Crise d'ado : l'essence

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Dix-sept heures et quelques minutes passées. Je sors suant d'un bus bondé. Je viens de comprendre pourquoi ce mode de transport est dit commun. On partage les haleines chargées et la sueur.

Les corps moites se frottent les uns contre les autres, et contre le mien, malgré tous mes efforts pour m'isoler.

Journée merdique dans un lycée qui l'est tout autant. Je suis un adolescent comme les autres, qui ne rêve que d'une chose : glander devant la télé en ingurgitant des quantités phénoménales de Nutella.

Je n'aime pas les cours.

Je n'aime pas avoir le cul vissé sur ma chaise.

Je n'aime pas voir mon stylo gratter frénétiquement une feuille de papier, que j'égarerai le soir même. Je participe impunément à la déforestation, et ça ne me sert à rien.

Qui peut supporter d'être assis à une table, avec un prof en bruit de fond, et l'esprit occupé à compter les secondes ?

Personne. C'est inhumain.

Je marche dans la rue, évitant les déjections canines qui jonchent le sol. Je crois bien que je suis en vacances. Plus de maths, de français et de bio pendant quinze petits jours. Ca devrait me réjouir. Et pourtant j'ai le teint terne, le regard dans le vague, et la mine déconfite. Je broie du noir.

Ce soir, je suis invité à une soirée.

Je déteste ça. Me retrouver au milieu de tous mes congénères me dégoûte. Ou plutôt, de me retrouver à côté d'eux... On ne peut pas dire que je sois un modèle d'intégration réussi lors de leurs beuveries sur fond de guitare saturée.

J'espère qu'il y aura du jus d'orange.

Je sens déjà les haleines fétides se mélanger à la fumée et les émanations nauséabondes qui apparaîtront dès les premiers malades. Je me vois déjà à quatre pattes, rampant sur le carrelage pour ramasser la gerbe. Sentir mon estomac se retourner à la vue du repas de ce midi. Poisson et sauce à la tomate.

Je ne supporterai pas.

Je vois déjà les quelques amis venir me parler. Echange de banalités, j'acquiesce sans conviction. Je vais les voir ensemble. Et ils me verront seul. Et leurs regards compatissants. Et les entendre dire que ce n'est pas grave, le célibat.

Facile à dire quand elle sait que ce soir, elle sentira son homme jouir en elle. Facile à dire quand il sait que ce soir, il sentira son dos nu sur son torse imberbe. Les couples sont les seuls à prôner l'inutilité d'une vie sentimentale et sexuelle à notre âge. Qu'ils aillent se faire voir.

Je ne supporterai pas.

Me changer les idées, coûte que coûte. Oublier la perspective déplaisante de cet amas répugnant d'hormones et de sueur, et prendre la direction du centre ville.

Fnac, rayon nouveaux romans francophones.

Rayon. Je n'aime pas ce terme employé pour les livres. On parlerait de fromages que personne ne ferait la différence. D'ailleurs, personne ne fait la différence. La ménagère de moins de cinquante ans achète son comté et son Lévy. Elle dévorera, selon ses propres termes, les deux en moins de quinze jours. Quinze jours pour 200 pages bâclées et à peine cent grammes de fromage.

Je jette un coup d'œil à ces nouveautés, sans plus de conviction que ça. Je me dis juste que, qui sait, peut-être que je vais croiser une fille à qui ça plaira, de voir un type boutonneux s'intéresser à la production exponentielle de nos auteurs. Peut-être même qu'elle tombera amoureuse. Pourquoi pas. Alors je prends un bouquin au hasard, et je commence à lire les premières pages.

L'amour avec un traversinWhere stories live. Discover now