Chapitre 11

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La matinée est morose pour Loïs. Cette sensation, ce sentiment qui l'a traversé la veille ne le quitte plus.

Il a les tripes nouées, cette boule dans la gorge, et cette impatience qui l'empêche de rester immobile.

Est-ce de la colère ? Non, pas vraiment.

De la peur ? Loin de là.

De la frustration ? C'est plus que ça.

De la tristesse ? Les larmes ne viennent pas.

Cette énergie qui paraît si sombre en lui est peut-être bien un mélange de tout ça. Une teinte complexe, l'union du bleu de la tristesse, du rouge de la colère, du noir de la peur, du gris de la frustration, du violet de la solitude.

Loïs est nerveux et en colère, contre la terre entière, contre lui-même. Il ne saurait même pas l'expliquer. Il a juste cette envie de tout détruire, de tout faire disparaître. Un coup de peinture blanche sur la noirceur de ses sentiments.

Il continue de tourner en rond dans sa chambre comme un lion en cage, il a besoin d'extérioriser. Quoi ? Toujours cette même question. Pourquoi est-il dans cet état et plutôt, quel est cet état ?

Trois coups résonnent sur sa porte.

Il s'arrête de déambuler. N'entendant personne parler ni rentrer, il se rapproche de l'entrée et se baisse. À travers le trou de la serrure, il rencontre un œil bleu comme l'océan qui se retire dans un sursaut. Il rit et se redresse avant d'ouvrir.

« T'as encore cinq ans, Lucile ? »

La jeune fille, sur le pas de la porte, replace une longue mèche blonde derrière son oreille avant de répondre :

« Je vérifiais que tu dormais pas. C'est pas de ma faute si on doit prendre des précautions car Monsieur n'est pas du matin. »

Elle lui tire la langue et Loïs soupire pour cacher son amusement. Cette fille n'a que deux ans de moins que lui, mais elle se comporte comme une gamine.

« Pourquoi tu viens ?

— Pourquoi pas ? »

Les bras croisés, il hausse un sourcil gentiment agacé. Après s'être fendue d'un sourire à sa réaction, Lucile reprend : 

« Bon, en fait, j'ai besoin de ton aide... Je capte rien en anglais !

— Tu viens me réveiller un samedi matin à 8h pour que je te fasse ton anglais...

— D'un tu dormais pas, je sais pas à quoi tu pensais à tourner en rond comme un poisson, mais t'étais levé et de deux, je devais rendre ce truc il y a deux jours... S'il te plait, grand frère d'amour que j'aime, aide-moi ! », le supplie-t-elle avec des yeux de chien battu.

Loïs soupire de nouveau, d'exaspération cette fois-ci, puis s'efface de la porte pour la laisser entrer. Elle sautille ravie de l'avoir convaincu et passe en lui laissant un bisou sur la joue. Un sourire fugace qu'il prend soin de dissimuler à sa sœur se dessine sur ses lèvres. Elle et son inséparable insouciance l'attendrissent à chaque fois. Toujours en chansons, en rires et en bonne humeur.

Il ferme la porte derrière elle, puis s'étire. Au moins, elle lui changera les idées. Son regard glisse vers son lit où elle est déjà allongée à plat ventre. Il s'assoit à ses côtés, dos au mur et l'observe mordiller son stylo bleu avec concentration.

« Tu dois faire quoi ? demande-t-il dans un bâillement.

— Un article de presse sur un milliardaire connu.

— Et t'as besoin de moi pour ce genre de connerie ?

— Écoute, j'ai pas de talent dans les langues comme Monsieur !

— Sœurette... Tu n'as aucun talent », déclare-t-il d'un ton grave.

À travers sa frange blonde, elle lui lance un regard noir alors qu'il s'esclaffe. Vexée, elle attrape un livre posé sur sa table de chevet et s'apprête à le lui lancer dessus. La main derrière la tête, fermant un œil comme pour bien viser. Toujours en riant, Loïs se baisse en se protégeant la tête, mais l'objet n'arrive pas. Il se redresse avec méfiance et la voit regarder l'ouvrage.

« C'est drôle, j'ai le même », remarque-t-elle.

Ses yeux se posent sur le livre. Réparer les vivants de Maylis de Kerangal. Un petit livre blanc hôpital aux touches de bleu, simple, pas très attirant mais pourtant, quand il l'avait vu, il n'avait pas pu s'empêcher de le dérober.

— C'est normal, c'est le tien, lui rétorque Loïs toujours en proie à l'amusement.

— Quoi ! Tu fouilles dans ma bibliothèque et en plus, tu prends même pas un bon roman fantasy ! Ô Dieu du genre Fantasy, mon frère n'a aucun goût, excuse-le ! »

Ils se dévisagent un instant puis éclatent de rire. Petits papillons de joie libérant un peu les épaules de Loïs. Lucile est son ange du bonheur. Une dresseuse de papillons pleine de folie et d'insouciance. Les êtres ailés envolés, leurs rires s'estompent.

« Tu en as pensé quoi ? demande-t-elle finalement avec curiosité.

— Déroutant... Ou plutôt passionnant. En fait, je ne sais pas trop quoi dire ou même trop quoi en penser. C'était juste spécial... Et toi ?

— J'ai pas aimé. Trop vrai, trop réel et pas de pouvoirs magiques pour ressusciter les personnages principaux, déclare-t-elle avec désinvolture.

Pourtant, son regard se perd un instant dans le vague. Les papillons ne sont pas suffisants ce matin, une pierre retombe dans le ventre de Loïs. Tous ceux qui l'entourent finissent malheureux. Même sa sœur se force à sourire quand elle reprend ses taquineries d'une voix enjouée. Lui aussi fait comme si de rien n'était, il l'écoute, réagit, rit jusqu'à reléguer cette vérité au fond de sa mémoire. Il n'y a rien d'autre à faire après tout. Juste reconstruire son masque. Peut-être que s'il paraît heureux, les autres le seront aussi.

Alors que s'écoule le temps, le téléphone de Loïs sonne et les interrompt.

« C'est qui qui t'appelle aussi tôt ?

— Aussi tôt ? Il est 10h et demi passé, répond-il à sa sœur et attrapant le portable.

— Oh non ! J'ai toujours rien fait à cause de toi !

— À cause de moi ?

— Oui ! Tu me sers à rien !

— C'est ça, va travailler ton anglais, le cancre ! se moque-t-il.

—C'est bon, je te laisse avec ta copine, j'ai compris ! s'exclame-t-elle en ouvrant la porte.

— Quoi ? Arrête de raconter n'importe quoi ! »

Mais elle ne l'entend sûrement pas, la porte est déjà refermée. Loïs soupire et décroche.

« Allô ?

— Hey, Loïs ! C'est Charlie !

— Hey ! Comment ça va depuis hier ? répond-il, l'agacement envolé.

— Moi, ça va, mais Ana pas trop.

— Qu'est ce qui s'est passé ? l'interroge Loïs, un peu inquiet.

— Elle se morfond à cause des résultats Parcoursup...

— Mais rien n'est joué, elle n'avait pas de réponse hier !

— Bah, ce matin, elle a été refusée presque partout et elle est pas mal loin sur les listes d'attente de la Sorbonne donc elle déprime. Donc en bon voisin que je suis, je veux la sortir. Mon oncle nous a bloqué une partie au Laser Game. Tu viens ?

— Est-ce que j'ai déjà dit non à un Laser ?

— Je prends ça pour un oui ! Rendez-vous dans une demi-heure là-bas. J'ai déjà prévenu Éridan et Romane, ils seront de la partie.

— Ok ! À plus alors ! »

Cette partie de Laser Game ne peut pas tomber mieux. Loïs a besoin de se défouler, de se changer les idées, de s'amuser. Tout autre chose que rester faire défiler ses angoisses dans l'obscurité de sa chambre.

Jusqu'à s'envolerWhere stories live. Discover now