Chapitre 5.

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Les secours avaient-ils commencé à me rechercher ? Caleb était-il inquiet ? Me croyaient-ils tous morte ?

Je n'en savais rien. 

Et d'ailleurs, la seule chose dont j'avais conscience, c'était ce qui allait m'arriver. 

Là, il était impossible de me leurrer. 

C'est peut-être précisément à ce moment là que j'étais sortie de cette étrange torpeur qui m'empêchait de réagir. J'avais enfin compris que si je ne faisais rien jamais je ne reverrais jamais ceux que j'aimais. 

Mais cette soudaine prise de conscience n'avait pas entraîné que du bon. Car après cet épisode, j'avais désormais deux façons bien distinctes de vivre.

Parfois c'était dans la terreur perpétuelle que l'homme vienne me tuer, et toutes les autres fois, et bien... dans un étrange calme.

Je pouvais rester deux heures allongée sur le lit, les yeux dans le vide, ou passer des journées entières à marteler la porte de coup de poings pour qu'on me laisse sortir.

Le premier jour, j'avais jeté de colère le plateau que l'on avait déposé par une trappe à côté de la porte. L'assiette s'était brisée dans un grand éclat contre le mur.

Puis le suivant, affamée et épuisée, j'avais avalé avec voracité ce qu'elle contenait pour le vomir deux heures plus tard, sans doute à cause de ma nervosité

Après ça, je n'arrivais presque plus à manger. Je me contentais de boire, ou d'essayer sans succès d'avaler la purée et la viande qui me servaient de repas. J'avais faim, terriblement faim, mais ma gorge semblait refuser d'avaler quoi que ce soit, si bien que je finissais rapidement par abandonner.

J'avais trouvé derrière l'oreiller du lit un t-shirt et un pantalon à peut-prêt à ma taille, et la robe de bal que je portais était allée choir dans un coin de la pièce. Le mur face à mon lit avait également révélé une porte sur le côté.

À l'intérieure, un lavabo, des VC, un miroir incrusté dans le mur, et une fenêtre munie d'un grillage logé dans le plafond, où l'on ne distinguait que le ciel gris et maussade. Sous le lavabo était entreposée une rangée de rouleaux de papiers hygiéniques. Le lavabo en lui même avait révélé ne laisser couler qu'une eau sale à la couleur repoussante, alors je ne buvais que celle qu'on m'apportait.

Sur le moment, découvrir cette pièce ne m'avait fait ni chaud ni froid. Mais plus tard, je m'étais rendue compte que ça signifiait qu'il me restait longtemps à vivre dans cette prison.

Environ trois semaine après avoir été kidnappée, j'avais décidé de me regarder dans le miroir. Mon image m'avait choqué. Mes yeux étaient vides, bordés de cernes violacées, mon visage creusé, mes cheveux sales, ternes. Il subsistait des traces noires en dessous de mes yeux, vestiges de mon maquillage de bal. J'avais perdu une dizaine de kilos.

Mon reflet m'avait fait terriblement peur.

Au bout de quelques temps, j'avais perdu la notion du temps. Bizarrement, l'idée ne m'était pas venue à l'esprit d'essayer de la conserver.

J'avais des crises d'angoisses. Violentes. Qui me venaient toutes d'un souvenir trop fort pour être oublié. Celui qui revenait chaque nuit, chaque seconde depuis que j'étais enfermée. 

Jennifer. 

La nuit je revoyais inlassablement son cadavre, ou bien je me réveillais, certaine que quelqu'un m'observait dans la pièce, prêt à me tuer de la même façon qu'elle était morte. Je ne dormais plus, mangeais à peine, j'étais sale, maigre. Il ne faisait pas froid mais j'étais constamment agitée de tremblements incontrôlables. J'avais cessé d'espérer revoir un jour le ciel.

Je perdais la tête et mourrais à petit feu, ce jour sanglant encré dans la mémoire de plus en plus présent dans mon esprit, me rongeant de l'intérieur. 

Nous étions sortis de la fête. La musique résonnait toujours dans mes oreilles, et je vacillais légèrement sur les escarpins trop hauts que m'avaient fait acheter mes amies. J'avais mal aux jambes d'avoir dansé toute la nuit, collée à Caleb. Jennifer me tenait par le bras, ses chaussures à la main.

- J'ai peut-être pris un verre de trop, avait-elle remarqué alors que nous marchions. Je laisserais Tyler conduire.

J'avais hoché la tête. Elle ne me donnait pas l'impression d'avoir trop bu, mais après tout mieux valait respecter son jugement.

- Tyler et Caleb nous attendent à la voiture, l'avais-je informé. Ce n'est plus très loin.

Mais je m'étais soudain arrêtée net, frappée de stupeur, et avais lâché son bras.

- Jenn ! Mon portable ! Je l'ai laissé dans la chambre d'Emma pour qu'il se recharge !

Elle avait hoché la tête, compatissante.

- Va le chercher pendant que je rejoins les mecs. 

- Ok, à tout de suite !

Je m'étais éloignée en sens inverse au pas de course. La fête bâtait toujours son plein et j'avais traversé la foule pour me frayer un passage jusqu'à l'étage, ou j'avais fouillé ma robe à la recherche de la clef que m'avait confiée Emma. Lorsque mon portable avait été au fond de ma poche, j'avais remis les clefs dans les mains d'Emma et était retournée dehors. Après quelques minutes de marche douloureuse, j'étais parvenue devant le parking où j'avais laissé Jenn. 

Les réverbères encore allumés éclairaient d'une lumière diffuse la scène d'effroi qui m'attendait.

Une tache blanche et rouge qui gisait sur le béton. J'avais couru jusqu'à elle, et hurlé de toute la force de mes poumons en découvrant son corps.

Ses mains étaient pleines de sang, certainement pressées une seconde auparavant sur la plaie béante de son abdomen. Son regard était vide, éteint.

- Oh mon Dieu, Jenn !!! Réponds moi !!!! JENN !

J'avais hurlé une nouvelle fois, si fort que j'avais ameuté une bande de jeunes qui se baladaient dans la nuit. Je m'étais mise à pleurer, seule, effondrée sur le béton sans comprendre ce qu'il se passait, serrant de toutes mes forces la main sans vie de Jenn. Les jeunes étaient arrivés, j'avais entendu deux filles hurler, des exclamations horrifiées, quelqu'un avait essayé de m'écarter d'elle, mais j'avais résisté.

Puis la police était arrivée, on m'avait forcé à lâcher sa main et on avait emporté son corps. Tyler et Caleb étaient apparus, le premier en larme, et le second hébété. Caleb m'avait serré fort dans ses bras. Les policiers essayaient de me poser des questions, écartant les gens rassemblés autour de nous, tentant vainement de ramener l'ordre et de faire taire les hurlements.

Mais c'était fini. Elle était morte.


 


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