Chapitre 3.

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 Nous étions arrivées dans les derniers, mais rien n'avait encore commencé. 

Le bal d'hiver de la fac. Que faisions nous là, dans ce lieux ringard ? Clara me posait encore la question.

Mais j'avais mon idée en tête.

Mon amie boudait un peu, la mine renfrognée, mais quelques compliments sur sa jolie robe argentée et sa coiffure lui avaient rapidement fait retrouver le sourire. Elle continuait évidemment à me dire que nous perdions notre temps ici, que nous n'étions pas à notre place, et que nous serions en retard à la fête d'Ama. Mais je ne répondais pas. 

Ses mots étaient en arrière plan, son visage pourtant face à moi flou. Un autre le remplaçait.

Nous étions entrées dans le gymnase, aménagé comme chaque année en une salle de bal. Clara m'avait pris par le bras et commencé à me raconter quelque chose. J'avais acquiescé sans avoir écouté, distraite.

Et quand le silence avait été demandé, je m'étais tournée vers l'estrade érigée au fond, ou le directeur s'avançait pour un petit discours. Après tout j''étais venu pour ça.  

- Cette année à été difficile, et je sais que parmi vous, avait-il enfin commencé, il y a énormément de proches de Jennifer. C'était une brillante élève, aimée de tous, pleine de talent. Elle ne méritait pas de mourir. Aujourd'hui vous danserez, vous amuserez, et vivrez pour elle. Elle sera parmi nous. Elle nous observera. Je veux que cette soirée soit un hommage. 

Un silence de mort avait alors régné dans la salle et sur un signe du proviseur, toutes les mains s'étaient levées et avaient tenu haut leurs gobelets. 

J'avais senti des larmes couler sur mes joues alors que je m'exécutais.

Clara s'était approchée et avait pris ma main. J'avais tourné la tête vers elle. Ses yeux étaient humides. 

- Je suis désolée, m'avait-elle murmuré. J'aurais du saisir que c'était pour ça que tu voulais venir. 

Je lui avais adressé un faible sourire. Elle la connaissait à peine. Mais elle était là et elle semblait comprendre.

 Au milieu des reniflements qu'on entendait dans la salle, j'avais vu le proviseur s'éclaircir la voix et s'essuyer les yeux.

- Quelqu'un souhaiterait dire un mot, avait-il dit. J'aimerais que vous l'écoutiez tous attentivement. 

Toutes les têtes avaient acquiescé, toujours sans un bruit. Je pleurais en silence, mes doigts entrelacés à ceux de Clara. Une main s'était soudain posée sur mon épaule et j'avais tournée la tête. Caleb était là. Il m'avait fait un petit sourire et ses yeux s'étaient embués.

- Je n'aurais pas dû te laisser un jour comme ça, avait-il dit. 

Je n'avais pu qu'acquiescer silencieusement. J'étais en colère, certes. Mais au milieu de mon désespoir, ma fureur envers lui me paraissait bien futile. 

 Il m'avait prit dans ses bras et je l'avais serré contre moi. Sur scène, un garçon d'une vingtaine d'années était monté et s'était saisit du micro. Ses yeux étaient rouges.


- Comme le savent nombre d'entres vous, Jennifer était ma petite amie, avait-il dit. Et... c'était la meilleure personne au monde. Je suis désolé, mais... Je ne saurais pas quoi dire d'autre. 

Sa voix s'était brisée, et il avait du faire une pause avant de reprendre la parole. 

- Elle est morte il y a exactement soixante jours, mais jamais elle ne nous quittera. Elle est toujours parmi nous. Dans nos cœurs. Dans nos esprits.

Il m'avait fixé et des têtes s'étaient tournées vers Caleb et moi puis vers le groupe d'autres étudiants qui nous entouraient.  

- Merci, avait-il dit. C'est grâce à des amis comme vous tous que j'ai pu tenir le coup après ce qu'il s'est passé. Jenn aurait été fière de vous. 

Il n'avait pu continuer et avait rejoint sa place. Un tonnerre d'applaudissement avait jaillit du gymnase et mes larmes avaient redoublées

- Ça va aller, me souffla Caleb. Ça va aller.

C'était faux, et lui semblait lui même savoir qu'il mentait. Enfin, au moins il essayait.

La foule qui s'était regroupée autour de l'estrade s'était dispersée, et notre groupe s'était dirigé vers le buffet. Caleb était contre moi et Clara de l'autre côté et me tenait la main. 

- Je vais aux toilettes, avais-je dit à Caleb lorsqu'il m'avait proposé un verre.

- Ok. Reviens vite.

J'avais hoché la tête et m'étais dirigée vers la porte du fond. J'étais entrée, et avais découvert un demi douzaine de filles qui se séchaient les yeux ou se recoiffaient. La plupart m'avaient jeté des coups d'œil surpris, mais l'une d'entre elle m'avait souri. Je m'étais avancée vers le lavabo et avais attendu patiemment que les toilettes se soient entièrement vidées.

De nombreuses larmes avaient coulé.

Comme l'avait dit Tyler, cela faisait soixante jours. Deux mois que je souffrais tous les jours en pensant à elle. Je revoyais inlassablement son visage et me réveillais en sursaut lorsque je dormais, avec l'impression d'entendre sa voix.

La nuit où elle était morte j'étais avec elle. Je me souvenais de la couleur blafarde qu'avait pris son visage. Ses yeux s'étaient fermés, sa main était devenue froide. Je savais déjà que c'était fini lorsque j'avais accouru vers elle pour lui prendre la main.

Je m'essuyais comme je pouvais les yeux. En fait tout n'allait plus depuis sa mort. C'était peut-être pour ça que je perdais la tête. Je m'emportais pour un rien, je me mettais à pleurer pour pas grand-chose, je me disputais de plus en plus avec Caleb... et puis il y avait cette fleur. Cette fleur rouge et noire que j'avais vu en sortant d'un magasin. Ou que j'avais cru voir... Comment savoir, après tout ? 

Je me sentais comme une folle, j'avais l'impression d'essayer de retenir ma raison, mais elle s'échappait sans que je puisse la rattraper. Comme un fil de nylon qu'on tire de l'autre côté d'une paroi invisible, impossible à retenir. 

Mais j'avais soudain entendu un bruit derrière moi qui m'avait tiré de mes pensées et m'étais retournée. La lumière s'était éteinte.

 - Et merde, avais-je lâché en soufflant. Qu'est ce qui se passe...?

 Mais une main s'était plaquée contre mon visage et m'avait bloqué la respiration.

Prise de panique, j'avais tenté de me défaire de l'emprise du corps qui me retenait et avait mordu la main. Le goût du sang dans ma bouche m'avait fait comprendre que je n'y étais pas allé de main morte. On m'avait lâché. Je ne voyais rien, mais j'avais aperçu en entrant une porte derrière les toilettes qui menait sans doute - ou du moins je l'espérais de toutes mes forces - directement dehors. J'avais senti l'air bouger et m'étais précipitée à tâtons vers le mur. J'avais rencontré la poignée et l'avait aussitôt poussé et je m'étais précipité dehors, complètement affolée.

J'avais couru, couru si vite que je sentais à peine mes jambes me porter. Dans un accès de panique, j'avais retiré le plus vite possible mes ballerines à talons compensés et repris de plus belle ma course, tentant de ne pas trébucher dans les pans de ma robe.

Rapidement, le sol verglacé avait commencé à propager une sensation de brûlure dans la plante de mes pieds. Mais je me sentais en danger, alors je ne m'étais pas arrêtée. Puis j'avais quitté l'herbe des abords du gymnase et avais continué sur le béton. Les larmes qui coulaient sur mes joues s'étaient gelées dans le froid.

J'étais passée dans une rue où il y avait des lampadaires. Je m'étais retournée dans la nuit, je voulais voir si quelqu'un était là, si cette personne me poursuivait toujours.

Mais ça ne servait à rien car sans pouvoir l'expliquer, je savais que j'étais toujours traquée.

Et j'avais raison.

Quelqu'un m'avait encerclé la taille, puis ce fut le noir total.





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