Chapitre 34

42 16 13
                                    

Au-dessus de lui, le feuillage laisse ses ombres se découper. Le soleil tente de se trouver un chemin dans cette tapisserie de formes irrégulières. Loïs plisse les yeux sous les assauts trop lumineux de l'astre du jour. À côté de lui, il entend le frémissement d'un léger mouvement dans les herbes sauvages. L'air caresse sa peau encore humide et emporte les senteurs fleuries de la nature avec lui. Il décide de se tourner vers l'origine du bruissement.

Avec surprise, il rencontre les grands yeux d'Ana. Ils l'observent, le détaillent. Elle était pourtant assoupie quand il s'est installé à côté d'elle.

Prise sur le fait, ses pommettes relevées se teintent légèrement. Mais c'est un sourire fendant ses lèvres qui se montre surtout.

« Tu as bien dormi ? lui demande-t-il.

– Oui... Par contre, je pensais pas être aussi fatiguée. »

Au loin, ils peuvent entendre les voix claires et joyeuses de leurs amis.

« Tu dormais, toi ? reprend-elle après un certain temps.

– Non. Je réfléchissais.

– À quoi ?

– Je sais pas trop. À la vie, aux arbres, au soleil, à l'été, à nous... énonce-t-il, pensif.

– Et alors ?

– Le ciel est très beau aujourd'hui, les trois autres vont finir comme des pruneaux, il doit y avoir des fleurs pas loin... »

Elle rit.

« Tu as peut-être besoin de sommeil en fin de compte.

– Peut-être. »

Ils laissent le temps passer et leurs prunelles valser un instant au milieu du petit espace qui les sépare. Les ombres continuent de flotter sur leur visage.

« Moi, j'ai pensé à nous.

– À nous ? demande Loïs.

– Oui, à nous deux. »

Ils continuent de se regarder, à chercher à sonder l'âme de l'autre.

« Et alors ? murmure Loïs en réponse.

– Je sais pas trop. Je suis bien ici allongée dans la terre à regarder les gouttes dans tes cheveux, je me sens vivre quand j'arrive à te faire sourire ou même rire, j'ai peur de ce qu'il va se passer l'année prochaine aussi, j'ai peur de ne plus te revoir...

– Moi aussi, je suis bien avec toi. J'aime quand tu danses, que ce soit au milieu de la rue ou de la forêt, j'aime quand je ne sais pas ce que tu vas encore inventer pour nous voler un gloussement, j'aime quand tu es juste là à me sourire... »

Les mots glissent de la bouche de Loïs comme l'eau parcourt le chemin sinueux de la rivière. Avec fluidité, avec naturel. Il ressent ses paroles comme il ressent les éléments sur son épiderme, une vérité dont on ne peut échapper. Devant lui, le visage d'Ana est lumineux. Il pourrait presque effacer les ombres sur eux.

Pourtant, le temps continue de les observer dans leur mutisme. Peut-être qu'ils n'osent pas briser la féerie de ce moment. La magie d'une discussion à cœur ouvert.

« Je crois que mon cœur bat plus fort quand tu es là, avoue-t-elle après quelques secondes.

– Moi aussi, je crois.

– Je crois que je t'aime. »

Un temps.

Loïs s'apprête à lui répondre, mais rien ne sort. Les mots restent bloqués dans sa gorge, comme s'ils étaient trop gros, comme s'ils étaient trop lourds. Il n'en faut pourtant que trois pour relancer l'enchantement. Toutefois, en une fraction de seconde, il a l'impression que cette idylle magique, qui les entourait, s'est noircie de suie. Il ne parvient plus à rien dire, il reste là avec les mots d'Ana planant encore.

Jusqu'à s'envolerWhere stories live. Discover now