Il redresse vivement son regard vers sa mère, origine de ces quelques mots.

« Non, désolé, je suis un peu fatigué je pense... »

Il voit sa génitrice et le neurologue se jeter un regard entendu et inquiet. Puis après un raclement de gorge, le docteur décide de recommencer ses explications.

« L'évolution de l'ataxie de Friedreich est encore abstraite et inexplicable, elle dépend de chaque individu. Pendant ces nombreuses années qui ont suivi ton diagnostic, il n'y a pas eu de changement notable, on a eu à faire à une évolution stable et plutôt lente. Toutefois, tu as dû te rendre compte que certaines choses ont changé et se sont accélérées. D'après les tests et les estimations, ta pathologie a atteint une phase de progression très rapide...

– Qu'est-ce que ça signifie concrètement ?

– Il est fort probable que tu éprouves de plus en plus de mal à te mouvoir correctement. Je ne sais pas encore si l'incident de ce week-end a été un cas isolé, mais il est possible que ça se reproduise. À ce moment-là, on avisera. La période que tu t'apprêtes à vivre risque d'être compliquée et fatigante. Ménage-toi, ne force pas trop. Il est également préférable que tu consultes ton cardiologue sous peu... »

Jusqu'à s'envolerWhere stories live. Discover now