Kimi no kiai

由美 6. Ténèbres

Le lendemain, Tsubaki vit sans surprise que quelque chose n'allait plus chez moi. Elle me demanda si j'allais bien mais je ne pus m'empêcher de lui répondre nerveusement « oui ». Elle n'osa pas insister plus, je crois. Tant mieux. Je ne préférais pas lui dévoiler ce que j'avais découvert la veille. Dans le couloir pour aller en cours, je refis cependant face, sans m'y attendre, à mes cauchemars. Au loin je l'aperçus, en compagnie de Gôsei. Hatsu.

Reposer mes yeux sur elle leva les derniers doutes qui pouvaient subsister. Je l'aimais bel et bien. Alors qu'elle tournait la tête en notre direction, je tirai tout à coup Tsubaki vers moi et me cachai derrière elle.

ー Qu'est-ce qui te prend ? s'étonna-t-elle.

Elle remarqua à son tour Hatsu au loin.

ー Mimi ! Ueda te fait coucou !

J'étais de nouveau complètement paniquée. Incapable de croiser son regard, je décidai de pousser Tsubaki dans le couloir et d'accélérer le pas. Mon amie se laissa faire, quelque peu déconcertée.

ー Tu es sûre que ça va ? s'inquiéta-t-elle.

Oui... Je vais très bien.

Ce genre d'interactions embarrassantes devint par la suite mon quotidien. J'avais toujours peur de sortir de notre salle de cours. Sur le chemin qui nous séparait du bureau des élèves, je priais pour ne pas la croiser. Évidemment, je n'allais plus la voir le soir au dôjô. Si par malheur je l'apercevais alors que j'étais en surveillance, je feignais de ne pas la remarquer et m'en allais en courant. La voir m'était devenu insupportable. Son nom m'était devenu insupportable. Cette sensation dans ma poitrine m'était devenue insupportable. Et tout cela sans doute car je savais que mes sentiments ne pouvaient être partagés. Jour après jour, je me dégoûtais de plus en plus d'être tombée amoureuse d'une fille. J'avais l'impression qu'on me regardait et qu'on me jugeait dans la rue, dans les couloirs, dans ma classe, même si j'étais la seule à être au courant. Comme je tremblais de peur à l'idée de voir ce regard dédaigneux et écœuré dans les yeux de Hatsu, je gardais tout cela pour moi et essayais de l'étouffer.

Je crois que je devins de plus en plus silencieuse. Tsubaki le remarqua sans doute, mais encore une fois elle n'osa pas me demander pourquoi. Tant mieux. Tant mieux. Tout cela devait rester secret et disparaître. Chez moi, je me fis discrète. Qu'auraient pensé mes parents s'ils savaient que mon cœur balançait pour une fille ? S'ils apprenaient que leur enfant n'était pas... normale ? Malgré mes efforts pour paraître naturelle, lorsque j'étais à table, tout le monde se rendait pourtant compte que j'étais perdue dans mes pensées et que j'avais du mal à finir mon assiette. Mes parents commencèrent à s'inquiéter. Ça, je le sus car un soir, mon père vint me voir dans ma chambre. Il s'assit à côté de moi sur mon lit et me demanda gentiment :

ー Tu as des problèmes, au lycée ?

ー Non papa, tout va bien, le rassurai-je.

ー Tu es sûre ? Je peux t'aider si quelque chose te tracasse. Un professeur n'est pas gentil avec toi ? Tu as de mauvaises notes ?

ー Tu connais bien mes notes, dis-je en me forçant à sourire. Ne t'inquiète pas, je dois simplement être fatiguée.

« Tout va bien. » Seuls ces trois mots semblaient pouvoir sortir d'entre mes lèvres. Pourtant, ils cachaient de terribles tourments. Ce soir-là, quand mon père partit, j'éteignis la lumière et pleurai. Dans le noir, je tendis les bras et imaginai Hatsu. J'aurais tant voulu pouvoir la serrer contre moi. Elle me manquait... énormément... Je me rappelai de cette fois où elle m'avait montré à quoi ressemblait le kendô. Elle était si gentille avec moi. Elle l'avait toujours été. Est-ce que je devrais lui dire ? Si elle était vraiment aussi gentille que ça, elle ne me jugerait pas et m'aiderait peut-être. Je secouai la tête. Non, Yumi. Imagine qu'elle prenne peur et qu'elle se mette à te fuir. Je ne veux pas détruire notre amitié. J'émis un rire ironique. De toute façon, elle ne m'aime sans doute déjà plus... À force de l'éviter, je me l'étais à coup sûr mise à dos. Cette idée me fit pleurer davantage.