— Mademoiselle Ravenscroft, je vais avoir besoin de votre aide. J'aimerais que vous me secondiez pour cette intervention.

J'aurais mieux fait de baisser les yeux...

Comme Alaska a tout fait toute seule, l'autre jour, lorsque je suis rentrée chez moi, c'est un moyen d'alléger son travail. Non sans agacement, j'accepte à contre cœur. C'est mon travail, malgré tout. Il doit ressentir mon embarras, car le quarantenaire me lance une œillade encourageante en espérant me motiver. Dommage, je ne suis pas d'humeur. Derrière moi, je ferme la porte sans en avoir envie. Le verrou claque et me voilà piégée.

Sans attendre, nous installons le patient sur le fauteuil. Je pars préparer les plateaux sur lesquels seront disposés les instruments préalablement stérilisés par mes soins pour les mettre à la disposition immédiate du chirurgien-dentiste, à l'instant précis où il en aura besoin. Lorsque le scalpel passe entre mes doigts, je revois Myrtle me hurler de m'en servir contre Marsch... Mon corps tremble d'effroi rien que d'y repenser. Mon pouls s'accélère sans que je ne puisse le contrôler. Je relâche la lame instinctivement, de peur que cette maudite enfant réapparaisse pour m'insuffler ses idées noires. Le bruit métallique résonne et attire l'attention de Marsch qui m'appelle, de sa voix enjouée :

— Mademoiselle Ravenscroft, je vous attends.

Je me ressaisis immédiatement et apporte le matériel chirurgical en priant pour garder la face. Respire, Sephora... Ça va bien se passer. Ne pense plus à rien, focalise-toi sur ton travail.

Gants en latex aux mains, j'assiste à l'ablation de la dent cariée de ce jeune enfant. Il est courageux, même le son cinglant de la fraise ne semble pas l'effrayer. C'est drôle, plus les minutes passent, plus son visage me fait penser à celui de Phébus, en un peu plus vieux. Ses cheveux blonds comme les blés ressemblent aux siens. Tout au long de l'opération, moi et Marsch s'échangeons des regards que je fuis aussitôt. Je n'ai ni la force, ni l'envie de l'affronter. La tension entre nous est électrique, on pourrait presque entendre l'air crépiter dans la salle de travail. J'ai hâte que ça se finisse.

Lorsque l'intervention est terminée, Marsch raccompagne le petit et sa mère vers la sortie en leur conseillant d'éviter les bonbons durant quelque temps. Moi, je m'occupe de stériliser et ranger les instruments sales dans le petit évier en inox du bureau. Midi est là ; je vais pouvoir aller à la bibliothèque. Au moment où je vais quitter le bureau, Marsch me barre la route. Je me pétrifie aussitôt, arborant sûrement l'expression d'un animal blessé coincé par son prédateur.

— Sephora, j'aimerais vous parler en privé. Ça ne vous dérange pas ?

Bien sûr que ça me dérange ! Seulement, j'ai bien envie de savoir ce qu'il va me dire. Ma curiosité me perdra un jour. Les bras croisés sur ma poitrine, je me tiens droite, afin de lui montrer formellement que j'attends des explications ou du moins, des excuses. En refermant la porte derrière lui, il s'élance :

— J'aimerais vous demander pardon pour la dernière fois. Je ne sais pas ce qu'il m'a prit. Je suis déboussolé depuis que ma femme m'a quitté. J'avais besoin de quelqu'un.

Voilà qu'il va me raconter sa vie... Ça, c'est la meilleure ! Vu comme il est accro aux femmes, ça ne m'étonne pas que son épouse l'ait laissé tomber. La pauvre a dû apprendre certains de ses vagabondages extra-conjugaux et autres batifolages. C'est ça lorsqu'un sale type nous passe la bague au doigt. De manière détachée, j'accepte cependant ses excuses. Je ne désire qu'aller à la bibliothèque, j'aimerais qu'il me laisse partir. Je n'ai rien à faire avec lui, de toute façon. Or, lorsque j'essaye de le contourner, il m'arrête à nouveau.

— Sephora, attendez... J'aimerais faire ça dans les normes avec vous, afin de vous montrer comme je suis réellement. Je vous invite au restaurant, ça vous dit ?

𝐋𝐄𝐒 𝐄𝐍𝐅𝐀𝐍𝐓𝐒 𝐀𝐔𝐗 𝐘𝐄𝐔𝐗 𝐃'𝐄𝐁𝐄𝐍𝐄Where stories live. Discover now