Chapitre 3

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Mécaniquement. Un pas après l'autre. Sans s'arrêter, sinon ils vont te rattraper.

Les deux garçons avancent sans un bruit. Les oiseaux indifférents à ce malaise continuent de chanter. La bombe est posée mais le soleil brille toujours autant. Les nargue-il ? Ils s'en fichent. Ils doivent avancer pour mettre derrière eux le monde trop vivant de l'extérieur.

Quand la porte claque, ils soupirent à l'unisson, un bref sourire complice traverse leurs lèvres.

La maison est vide. Rien ne bouge, il n'y a personne, seul le calme les étreint. Ils se sentent un peu mieux.

Installés dans le canapé, ils regardent le soleil se coucher dans la semi-pénombre du salon.

« Ça faisait longtemps que ça n'était pas arrivé, non ? chuchote Loïs comme pour protéger le silence rassurant de la maison.

— Une comme ça ? Six mois, depuis son anniversaire. »

Éridan ferme les yeux pour chasser ses larmes et les mauvais souvenirs. Les secondes passent, il craint que la discussion qu'il s'apprête à commencer ne soit insurmontable. Il reprend finalement, la gorge nouée :

« J'ai appelé le mauvais hôpital, c'est ça ?

— Surement.

— C'est pas la première fois et tu le sais depuis longtemps...

— Oui... » répond sereinement Loïs.

Jamais il ne s'est senti aussi soulagé. Il n'a plus peur, les dés sont jetés. Bientôt, Éridan saura tout, il n'aura plus rien à lui cacher. Pourtant, il le sait, cette discussion pourrait bien tout changer.

« Depuis quand ?

— Depuis que j'ai six ans. »

Éridan encaisse le coup. Son cœur lui fait atrocement mal. Une plaie béante s'est ouverte dans son cœur, une de plus. Les larmes coulent malgré ses yeux clos. Des larmes de tristesse mais surtout de frustration. Il s'en veut terriblement.

« Je suis nul, je n'ai rien vu. Tu souffrais en silence alors que j'ai passé ma vie à me plaindre et à ressasser le passé, sans me soucier de rien. Comment je peux encore te regarder en face...

— Regarde-moi », lui ordonne Loïs calmement. 

Éridan hoquette. Il ne veut pas, il n'en a pas le droit. Mais l'appel de son ami est plus fort. Il ouvre ses yeux baignés de larmes et rencontre ceux de son ami. Ce dernier lui sourit. Ses pupilles brillent. Malgré tout, il est comme serein et apaisé.

« J'ai l'air de t'en vouloir ?

— Tu devrais...

— Éridan, on a tous nos combats, ne dénigre pas les tiens. C'est moi qui ai choisi le silence, ne te blâme pas pour ça. »

Puis après une inspiration, il reprend :

« Si j'ai décidé de t'en parler aujourd'hui, c'est parce que ma bataille ne fait que commencer. Jusqu'à la semaine dernière, la maladie était stable. Je sais que dans cette épreuve, tu seras un de mes alliés les plus précieux.

— Tu te trompes. Je ne suis pas un allié. Ton combat est le mien. Je n'ai pas envie de perdre une seconde fois. Tu es comme un frère pour moi ! » s'exclame-t-il.

Un frisson les parcourt.

« Je ne te l'ai jamais dit, mais tu lui ressembles tellement, murmure Éridan, je n'avais pas compris à quel point... »

Dans cette discussion, ils le savent tous les deux, le passé est bien trop présent. Les fantômes sont encore là, ils les écoutent comme toujours mais ne disent rien. Juste une présence insoupçonnée que l'on préfère oublier.

En cet instant, les secondes sont des heures. Un répit mais aussi un moment d'inquiétude impitoyablement long. Est-ce qu'en prolongeant le silence, on finit par disparaître ? Non, c'est une certitude.

« C'est incurable ?

— Oui... Je m'autodétruis. Je vais perdre l'usage de mon corps, de chacun de mes muscles, je ne pourrai plus parler, marcher. Mon cœur a déjà perdu sa première bataille... »

Cette fois-ci, Loïs n'est plus calme, mettre des mots sur ce mal, sur ce qui sera son futur, est douloureux. Le cauchemar qui l'attend est bien réel. Pourquoi lui ? Pourquoi un autre ? lui répond sa conscience. Au fil du temps, il a fini par accepter l'épreuve que lui imposait la vie. Alors pourquoi cela fait encore si mal de renoncer à son futur. Seulement, maintenant, il est moins seul. Un poids s'est envolé malgré toute cette angoisse qui l'accable, un sourire parvient à ses lèvres.

Dans la quiétude de la maison, alors que les deux âmes en peine méditent, une clé tourne dans un bruit métallique. L'instant d'après, la porte s'ouvre. Une lucarne vers l'extérieur, vers la suite de leur histoire.

« Éridan ? Tu es là ? Mais qu'est-ce que vous faites dans le noir, les garçons ? »

La lumière s'allume sur les deux adolescents. La brèche temporelle s'est refermée, retour à la réalité.


Jusqu'à s'envolerWhere stories live. Discover now