Ce que cache la fumée

II

La lune terrienne, sous le joug de la race des « Sois-maudits », an 2013, calendrier Terrien.

Une salle ténébreuse, un conseil entre deux autorités ennemies.

- Vous êtes priés de nous livrer le prisonnier, sous peine de goûter à notre terrible courroux ! dit Dieu-Noir.

- Qu'est-ce que vous êtes encore allé inventer comme recette ? C'est quoi le Kourou ? Encore une variété de choux avariés dont vous avez le secret ? s'emporta Déesse-Blanche.

Dans une grotte décorée somptueusement de pierres précieuses en tout genre, saphirs, émeraudes, topazes et rubis, encastrées à même la roche, une longue table horizontale s'étendait de gauche à droite, chargée de mets plus appétissants les uns que les autres : tourtes aux carottes, gelées de pissenlits, endives braisées et salades batavias ! A chaque extrémité de la table, assise sur un trône d'or, réhaussée par quantité affolante de coussins bariolés : une minuscule créature couronnée affichait un air sournois. L'une avait le pelage sombre, l'autre l'avait immaculé. Et tout autour d'elles, dans des gradins de pierre, leurs congénères, un côté de la pièce pour les ténébreux, l'autre pour les lumineux. Tous murmuraient des choses lugubres, des proférations terribles. Des lapins-nains joufflus, c'était là la puissante race des menaçants « Sois-maudits ». Mais à ce stade, tout le décor n'était pas encore planté, À la gauche de Déesse-Blanche, endormi dans un fauteuil de pierre un intriguant jeune-homme à l'apparence paradoxale : à la fois élégant et défroqué ; et accroché au plafond : un lustre d'or gigantesque, si conséquent, qu'une jeune femme s'y tenait cachée dans l'ombre, l'œil alerte, prête à bondir à tout moment. Justement, Déesse-Blanche venait de lever son petit museau triangulaire et rose en direction de l'opulent lustre.

- Vous voyez ce lustre ?

- Je ne vois que lui, fit remarquer Dieu-Noir, avant d'ajouter : D'ailleurs comment ne pas le voir ?

- C'est un lustre du comité Taärg.

- Mais encore ?

- Il faut encore tout vous expliquer à ce que je vois... On ne change pas les bonnes vieilles habitudes... Ils sont conçus avec la mémoire du temps. Un de ces lustres contient cinq années de la vie d'un individu. De cet individu.

Déesse-Blanche montra de l'œil le grand-dadais somnolent.

- Avant que vous ne lâchiez un de vos « Mais encore ? » des plus agaçants, je vous rappelle que cet individu est un seigneur du temps.

Les adorables pupilles de Dieu-Noir se dilatèrent.

Imaginez la valeur de cinq années de la vie d'un seigneur du temps !

- C'est totalement inimaginable.

- Vous savez ce que vous venez de provoquer ?

- La guerre ?

- Exactement.

Le jeune homme sur le « trône » avait les poignets menottés. Les « liens » étaient de curieux fils dorés et rubis entrelacés.

Un éclair zébra les pupilles rougeoyantes de Dieu-Noir.

- Et donc, j'imagine connaître le fonctionnement, de ces « chandeliers »... Il existe une clé, comme un boîtier de commande pour les désamorcer...

- En effet, je vois que vous êtes bien renseigné, fit Déesse-Blanche.

- Et où est-il ?

- Parce que vous pensez sincèrement que je vais vous le dire ?