Chapitre 11.

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Quelques semaines. Deux mois tout au plus. 

C'est ce qu'il me restait à vivre. 

Tout se dégrada très vite. Je passai d'assez faible, à très faible, pour finir rapidement clouée au lit. Depuis que j'avais appris la nouvelle, je vivais dans un rêve éveillé. Sans l'impression que ce qui ce passait autour de moi était réel, alors que je savais que ça l'était.

Ma mère pleurait souvent. Comme mon père. Tellement souvent que je finis par faire une overdose de tout ça. J'avais besoin d'être seule. Étrange, peut-être, après six mois d'enfermement, mais c'était comme ça.

Je ne voulais pas qu'on s'apitoie sur mon sort. Je voulais être forte. Prouver à cet homme, à ce monstre, que j'avais tenu bon. Plusieurs médecins voulaient que je sois amenée à l'hôpital et y séjourne tout temps qu'il me restait pour prolonger les choses, mais je voulais rester chez moi. Et à quoi bon vivre deux jours de plus, si c'était dans la souffrance ? Je voulais tenir jusqu'au bout, avec les miens, dans ma chambre. Et une seule chose me faisait vraiment tenir :

La haine. 

Cette colère qui me dévorait de l'intérieur. Alors que je souffrais de plus en plus, confinée chez moi, la haine continuait à me faire vivre. 

Beaucoup de gens vinrent me voir. Des amis de mes parents, mes amis à moi, qui accompagnaient toujours de fleurs, de pleurs et de mots de réconforts leurs visites. Mais j'étais de plus en plus faible. Est ce que savoir qu'on est malade accélère le processus ? Aucune idée. Pourtant depuis que je l'avais compris, tout avait changé. J'étais passée de la fille traumatisée et rendue folle par un enlèvement à une mourante.

J'acceptais de moins en moins que les gens viennent me voir. Je devenais acerbe, colérique. Celle que j'avais été disparue peu à peu derrière la rage. La colère de savoir que j'allais mourir. 

Et que j'étais impuissante.

Une des seules personnes que j'étais toujours heureuse de voir était Clara. Sa présence me calmait. Elle ne pleurait pas quand elle était avec moi. Elle me réconfortait, calmait mes humeurs, me lisais des textes. Elle ne pleura pas une seule fois quand elle était à mon chevet, et ce fut la seule personne à avoir tenue bon. Je crois qu'elle avait compris que je ne supporterais pas de voir encore des gens pleurer. 

Caleb passait aussi beaucoup de temps à mes côtés. La plupart du temps nous restions là, main dans la main, à nous regarder dans les yeux. La souffrance que je lisais toujours dans les siens me déchirait de l'intérieur. Nous ne parlions pas beaucoup. D'abord parce que j'aimais le calme et rester avec lui me suffisait, et aussi parce que j'avais peur. 

D'une chose que je ne pouvais ni arrêter ni stopper. 

La fuite de ce qu'il restait de moi. 

La vraie moi, celle que j'étais avant de perdre ma meilleure amie, celle qu'il subsistait encore un tout petit peu avant que je sois enfermée, et celle qui se terrait désormais en moi et commençais à disparaitre. Et ce tout petit bout d'humanité que jusqu'alors, j'essayais tant bien que mal de conserver, commençait à sérieusement manquer d'air.

Avec Clara, cet aspect ressortait parfois. C'était aussi pour ça que sa présence m'était indispensable. Avec Caleb en revanche, je ne savais pas quoi faire. J'étais paralysé par la terreur, alors je me contentais de le regarder, et savoir qu'il était près de moi me rassurait.

J'avais tellement changé, et tellement rapidement. 

Ce fut difficile. Très difficile. Puis un jour la nouvelle arriva enfin. 

- Ma chérie, ton état est trop grave, déclara un jour ma mère d'une voix tremblante en entrant dans ma chambre. 

J'ouvris un œil et relevai légèrement la tête de l'oreiller pour la regarder dans les yeux. Son visage creusé était livide et elle retenait visiblement ses larmes. 

- Je n'irais pas à l'hôpital. 

- Mais tu dois y aller ma chérie, bredouilla t-elle. 

- Sinon quoi. Sinon je vais mourir ? Je vais mourir, maman. Peut-être pas aujourd'hui, peut-être pas demain, mais dans les semaines à venir. Ça ne va rien changer. Ta fille va disparaitre, tu sais. Tu ferais mieux de l'accepter. Et quand je ne serais plus là, tu n'auras plus à avoir ces désagréables conversations avec moi. Tu n'auras plus à te lever cinq fois toutes les nuits au comble de l'inquiétude pour pousser légèrement la porte et vérifier que je ne suis pas morte, tu n'auras plus à faire tout ça, tu seras tranquille !  Ça va te faire du bien, tu ne crois pas ? Maintenant, sors de ma chambre, je me fous de ce que tu as à me dire à propos de l'hôpital, parce que ça ne va rien changer. Je vais mourir, et tout ce que tu pourras essayer de faire ne changera rien. Alors pars.

Ces mots sortirent à toute vitesse de ma bouche. Je ne sais pas si je réfléchissais vraiment, mais j'eus l'impression de seulement exposer les faits. Ma voix était monotone. J'en avais assez des gens qui s'inquiétaient pour moi, j'en avais assez de tout. 

Ma mère hoqueta quelques secondes, et je détournai la tête. Je l'entendis marcher jusqu'à la porte et sortir, la refermant derrière elle. Lorsqu'elle fut dans le couloir, ses pleurs résonnèrent.

Je n'arrive pas à me souvenir si j'ai ressentis quoi que ce soit à ce moment là. Tout ce qu'il me restait, c'était une rage incommensurable tapie en moi qui me faisait peu à peu perdre foi en la vie, cette même colère qui se transformait en étrange calme quand je parlais au gens, qui me faisait me foutre de tout à part de ça. Et je la déversais désormais sur le reste du monde en me servant d'elle comme bouclier. C'était plus simple, moins douloureux, et ça ne me demandait pas d'effort. Je me foutais des autres. J'en avais assez. Assez de tout. Des médecins qui venaient tout le temps me voir, de mon père qui n'arrivait pas à me regarder dans les yeux, de mes amis qui avaient trop pitié de moi pour formuler une phrase devant moi, des connaissances de mes parents qui déposaient des fleurs dans ma chambre en me souriant avec bienveillance alors qu'au fond ils étaient terrorisés, de la douleur que je ressentais en permanence malgré tout ce qu'on m'injectais, et par dessus tout de la folie qui s'emparait de plus en plus de moi. Tout ça.

Mais quelques jours plus tard, onze jours précisément, ce bouclier de haine qui s'était formé en moi s'effondra. Aussi simplement et rapidement que s'il n'avait été rien.

À cause d'un seul mot.



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