Chapitre 5

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« Kyle ? T'es montrable ?

Il grogna, quand les petits coups à sa porte l'arrachèrent brutalement à son écran, à sa concentration, à son travail, bon sang. Les yeux étrécis par trop de travail graphique, le crâne lourd, le jeune homme tourna les yeux vers la porte qui s'entrouvrait déjà. Le regard curieux de Guillaume se posa aussitôt sur lui, et, plutôt qu'une grimace, ce fut un sourire amusé qui habilla son expression.

-J'ai dit montrable, soupira-t-il gentiment.

-J't'ai pas dit d'entrer.

-T'as rien dit du tout, donc qui ne dit mot consent.

Kyle roula des yeux et lâcha sa souris. Sur l'écran, un baiser d'une douceur infinie qu'il n'était pas peu fier d'avoir capturé à l'insu de ses deux modèles, durant la journée de mariage. Sur le portrait, les minuscules fleurs de leurs coiffes encadraient leurs visages, adoucissant leurs traits et leurs regards pétillants.

Guillaume s'assit au bord du petit lit, ses grands yeux fixant l'écran tandis que Kyle se décalait, tentant de faire un peu de place. Sur ses jambes en tailleur, son oreiller avait remplacé sa serviette de bain du matin, lui permettant de reposer ses coudes plus agréablement au fil des heures.

-Ca va ?

La question de son ami le laissa un peu perplexe quelques secondes, puis Kyle plissa le nez.

-C'est un piège ? marmonna-t-il.

Il était habitué aux changements d'humeur du brun, mais parfois il avait du mal à le suivre. Agressif le matin quant à son comportement de la veille et de la nuit, particulièrement en ce qui concernait l'homme qu'il avait ramené dans le lit de son colocataire, il semblait calmé, des heures plus tard. Beaucoup d'heures plus tard d'ailleurs, nota Kyle en jetant un coup d'œil à l'affichage luminescent du réveil, à l'autre bout du lit.

-Mais non ! s'esclaffa Guillaume. C'est juste que d'habitude, tu restes dans le salon et tu glandes devant la télé. Alors je m'inquiète un peu.

-Bah, j'ai du boulot..., marmonna Kyle.

Du menton, il désigna l'écran. Guillaume hocha la tête lentement, son attention de nouveau sur le cliché en cours de traitement. Les lumières méritaient plus de douceur, songea Kyle en l'analysant avec plus de recul.

-Elles sont superbes. Des amies ?

-Des clientes. Elles se sont mariées mardi dernier, j'espère pouvoir leur filer le book en digital vendredi prochain, je devrais pouvoir manigancer avec Astrid pour qu'elle gère la version physique la semaine d'après...

Guillaume émit un petit sifflement, mi-amusé mi-surpris.

-Mardi ? C'est pour ça que t'as découché ? Et moi qui me demandait pourquoi tu te faisais tout beau dès le matin...

Kyle ricana.

-Tu noteras que t'as pas eu à faire mon nœud de cravate, dit-il.

-C'est bien, chéri, tu progresses.

-J'avais pas de cravate.

Un nouveau petit rire.

-Parce que ça fait trop à enlever pour l'after wedding ? demanda le brun.

-Bingo, ma poule.

-Au moins, on peut être sûr que tu t'es pas tapé le marié.

-J'ai quand même eu droit au témoin, et c'était une pièce de choix !

-T'es pas possible...

Avec un rire amusé, Kyle fit disparaître le logiciel de son écran et ouvrit le dossier où étaient entreposées tous les clichés du mariage. Des centaines de photographies défilèrent tandis que, du bout de son index, il maniait la petite roulette de sa souris, jusqu'à atteindre quelques clichés. Ils étaient visiblement pris en catimini, de manière suffisamment fugace pour que l'homme de l'écran ne se soit rendu compte de rien. Guillaume émit un petit sifflement admiratif.

-Comment tu fais pour réussir ton coup à chaque fois ? demanda-t-il.

-Quoi, les photos ou la chasse ?

-Je dirais bien les deux...

Kyle savait que l'homme qui défilait sur les photographies était au goût de son colocataire. Grand, les épaules larges, une mâchoire marquée et un menton volontaire. Son regard fuyait l'objectif et Kyle se souvenait avoir ressenti ce frisson quand les yeux noisette s'étaient posés sur lui à travers la lentille, par accident, quand l'homme avait percé à jour son petit manège.

Il avait souri, malgré lui, en imaginant les grandes mains se poser sur son corps. Etait-il doux, était-il brusque ? Le regard était devenu brûlant, son intensité rythmée par les heures qui s'étaient écoulées. A la fin, Kyle le savait, il n'avait plus eu qu'à passer à ses côtés, à le frôler. Un regard, et la nuit était à eux.

Il ignorait jusqu'à son prénom. Ou il l'avait oublié.

-Ca se fait juste, dit-il enfin comme l'attention de Guillaume ne le quittait toujours pas. J'y pense pas particulièrement.

-Pareil pour Thomas ?

Kyle se renfrogna aussitôt. Il aurait dû la voir venir, celle-là. Avec un soupir, il lâcha de nouveau la souris, et se laissa tomber en arrière. Le matelas fin rebondit, et l'oreiller sur ses cuisses tomba sous le remue-ménage. Guillaume leva les yeux au plafond.

-Tu mets jamais de caleçon, ou quoi ?

-J'en ai dans mes tiroirs, ricana Kyle.

Et la plupart du temps, ils y restaient. Avec un soupir résigné, Guillaume se leva, pour fureter rapidement vers la commode la plus proche. Les tiroirs grincèrent brièvement et bientôt un caleçon lui atterrissait sur le ventre. Kyle se redressa avec une moue dubitative.

-Quoi, t'es sérieux ?

-Mets-toi ça sur le cul, t'es indécent.

Il obéit promptement, se soulevant juste ce qu'il fallait pour pouvoir glisser dans le sous-vêtement. Le coton était frais, le tissu élastique enserrant aussitôt son anatomie. D'un coup, c'était bien moins agréable que le poids de son oreiller, mou, lui tenant chaud et servant de support tout à la fois.

-Pourtant t'as l'habitude..., marmonna Kyle.

Guillaume revint à sa place et le matelas s'affaissa légèrement sous son poids.

-Mais parfois, j'ai pas envie de voir ce genre de chose, répliqua-t-il doucement. Alors, Thomas ?

Kyle roula sur le côté, essayant de se concentrer sur une affiche qui ornait le mur blanc. Le mannequin qui s'y dessinait avait tout d'un fantasme vivant, si on s'y attardait. A ceci près que Kyle savait tout ce qui n'était pas réel sur l'homme. Il avait lui-même pris cette photo pour un magazine, et appliqué les retouches au modèle comme demandé sur le cahier des charges du client. C'était monnaie courante, et ce genre de manipulation payait bien. Le reste, ce n'était pas son problème. En remerciement, la rédaction lui avait envoyé cette affiche, fruit de son travail. Il avait ri, l'avait placardé. Depuis plus d'une semaine, le dieu grec, façonné de sa main, le fixait du matin au soir et disparaissait dans la nuit avec le reste de la chambre.

Il soupira.

-Thomas ? répéta-t-il.

-T'as jeté ton dévolu dessus, hier soir ?

Kyle gloussa, tout bas, à la formulation de Guillaume. Dit ainsi, ça paraissait si simple.

-On va dire ça, dit-il.

-Et... ?

Guillaume agita ses mains, visiblement dans l'attente de quelque chose. D'une explication. D'une raison.

-Ma caille, pourquoi on baisait, tous les deux ?

Le jeune serveur cligna des yeux, un peu surpris par le changement de sujet, trop soudain pour lui. Ou malvenu ? Il ne s'attendait visiblement pas à faire partie de l'équation.

-Euh ? Bah, quand on avait envie ?

-Ben, t'as ta réponse.

Il jeta ses bras dans les airs avec désinvolture, regarda ses mains disparaitre de son champ de vision tout aussi vite tandis qu'ils retombaient à ses côtés. Puis, il se redressa sur un coude et trouva rapidement le regard curieux de son ami.

-J'avais juste envie de lui.


Second Round [Passion au Manoir Pourpre 2] [édité]Where stories live. Discover now