Chapitre 10

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Quand il claqua la porte derrière lui, le presque silence et l'obscurité furent les seules choses auxquelles il fit face. Dans un sens, c'était pire que de devoir affronter son colocataire. Le tic-tac de la grosse horloge que Guillaume aimait tant, accrochée au-dessus d'une commode, égrenait déjà les secondes depuis qu'il était rentré.

Ce fut le bruit de son sac heurtant le sol qui le sortit de sa torpeur, tandis que ses yeux dérivaient sur tout ce qui l'entourait, à la recherche de quelque chose, n'importe quoi, qui le raccrocherait à la réalité. A une réalité véritable, non pas à celle qu'il avait créée de toute pièce et qui le rattrapait quand il mettait le pied dehors.

Il n'y avait rien, ici. Le constat était affligeant. Rien qui soit lui. L'air était tiède. Le canapé, dans la pénombre, devenait noir et angoissant. L'espace cuisine, minuscule, ressemblait à une grande tâche noire qui encombrait tout un mur. Les portes blanches semblaient devenir des invitations à être ouvertes pour se réfugier derrière et ne plus sortir.

Effaçant les tic-tacs de l'horloge de son esprit, il y eut sa respiration, irrégulière et rapide, fatiguée, qui envahit ses oreilles et chatouilla ses tympans.

Sur sa langue, des dizaines de fourmis qui se promenaient.

Au fond de sa gorge douloureuse, le goût acide de la bile et du sperme.

Il n'alluma pas la lumière, laissa son sac là, à côté de la porte d'entrée. D'un pas lent, il se dirigea à tâtons dans la grande pièce, jusqu'à trouver sa porte. Sous ses doigts tremblants, la poignée s'abaissa, dans un clic qu'il trouva trop bruyant, et il s'enfonça dans la fraîcheur de la pièce. Un claquement dans son dos. Il était seul, dans sa chambre. Dans sa propre chambre. Pas un vulgaire squat, pas une chambre d'étudiant chez des inconnus, encore moins un logement qui pouvait se volatiliser du jour au lendemain parce qu'il n'y avait rien de légal quant à sa présence.

Sa chambre, dans un appartement dont il avait espéré pouvoir donner sa part, pour son premier loyer, d'ici une ou deux semaines.

Chez lui. Chez lui, même s'il vivait à moitié aux crochets de Guillaume.

Dépendant. Et l'idée, comme à chaque fois qu'elle revenait, lui remonta dans la gorge, se mélangeant aux restes de cette journée putride. Ses baskets volèrent dans la pièce, rebondissant contre les meubles, quand il les arracha presque de ses pieds avec rage. Ou, non. Pas de la rage. Autre chose, qu'il ne définissait pas, qu'il ne saisissait plus, parce qu'il avait cessé de le faire depuis des années.

Il jeta son blouson sur le bout du lit, avant de s'y laisser tomber. L'odeur de la lessive envahit ses narines, quand il se roula dans les draps encore défaits. Son pantalon glissait de ses hanches. Du bout des doigts, il tira sur son tee-shirt, tentant de couvrir le plus de peau qu'il le pouvait, essayant de ne pas rire de lui-même et du tableau pathétique qu'il renvoyait si quelqu'un le voyait. Peut-être que le plus risible, c'était ce besoin de se couvrir, de rattraper une vertu qui s'était fait la malle depuis trop longtemps. Une pudeur qu'il fuyait quotidiennement et dont, là, tout de suite, il aurait grandement besoin pour s'en draper.

La seule chose qu'il pouvait faire, c'était tirer, tirer, encore, sur ses vêtements pour les remonter, pour les baisser, pour s'en habiller le plus possible, comme une personne décente. Et puis cesser tout aussi vite, le cœur au bord des lèvres, avec la peur de les abîmer quand le tissu se tendait trop sous ses doigts, menaçant de se déformer, de se rompre.

Trop cher pour se le permettre.

Il serra finalement ses bras autour de lui, dans cette éternelle attente stérile. Quelque chose, n'importe quoi.

Second Round [Passion au Manoir Pourpre 2] [édité]Where stories live. Discover now