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Dans les galaxies, on ne pourrait les énumérer en quantité car elles existent en infinité, errent des corps, souvent des étoiles, parfois mêmes des êtres et puis, bien que le cas soit plus rare il arrive que ce soit un mélange hybride des deux : à la fois céleste et conscient. La dimension qui nous intéresse ici est comprise dans un corps rocheux en forme de rhombicuboctaèdre (solide d'Archimède composé de huit faces triangulaires et de dix-huit faces carrées). Vu comme ça de l'extérieur, elle ne semble pas payer de mine : rien d'autre qu'un objet météorique à l'apparence complexe et de taille moyenne mais en vérité elle abrite en elle tout un monde, tout un système, il y est certes prisonnier mais il demeure bel et bien là. Pour le libérer : il suffit de parvenir à ouvrir l'objet... Un vaisseau aux allures naturelles pour certains, une prison-volante pour d'autres : une boîte de Pandore sans nul doute. Cette dimension a bien sûr un nom, un nom terrible qui résonne comme une menace dans l'espace et le temps, et ce nom en dit long : il s'agit de « La dimension mathématique ».

Les habitants de cette dimension, les fameux « êtres mathématiques » sont tenus en exil de l'univers dans ce lieu réduit, prisonniers au sein d'un univers de poche, mais également détenus lorsqu'on l'ouvre, lorsqu'on les libère... Cet état des faits vient de leur nature servile, ils obéissent aux lois de l'abstraction, les directives qui émanent de cette « force » les définissent en tant que créatures, on peut même dire qu'elles sont issues de là, que leur mère à elles toutes, c'est l'abstraction. En vérité la seule liberté qui leur est octroyée c'est celle d'exécuter leur « tâche » de la manière qu'elles souhaitent au moment venu, au moment où elles sont libérées par qui ou quoi que ce soit dans ce vaste cosmos. Lorsqu'elles sont compactées dans leur « prison géométrique », maladroitement élaborée par ces empotés de Judoons pour les retenir, elles dorment mais lorsqu'on leur ouvre la porte, ou bien qu'on la leur force, elles se répandent. Elles doivent, ce qu'elles doivent à l'abstraction, la commande la plus désespérée qui soit, celle d'un trou noir, celle d'un maelström qui réduirait l'univers à peau de chagrin.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la roche lorsqu'elle arrive quelque part, ne le fait pas par hasard et il n'est pas forcément évident de s'apercevoir de sa présence. En fait, elle atterrit à un endroit précis, savamment calculé, à l'abris des regards de préférence et attends que quelque espèce évoluée et dotée d'un minimum de curiosité vienne la cueillir.

L'exemple illustrant au mieux cette manière de procéder est celui de l'invasion de la planète terre. Cette dernière est un véritable aimant à fauteurs de troubles intergalactiques, il fallait donc bien au moins une fois que la dimension mathématique se pose là-bas...

Pour bien situer l'instant en question, il nous faut employer le dialecte des autochtones concernés, les êtres humains : donner une époque et une indication géographique. En ce qui concerne la première donnée, dans le système de calcul calendaire terrien, on appelle ça « la fin du quinzième siècle par-là ». Pour ce qui est du lieu, l' «Italie ou un truc comme ça ». Il y avait dans l' « Italie ou un truc comme ça » une quantité affolante de champs, qui le jour étaient occupés par les agriculteurs locaux, qui exploitaient essentiellement du blé. La nuit, par contre, de curieux protagonistes s'y baladaient ou bien s'y perdaient : des désœuvrés pour la plupart...

Un jeune homme, épris de découvertes et expérimentant toutes sortes de choses, y avait également élu domicile pour ses études nocturnes. Un drôle d'oiseau qui cherchait à comprendre comment fonctionnaient ... les oiseaux, les vrais, pas les métaphores comme lui. C'était l'une de ses activités bien sûr, il en avait bien d'autres, il était jeune et voulait à tout prix connaître le monde qui l'entourait, c'est peut-être commun pour de nombreuses races, sur de nombreuses planètes, mais sur terre c'est rare et cela force le respect. Cet original parmi les « humains » avait par exemple réussi à obtenir un passe-droit à la morgue du coin, celle de son petit-village d'appartenance, il ne savait pas pourquoi mais il y avait quelque chose qui le poussait à comprendre comment fonctionnaient les corps, pas seulement humains, également ceux des créatures moins intelligentes qui peuplaient cette bien innocente planète... Et pour mieux les analyser, pour mieux les dépouiller, inciser leur chair, plumes ou bien encore écailles et pelage, quoi de mieux que de le faire lorsque ceux-ci étaient inanimés, morts, cadavériques ou bien rigides ? Bien sûr, un mot d'ordre, un seul mot, très simple, était usé, rapiécé même par le jeune homme, il s'agissait du mot « science » : c'était là son passe-droit.

Malheureusement, il avait cru pouvoir également l'utiliser pour rentrer et sortir comme il le voulait dans la morgue de la ville, sorte de monde remplis de tout ce qui se faisait en variété de cadavres, le paradis pour quelqu'un comme lui en somme, mais on le lui avait refusé, on lui avait même collé un procès pour « nécromancie ». Il avait alors invoqué le mot « science », mais on lui avait rétorqué qu'un homme comme lui n'avait rien à voir avec la science, qu'il n'était qu'un blasphème, un apprenti sorcier sans maître, que sa réputation l'avait précédé et qu'elle n'était guère fameuse... On conservait dans les archives de la ville, consignées dans des parchemins tout un tas d'informations relatives aux individus qui avaient eu des démêlés graves avec la « justice » surtout si ces derniers pour quelques raisons que ce soit avaient été épargnés, sauvés in extremis du bucher. Le jeune homme faisait partie d'une maison d'artistes peintres renommée et son tuteur avait suffisamment de pouvoir pour le défendre, il était donc aux yeux de l'Eglise : un parvenu. Cette déconvenue l'avait rendu malade comme un chien, il voulait juste comprendre le monde, mais le monde ne voulait pas le comprendre, lui. Il ne comprenait pas en quoi ce qu'il avait fait été mal, et il ne comprenait pas non plus en quoi ce qu'il voulait faire était mal également. Il se disait au fond de lui-même que s'il n'y avait pas eu cet autre procès dans lequel on le poursuivait pour avoir eu des relations charnelles avec un autre homme, il aurait pu se présenter à la « nécropole » de Florence sous l'auréole de la science. Que les accusations soient vraies ou fausses lui importaient peu, bien entendu, ce qui importait véritablement c'était en quoi les actes jugés comme tels étaient punissables par la loi, pire : passibles de mort. L'étroitesse d'esprit terrienne est bel et bien quelque chose de perturbant, heureusement donc que quelques anomalies telles que ce jeune homme surgissent de temps à autres pour tenter de corriger le tir et pour s'imposer durablement dans les esprits et peut-être même les faire progresser, les faire évoluer.

Comme cela a déjà été écrit plus haut, à ce moment-là les ailes avaient ce don d'obséder le jeune homme : c'était le sujet brulant. N'importe lesquelles en vérité, pas seulement celles des chauves-souris ou bien celles des rouges-gorges, ni même encore celles des corneilles. Il y avait ce mythe qu'on lui avait raconté, le mythe qui relatait les mésaventures d'un jeune garçon d'à peu près son âge qui caressait l'idée de savoir un jour ce que cela ferait d'être un oiseau, un volatile, peu importe, simplement l'idée de savoir ne serait-ce que l'espace d'un instant ce que cela faisait de voler. Le mythe d'Icare. Bien sûr, il savait bien que cette « histoire » finissait mal et que dans le monde où il avait eu le malheur de naître, on s'employait à dissuader les gens de vivre, à les empêcher d'essayer de repousser leurs propres limites. Le soleil était de toutes manières bien trop loin pour qu'on puisse s'en approcher suffisamment et bruler au contact de ses rayons, il le savait : il avait calculé. Le jeune homme voulait créer ses propres ailes et s'envoler dans le ciel. Il avait comparé celles des gallinacées avec celles de grands migrateurs pour comprendre au mieux la notion d'aérodynamisme, il était allé plus loin en étudiant les corps spécifiquement rattachés à ces ailes pour voir comment élaborer un système adapté à la morphologie moyenne d'un homme. Il tenait son prototype et il comptait l'essayer dans ce champ au beau milieu de la nuit et à l'abris des regards corrompus par la norme. Il y avait là quelques collines intéressantes à exploiter. Il prit un certain temps avant d'enfin réussir à se lancer et lorsqu'il y parvint, il plana une bonne dizaine de seconde avant de retomber comme une crèpe entre deux petits monts. C'est en se relevant qu'il le vit au loin, auréolé d'une petite lumière peu distincte entre le gris, le rose et le bleu, un objet qui volait, qui ne possédait rien d'autre qu'un corps et dont la forme inadaptée à pareil exploit singeait la logique.

- Ma ! Cos'é questo ? Il segno lampante del mio fallimento?(1)

Ce jeune homme était déjà à ce moment-là connu sous le nom de Léonard De Vinci.

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1. C'est de l'Italien.

Ce que cache la fuméeWhere stories live. Discover now