Le Néant

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     Il était dans un labyrinthe. C'était un palais en pierre grise, dont les seules lumières étaient celles des torches accrochées aux murs. Le silence était pesant, absolument total, et une légère odeur était perceptible, comme celle d'une fleur en train de faner. Partout, des couloirs infinis, entrecoupés de portes innombrables. Par où se diriger ? Il l'ignorait jusqu'à ce qu'une poignée s'enclenche devant lui et que s'entrouvre une faille en un grincement qui le fit sursauter. Peu à peu, le bruit des gonds s'interrompit, se fondant dans le silence, et c'est quand il n'y eut à nouveau plus rien de perceptible qu'une main, lentement, passa par l'entrebâillement de la porte. C'était une main décharnée aux longs ongles jaunis. Elle était noircie comme celle d'un cadavre carbonisé et semblait se décomposer par endroit.

     Soudain, un rire aigu et nasillard brisa une nouvelle fois la pesanteur du silence. C'était un rire des plus étranges, à la fois diabolique et sournois mais aussi étonnamment... joyeux et même, oui, presque enfantin. Il provenait de derrière la porte, émanant sans doute du propriétaire de la main, qui désormais balançait son index d'avant en arrière pour inviter l'étranger à le suivre.

     C'est ce qu'il fit, découvrant alors une immense pièce ronde entourée de portes. Mais cette fois il n'était plus seul. Partout se tenaient des êtres noirs aux corps membraneux ; des créatures sombres aux gros yeux rouges, exorbités comme ceux de tarsiers. Combien étaient-ils ? Des centaines ? Des milliers peut-être ? Il était bien incapable de le dire. Ce qu'il savait en revanche, c'est que tous étaient absolument semblables, tels les clones monstrueux d'un laboratoire secret. Ils le regardaient sans ciller, sans jamais détourner le regard, et même s'ils ne semblaient pas physiquement agressifs, leurs regards pénétrants étaient déjà en soi une forme de violence tant il avait l'impression que son âme était scannée. Les créatures, pourtant, étaient immobiles, et leurs longs bras ballants les faisaient ressembler à des enfants punis, attendant que leur mère se décide à lever la sanction. Ces êtres le rendaient mal à l'aise, non pas en raison de leur monstruosité mais justement parce qu'il arrivait à percevoir, bien cachée au fond de leurs yeux mais néanmoins réelle, leur humanité. C'étaient là de grands enfants, des nourrissons même, mais qui étaient affublés du costume de l'horreur.

     Incapable de supporter plus longtemps le poids des regards, il se mit en quête de la main. Une porte s'ouvrit alors sur sa gauche, en même temps que s'élevait le rire et que le membre en putréfaction se mettait à agiter ses doigts vers lui. Il traversa la pièce en prenant soin de ne pas toucher, ne serait-ce qu'effleurer, les êtres noirs qui ne le quittaient pas de leurs yeux rouges.

     Lorsqu'il passa la porte cette fois, il fut étonné du changement de décor. Il n'était plus dans le palais dédaléen mais dans une ruelle nocturne encadrée de hautes murailles en pierres. L'atmosphère était cependant toujours aussi pesante, et le silence complet au point que ses oreilles lui paraissaient bouchées comme en altitude. En observant le ciel, il constata que les étoiles brillaient de mille feux mais ne reconnut aucune constellation. Il reposa les yeux sur la ruelle pavée. Elle n'était pas en elle-même éclairée, mais menait à une petite fenêtre lumineuse encastrée dans la muraille, une petite fenêtre vers laquelle il savait devoir se diriger. Il marcha dans le noir, ou plutôt, ses jambes le portèrent. La main n'était plus visible désormais mais il lui semblait parfois distinguer faiblement le rire aigu devant lui et même, par intermittence, percevoir une ombre se mouvoir dans les ténèbres.

     La petite fenêtre était toute poussiéreuse, et des toiles d'araignées passaient de l'un à l'autre des montants. Il voulait voir ce qu'il y avait derrière autant qu'il en avait peur. Ce qu'il souhaitait n'avait toutefois aucune importance car ses mouvements se firent tout seuls. La marionnette qu'il était mis sa main en visière, puis appuya son front contre le carreau sale. Et alors...

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