Juste spectateur

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23 heures.
Quelques morceaux de pizza ingurgités. Une gorgée de bière pour l'apparence. Une moitié de slow catastrophique.
Trois mots échangés avec Anaïs.
Un pack de jus d'orange planqué par mes soins sous l'escalier.
Je m'en sors pas mal.

Assis dans un fauteuil, lui-même posé un peu à l'écart dans un coin de la salle, je me repose.

La chaleur se fait de plus en plus étouffante.

Je me lève. Reprends mes baskets. Les chausse. Puis m'éclipse discrètement. L'air frais glisse sur mon visage et mes bras nus. L'oxygène reprend ses droits sur les vapeurs de goudron qui baignaient la pièce.

Je frissonne de plaisir. Ou de froid.

Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Les minutes s'égrainent, se confondent. Elles me perdent et m'engloutissent dans leur chute. La solitude que j'aime, ou celle que je déteste. Personne à qui se confier. Personne à toucher. Nuls bras dans lesquels se blottir. Juste soi-même. Face à ses rêves, ses ambitions. Face à ses peurs, à ses déceptions. Face à la réalité, et à l'adversité.

Seul, mais pas pour longtemps.

Justin vient se poser à côté de moi. Allume une clope. Evidemment. Ils viennent me pourrir jusqu'ici. Après avoir tiré deux ou trois lattes, il me tend la cigarette... Je la prends.

Merci.

J'aspire. La fumée envahit ma bouche, puis mon larynx, puis déverse ses immondices dans mes poumons, puis la nicotine arrive à mon cerveau... Et après, je n'en sais rien. Et après, je m'en fous. Elle fait bien ce qu'elle veut la nicotine.

Je recrache la fumée et un léger voile de brouillard brouille quelques instants ma vue. Puis disparaît.

Je ne fume pas. Pas vraiment. Mais elle est tellement belle cette émanation blanchâtre qui jaillit de ma bouche et mon nez, que de temps à autre, je m'autorise quelques écarts.

Je crois que Justin me parle. Attend-il une réponse ?

Je réponds que c'est possible. Il semble satisfait. Il se lève. Tire un dernier coup sur le mégot, avant de l'envoyer valser à quelques de mètres de là.

Quelque part, perdu au milieu d'un gazon mal tondu, infesté de mauvaises herbes, un pauvre mégot, entouré d'une faune étrange. Insectes et vers en tout genre. D'autres s'éclatent dans un cendar' et lui attend, apeuré, dans l'humidité glacée d'une pelouse. Comme quoi, l'avenir d'un mégot, ça tient à peu de chose.

Justin retourne dans la moiteur et la fumée. D'ailleurs, il va falloir que j'y retourne moi aussi. Pour paraître sociable, faire illusion quelques heures encore. Je pourrais tout aussi bien me casser sans dire au revoir, mais il n'y a plus de bus, les dix bornes qui me séparent de chez moi m'en dissuadent. Mes pieds me remercient. Il n'y a pas de quoi. De toute façon, j'ai peur du noir.

Va pour la sociabilité.

Je me mêle à la marée de corps qui ondulent au gré des basses. Deux coups de coude dans les côtes et trois écrasements de pieds plus tard, tout le monde lève les bras en l'air.

Par chance, je suis grand. Mon nez évite donc les tête-à-tête gênant avec des auréoles de sueur. J'admets aussi l'utilité de dépenser 10 euros dans un déodorant efficace, plutôt que dans un bouquin. Question de respect. De dignité aussi je pense. Il y a probablement des manières plus flatteuses de faire parler de soi. Je dois avouer que ça ne m'intéresse pas vraiment de marquer l'histoire pour avoir été le mec aux auréoles le temps d'une soirée. Et puis, sait- on jamais, je garde espoir qu'une fille me remarque, et la moindre des correction est d'être propre et blanc en toutes circonstances, aussi aseptisé qu'une page de catalogue Ikea.

L'amour avec un traversinTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon