Savoir sans pouvoir

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J'attendais mon premier baiser. Comme noël. Comme les vacances. Sauf que je ne savais pas quand il arriverait, et l'attente n'en était que plus dure à supporter.

Tandis que j'espérais, je continuais de parfaire seul, ou en groupe, mon éducation sexuelle. Et la seule réponse à mes diverses questions était la pornographie.

Quelque temps après ma découverte du baiser, j'allais comme tous les premiers mercredi du mois chercher mon Picsou Magazine avec maman au bureau de tabac. C'était facile. Nous entrions dans la boutique, je prenais la première revue, celle au dessus de la pile, et maman payait. Et puis, nous repartions tandis que j'attaquais les premières pages de bande dessinée.

Mais ce jour-là, ce fut différent. Dans la vitrine du buraliste, une couverture attira mon attention. Celle d'un numéro de Hot Vidéos. Dessus, une femme, nue, des étoiles roses sur les tétons, les jambes écartées, une autre étoile plus grosse masquant son entrecuisse.

Troublante vision pour un môme de mon âge. Troublante, mais fascinante. Ca ne dura que quelques instants, maman me poussait déjà vers l'intérieur de l'enseigne. Reste que cette brève image provoqua en moi une bouffée de chaleur, suivie d'un frisson glacé qui traversa mon dos, juste entre mes omoplates, comme quand je lisais un Chair de Poule. Sauf que ce n'était pas de la peur. C'était beaucoup plus agréable. Et puis, j'ai senti que ça me serrait au niveau du bas ventre. Je n'ai pas compris tout de suite ce qui m'arrivait.

Ce jour fut celui de ma première érection.

Le mois suivant, la couverture avait disparu de la vitrine. Contrairement à mon habitude, je ne me suis pas jeté sur la pile de Picsou Magazine. Maman, étonnée, a pris son mal en patience, pensant que j'hésitais peut-être avec le Journal de Mickey, et a commencé à feuilleter Télérama.

Elle se trompait. Je n'hésitais pas, je cherchais. Quoi ?

Le nouveau numéro de Hot Vidéos. Parce que c'était déjà trop. Parce que je voulais en voir plus. Parce que j'avais envie de retrouver cette sensation délicieuse. Ce désir. Cette excitation. Celle qui me prenait quand Marie venait me garder au tout début. Ou lorsque j'ai vu Drazic embrasser Anita. Celle qui me fit frémir en m'imaginant embrasser Marie. Celle qui m'envahit quand j'ai timidement emballé mon oreiller.

Cette excitation, à chaque fois un peu plus forte, comme un marque-page soulignant l'importance du moment.

Il ne me fallut pas longtemps pour le trouver. Il était là. Je levais la tête, et il était là, au milieu d'une vingtaine de revues pornographiques. Il était là, juste au dessus des journaux informatiques et papiers sur les jeux vidéo. C'est ce moment précis que maman a choisi pour lâcher son magazine, et me demander de me presser.

« Tu t'intéresses aux jeux vidéo toi ? » 

Que pouvais-je répondre ?

« Et bien, tu sais quoi écrire sur ta liste au Père Noël maintenant ! »

Piégé.

Je savais pour le Père Noël, mais je faisais semblant de croire, pour ne pas les décevoir. Pauvres parents, il faut bien les ménager. Et puis, mon père semblait si content à l'idée de boire son verre de rhum et de manger les chocolats, que je posais au pied du sapin. La première fois, maman m'avait fait mettre un verre de jus d'orange. Mon père s'était offusqué.

« Le pauvre homme ! Il se tape des milliers de bornes dans le froid, sans même pouvoir mettre de chauffage dans son traîneau, et vous lui donnez un jus d'orange ? On croit rêver ! »

Il a pris le verre et l'a bu cul-sec. Ensuite, il est allé chercher une bouteille de rhum dans le placard à alcool et a rempli le verre vide.

L'amour avec un traversinNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ