Origine du plaisir

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La vie commence quand le premier baiser s'achève. Quand les lèvres se séparent, dans un éclat de rire, ou une grimace de dégoût. Il y a un avant, et un après premier baiser.

Au fil des semaines, des mois, des mots que j'apprenais, cette idée émergea. Tintin n'était plus qu'un prétexte désormais. Je voulais Drazic, Anita, et leurs baisers. Je voulais voir leurs langues qui parfois se touchaient. Et l'idée s'imposa. Ma vie débuterait quand ma langue se serait aventurée dans la bouche d'une fille. Lorsque tel Drazic, j'embrasserai mon Anita. Nos lèvres s'enlaceront. Nos salives se mélangeront. Et nos dents se regarderont dans le blanc de l'émail.

Je finis par brûler tous mes Tintin, Boule et Bill et autres albums illustrés de Petit Ours Brun. J'en terminais une bonne fois pour toute avec l'âge candide. J'étais prêt à entrer de plain-pied dans la vie. Dans l'ère des galoches et compagnie.

Je me suis pris la raclée de ma vie pour avoir brûlé la moquette de ma chambre. J'ai dû promettre sur la tête des Minikeums et de Dorothée de ne plus jamais toucher à des allumettes ou un briquet.

Aujourd'hui, je me prépare. Je m'entraîne à rouler des pâlots sans la langue à mon oreiller. Je le serre contre moi, chaque soir un peu plus fort. Le tissu devient la peau d'une partenaire de fortune. Et dans ma tête, tournent ces images que la télé m'offre. Des baisers, partout. Elles prennent de plus en plus de place, et je j'en viens même à me demander si elles ne vont pas empêcher mon cerveau d'apprendre de nouveaux mots.

De bisous timides en étreintes passionnées, mes rapports avec ma literie s'intensifièrent. Ils devinrent plus charnels. J'ai découvert le froissement du tissu sur mon torse d'enfant, et la douceur des draps. Les frissons qu'un frôlement pouvait provoqué, et l'odeur des femmes, en piquant, de temps à autres, l'oreiller de maman pour mes siestes.

Et finalement, lors d'un après-midi plus mouvementé qu'un autre, la découverte des premiers plaisirs solitaires, sous ma couette, en frottant frénétiquement l'organe tabou contre les draps. Et une révélation, celle qui bouleversa ma vie. J'existais au-delà de mon nombril.

Ignorant encore les joies de la masturbation manuelle, dont les secrets ne me parviendront que plus tard, je n'avais jamais pris conscience de mon moi inférieur, jusqu'alors concentré sur celui qui logeait à l'intérieur de mon crâne. Et tout à coup, je découvrais son alter ego caché au fond de mes slips, en même temps que les sensations déroutantes qu'il savait provoquer. Rapidement, l'enivrante sensation de bien-être qui s'emparait de moi après l'acte devint un besoin indispensable, et c'est tout naturellement que je me mis à simuler régulièrement des coïts avec mon matelas.

La période de la journée la plus favorable à cette activité était le matin. Je devais m'habiller pour aller à l'école, et, entre l'instant où le bas de pyjama tombait sur mes chevilles, et celui où je fermais promptement mon bouton de pantalon, je m'autorisais quelques minutes d'intimité en compagnie de mon lit.

Je ne possédais pas de verrou. Bien que ça ne m'ait jamais arrêté, il m'est arrivé de me retrouver dans des situations plus que délicates. Chaque matin, maman nous emmenait, ma sœur et moi, à l'école. J'avais beau être lève-tôt, j'attendais toujours le dernier moment pour aller dans ma chambre et me préparer.

J'aimais traîner dans la cuisine, quand l'odeur du café froid régnait en maître sur celle du pain perdu un peu trop cuit, et racler de ma cuillère le fond de mon bol, traçant des lignes abstraites dans les restes de corn flakes et yaourt. Je regardais par la fenêtre la porte de la cour en ferraille, à moitié ouverte, ou à moitié fermée. Ca dépendait des jours. Au printemps et en été, quand le gazon venait d'être tondu, ou qu'il avait plu toute la nuit, je demandais à maman d'ouvrir la fenêtre, pour respirer à plein nez l'odeur de pelouse fraîche. J'aimais bien cette senteur qui couvrait les gaz d'échappement. En hiver, j'attendais que la neige tombe. J'attendais de la voir s'accumuler sur le rebord, s'écraser sur le verre. Et quand ce moment arrivait, j'en oubliais de manger. En automne, rien ne m'intéressait vraiment, alors, je mangeais un peu plus, et plus vite, pour compenser mon jeûne hivernal.

L'amour avec un traversinWhere stories live. Discover now